Le cas de
M. Georges Corm est intéres-sant. Du point de vue médical,
je ne sais pas; ce n’est pas mon domaine et je ne sais pas dans quelle
mesure une hyper-tension, puisqu’il s’agirait de cela, nous dit-on, peut
justifier une retraite pour un homme encore dans la force de l’âge.
En tout cas, la question est posée: démissionnera? Démis-sionnera
pas?
***
Il ne démissionnera pas, nous rassure le chef du gouverne-ment.
Et les partisans de M. Hoss affirment que la rumeur de démission
n’est qu’une ma-nœuvre de ses adversaires qui passent leur temps à
inventer de fausses informations pour répandre le doute dans les
esprits sur la capacité du Cabinet à se maintenir. Mais,
en même temps, on prétend que la décision finale du
ministre des Finances dépendra de l’avis de ses médecins.
Ce cas est intéressant, parce que M. Corm n’appartient pas au
milieu politique. Il n’est pas “né dans les sérails” et n’en
connaît pas les détours.
J’ai connu un peu Georges Corm et je crois le connaître assez
pour avoir pensé, dès la formation du gouvernement, qu’il
ne pourrait pas y tenir longtemps. On s’est dit tout de suite: “Qu’est-il
allé faire dans cette galère?” Il y avait, en effet, le risque
qu’il ne puisse pas s’adapter aux mœurs politiques. Mais on ne pouvait
jurer de rien. En tout cas, il semble bien que ceux qui s’acharnent à
nuire au Cabinet Hoss aient justement pres-senti que ce point fort d’un
gouvernement résolu à assainir la gestion financière
de l’Etat, pourrait devenir en réalité son point faible.
Il n’y aurait qu’à dégoûter M. Corm de sa mission.
Car cette œuvre d’assainissement n’est pas une tâche facile.
Pour l’entreprendre, M. Georges Corm apparaissait, dès le départ,
comme une caution de rigueur technique et morale, la seule peut-être
réelle dans la composition du nouveau gouvernement. Opposer sa compétence
aux inévitables compromis politiques où M. Hoss pourrait
être entraîné est une tentation facile.
On y arrive précisément.
***
Ces considérations sont faites ici sans préjugé
et sans parti pris. Pour la crédibilité de la nouvelle politique
budgétaire que M. Hoss veut mettre en train, la présence
de M. Corm au sein du gouvernement est nécessaire. Pour ceux qui
s’emploient à faire échec à M. Hoss, la démission
de M. Corm serait, sinon une victoire décisive, tout au moins un
point marqué.
Il ne reste plus qu’à souhaiter que les médecins du ministre
des Finances l’assurent que sa santé n’est pas en jeu. C’est probablement
ce qui va se produire. Il restera sa conscience d’honnête homme;
et là, ce n’est pas un médecin qui peut lui tracer la voie
de son devoir civique.
En acceptant de participer au gouvernement, ce problème a dû
déjà se poser à lui. Il l’avait résolu en optant
pour cette aventure. Il n’a plus le droit de reculer. A moins, bien sûr,
de se trouver face à une modification sérieuse de la politique
où il a voulu s’engager. Ce n’est pas le cas apparemment quoique
l’on distingue déjà, au niveau parlementaire et corporatif,
des signes de résistance.
Alors, faut-il se battre?
***
Au-delà de ce problème de choix personnel, ce qui est
en cause c’est, finalement, la possibilité pour un gouvernement,
pour ce premier gouvernement depuis la guerre attelé à une
œuvre de redressement moral, admi-nistratif et financier, de tenir ses
promesses, promesses accueillies pourtant par une ovation unanime.
Qu’est-ce donc qu’il avait réellement promis? En un mot et tout
simplement: la lune!
Et la lune, c’est quoi en l’occurrence? L’établissement du règne
de la loi, l’Etat des institutions. C’est tout simple et c’est pourtant
la lune.
Tous les Libanais y aspirent, tous la réclament, tous la veulent.
Mais personne n’est prêt à y sacrifier quoi que ce soit. C’est
comme qui dirait vouloir une chose et son contraire, ou le beurre et l’argent
du beurre.
C’est tout le problème dans lequel se débat M. Salim
Hoss et où M. Georges Corm lui est devenu nécessaire. |
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