La mosquée de Sultanahmet.
Entre 1990
et 1999, un ensemble de quatre-vingt six pavements de mosaïques ont
été importées illégalement, au Canada. Un long
travail de recherche et d’investigations a permis aux douanes canadiennes
de récupérer la quasi-totalité de ces pièces
d’antiquités et de les rapatrier à la Syrie, leur pays d’origine.
Une cérémonie officielle a marqué la remise de
ces mosaïques par le gouvernement canadien au gouvernement syrien
et s’est déroulée au Musée d’archéologie et
d’histoire de Montréal, Pointe-A-Calliere, le lundi 19 avril.
Pour la circonstance, neuf de ces pièces ont été
exposées au musée pour quelques heures, avant de partir pour
Damas, alors que M. John Fossey, professeur titulaire en histoire de l’art
et en archéologie à l’université Mcgill, a donné
une brillante conférence sur ces pièces magistrales et leur
valeur historique et culturelle.
Afin de connaître les péripéties du trafic international
de ces œuvres d’art volées, nous avons interviewé M. Richard
Boucher, enquêteur aux douanes canadiennes.
Cette affaire qui vient de connaître son épilogue, intéresse
le Liban, du fait même que le premier lot des 54 mosaïques introduit
en 1991, avait été déclaré “d’origine libanaise”.
Mais l’expertise a prouvé, ensuite, qu’ils venaient de Syrie.
FOSSEY: DES MOSAÏQUES D’UNE INESTIMABLE
VALEUR CULTURELLE ET ARTISTIQUE
Dans son exposé, le professseur John Fossey (il est d’origine
britannique) évoque “le projet de longue durée”, qui lui
a été confié et a englobé l’étude de
ces 86 pièces de mosaïque. En réponse à la demande
des douanes canadiennes, il a été amené à établir
l’authenticité des objets, leur lieu de provenance, leur datation,
leur valeur culturelle et artistique.
“L’authenticité des pièces ne faisait aucun doute dès
le début, ni pour nous, ni pour les collègues que nous avions
pu consulter”, affirme-t-il d’emblée. “Leur datation, poursuit-il,
a été assurée par deux moyens: tout d’abord, la comparaison
stylistique avec d’autres exemples du genre trouvés sur le site;
ensuite, par les inscriptions que plusieurs d’entre elles portent dans
leur décor. D’autres considérations concernant la nature
des édifices dont ces panneaux formaient le plancher, réduisent
l’ère d’où ces pièces peuvent provenir à une
zone restreinte au Nord-Ouest de la Syrie actuelle.”
Le professeur Fossey conclut: “Il est évident que nous avons
affaire à un groupe de mosaïques provenant de complexes ecclésiastiques
datant entre le dernier quart du cinquième siècle et le premier
quart du VIème siècle de notre ère et se trouvant
dans la région du Nord-est de la ville de Hama.”
A notre question sur le fait que l’importateur avait déclaré
que ces mosaïques provenaient du Liban et si l’on était certain
qu’elles sont toutes d’origine syrienne, le professeur Fossey répond:
“J’espère vous avoir montré lors de mon exposé, les
indications très claires sur le lieu de provenance de ces mosaïques
à la région AU NORD-EST ET OUEST DE HAMA. Les inscriptions
d’elles-mêmes sont éloquentes. L’écriture a même
été renforcée par des fouilles récentes à
Hama, au centre de l’évêché de la ville où on
a trouvé des détails de stylistique pareils à celle-ci.
Donc, à mon avis, et je le regrette pour vous, en tant que venant
du Liban, de vous priver de ces mosaïques, mais elles proviennent
de Syrie. De toute façon vous êtes voisins”.
INTERVIEW DE RICHARD BOUCHER,
ENQUÊTEUR DES DOUANES CANADIENNES
Pour connaître les péripéties de cette enquête,
nous avons interviewé M. Richard Boucher, enquêteur des douanes
canadiennes en charge de ce dossier.
“Il s’agit d’une enquête de longue haleine”, dit-il.
“En 1991, lors de l’importation de 54 mosaïques au Canada, nous
avions retenu les pièces pour faire une identification. Grâce
à l’aide d’un archéologue expert, elles ont été
identifiées comme étant authentiques et de provenance du
Moyen-Orient; sans qu’on puisse, toutefois, en préciser le pays
d’origine. Pour sa part, l’importateur nous a confirmé qu’elles
venaient du Liban. A cette époque-là, en 1991, le Liban n’avait
pas encore signé la convention de l’UNESCO, concernant les mesures
à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation
et le transfert de propriétés illicites de biens culturels
(le Liban a signé cette convention en 1992). Il n’a donc pas été
possible de confirmer qu’une exportation illégale avait eu lieu
et, se basant sur la bonne foi de l’importateur, que la marchandise est
entrée au Canada.
“Cinq ans plus tard, en 1996, un nouveau lot de 32 mosaïques anciennes
est importé vers le Canada. Les enquêteurs des douanes procèdent,
comme il se doit, à l’expertise. Le professeur Fossey est chargé
de cette mission ainsi que d’autres experts en archéologie. Tous
sont unanimes à confirmer que ces 32 mosaïques sont authentiques
et proviennent d’une région située au Nord de la Syrie. L’importateur,
lui, avait commencé par dire qu’elles venaient du Liban. Mais, suite
à l’expertise, il a reconnu qu’elles provenaient de Syrie. Il y
a eu donc une fausse déclaration. Les 32 mosaïques ont été
saisies, confisquées, devenues propriété du gouvernement
canadien et rendues à la Syrie en 1997, en vertu de la convention
de l’UNESCO.”
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LA
PUCE À L’OREILLE
L’affaire des mosaïques de 1996 a relancé l’enquête
sur le lot de mosaïques de 1991. Lors de l’expertise, le professeur
Fossey et les autres archéologues avaient relevé que les
54 mosaïques importées en 1991 et les 32 importées en
1996 provenaient des mêmes sites archéologiques; que plusieurs
d’entre elles pouvaient s’emboîter ou se compléter, que les
formes stylistiques et culturelles des modèles étaient des
mêmes ateliers de travail.
Richard Boucher nous confie: “Le cumul des informations a permis, alors,
de relancer l’enquête concernant les 54 mosaïques entrées
en 1991 et qui étaient déjà sur le marché.
Chemin faisant, nous avons travaillé avec les douaniers américains
qui, en 1998, ont intercepté cinq mosaïques déclarées
d’origine syrienne. J’ai pu, alors, iden-tifier ces cinq mosaïques
com-me étant partie prenante du lot entré en 1991 au Canada.
Les autorités améri-caines les ont saisies.
Du côté canadien, nous avons poursuivi nos investigations
en vue de retrouver les 49 autres mosaïques qui étaient restées
sur le territoire canadien. Evidemment, dans nos banques de données,
nous avions des informations complètes, photos à l’appui,
sur ces mosaïques.
Au mois de juillet 1998, nos investigations ont porté leur fruit
et nous avons pu retrouver 39 des 54 mosaïques du lot de 1991 qui
se trouvaient dans un entrepôt à Montréal. Elles ont
été saisies et le gouvernement canadien vient de les remettre
au gouvernement syrien.
“Nous poursuivons nos recherches afin de retrouver les dix mosaïques
encore manquantes qui ont été, sans doute, vendues à
des particuliers. Il s’agit de pièces de petites dimensions, alors
que celles que nous avons saisies sont bien plus lourdes et grandes, donc
beaucoup plus difficiles à vendre, d’autant plus qu’elles sont illicites.”
On dit que le marché des USA est bien plus prospère
dans le domaine des oeuvres d’art illicites?
Aux Etats-Unis, le marché est plus grand et la demande plus
forte. Mais, sachez que le Canada et les Etats-Unis, s’inscrivent dans
un marché de l’hémisphère Nord, des pays bien nantis,
avec une élite ayant les moyens de se procurer des pièces
d’art à des prix faramineux.
Peut-on se faire une idée des prix?
Il s’agit d’un marché caché où on ne peut pas
se faire une idée de la valeur marchande.
Imaginez que quelqu’un arrache la Rosette de Notre-Dame de Paris pour
la vendre, illicitement; quelle serait sa valeur?. Les estimations sont,
à mon avis, insultantes, quand il s’agit d’œuvres d’art aussi précieuses.
Richard Boucher conclut cet entretien affirmant: “C’est la plus importante
affaire culturelle que j’ai eue à traiter au cours de ma carrière”.
Pour nous, Libanais, qui sommes confrontés à des fuites
exorbitantes de nos pièces d’antiquité, espérons que
les efforts conjugués à l’intérieur et à l’extérieur
du pays permettront de récupérer un si précieux patrimoine
national.