HUSSEIN HUSSEINI:
"L’ÉTAT LIBANAIS EST SOLVABLE ET N’EST
NULLEMENT EN FAILLITE"
Bien
que refusant de délivrer au “Cabinet des 16” un satisfecit en matière
de dialogue, le président Hussein Husseini le considère comme
habilité à réaliser la réforme politique tant
souhaitée, à commencer par l’élaboration d’une nouvelle
loi électorale capable de renouveler notre classe politique.
Tout en reconnaissant que le gouvernement Hoss a pu élaborer un projet de budget équilibré et réaliste, il formule deux remarques portant: la première, sur la taxe sur le transfert de la propriété; la seconde, sur le relèvement du tarif des communications à travers le cellulaire. |
A propos du projet de budget, il admet qu’il a été établi
sur une base réaliste, c’est-à-dire prenant en considération
les possibilités réelles du pays, après que la dette
publique se soit amplifiée exagérément, passant de
1,500 milliard de dollars en 1992, sous le Cabinet Omar Karamé,
à 20 milliards au cours des six dernières années.
Le déficit budgétaire s’élève à plus
de 65%, le précédent gouvernement ayant ajouté les
fonds des municipalités aux recettes du Trésor, les sommes
dues aux Finances s’élevant à près de 130 milliards
de livres et des dépenses ayant été engagées
avant que soient assurés les crédits destinés à
les couvrir.
Puis, le déficit du budget se situe autour de 42%. Cette situation
catastrophique ne pouvait pas se perpétuer et le gouvernement a
été bien inspiré en élaborant la loi de finances
pour l’année courante sur la base des possibilités réelles
du Trésor, en y joignant un plan quinquennal qui aidera au redressement
économico-financier et sortira le pays de cette situation si peu
accommodante.
Quels éléments vous rendent optimiste quant à
l’avenir de l’économie nationale?
Après avoir brossé un tableau plutôt sombre de
la conjoncture locale, j’estime que la situation du Liban n’est pas désespérée,
car le pays est solvable; il dispose de grandes possibilités et
ses avoirs en or ne sont pas négligeables. Il a en contrepartie
de quatre milliards de dollars, des réserves en monnaies étrangères
auprès de la Banque centrale d’un montant global de cinq milliards
de dollars.
A cela, il faut ajouter des biens maritimes et domaniaux pouvant
être convertis en liquidités totalisant des dizaines de milliards.
Cependant, ce serait une grosse erreur d’utiliser ces avoirs
avant que le Liban soit remis sur les rails; autrement dit, sur la voie
du relèvement économique, après l’instauration de
la stabilité politique, d’autant que nous avons réalisé
un succès au plan sécuritaire.
Ces facteurs me rassurent quant à l’avenir, surtout que le pays
compte, en tout premier lieu, sur l’élément humain, la proportion
des diplômés chez nous étant très élevée,
par rapport au nombre des habitants.
PRIORITÉ À LA RÉFORME POLITIQUE
Comment concevez-vous la manière de consolider la stabilité
politique sur laquelle vous ne cessez d’insister?
J’estime que ce gouvernement est habilité à assumer les
tâches qui lui incombent. L’élaboration du projet de budget
et du plan quinquennal est importante. Toujours est-il que nous commettons
une erreur en entreprenant la réforme administrative, la lutte contre
la corruption et le gaspillage, l’amélioration de la productivité
dans les secteurs public et privé, tout en négligeant la
réforme politique.
Celle-ci doit commencer par une loi électorale non exceptionnelle,
en vue de renouveler la classe politique, raffermir la vie en commun, nous
attacher à la modération et édifier l’Etat sur base
de la justice.
Que préconisez-vous par rapport à la nouvelle loi
électorale?
Il faut se préoccuper, avant tout, de l’unité du Liban
et de la vie en commun de ses fils. Partant de là, il importe de
consolider cette unité en assurant les canaux et les conditions
de nature à garantir la perpétuation du dialogue au plan
national, pour servir à la fois le Liban, le monde arabe et le monde.
D’où la nécessité de mettre au point une loi électorale
assurant les moyens d’atteindre cet objectif: préparer la voie à
l’accession à la Chambre de l’élite, celle acquise à
la vie en commun, ayant foi en la pérennité du Liban sur
la base de la justice.
C’est la raison pour laquelle nous prônons le renouvellement
de notre classe politique, à travers une loi électorale assurant
une représentativité politique saine, le choix des élus
devant se faire au niveau du caza ou du mohafazat. Ceci permettra de réaliser
l’intégration nationale, en éliminant tout ce qui porte atteinte
à l’unité et à la vie en commun, à savoir:
le discours politique confessionnel et sectaire.
Revenons au projet de budget: estimez-vous que le “Cabinet des 16”
a réussi dans ce domaine?
Naturellement, bien qu’il lui sera donné de réussir davantage
lors du débat budgétaire à la Chambre, en modifiant
certaines clauses de la loi de finances, telle la surtaxe sur la propriété
bâtie, surtout dans les régions rurales où bien des
personnes n’ont pu s’approprier des biens-fonds ayant appartenu à
leurs grands-parents.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement a élaboré un projet
de budget équilibré qui sera doublé d’un plan quinquennal.
PLUS DE TEMPS À PERDRE
Comment expliquez-vous la cabale dont a été l’objet
M. Georges Corm, ministre des Finances, bien qu’il ait réussi à
mettre au point un projet de budget valable?
La campagne dont M. Corm est la cible est injuste et je lui demande
avec insistance de ne pas se laisser influencer par les critiques, car
il se distingue par une vision saine en ce qui concerne la réforme
fiscale dont la réforme n’est pas moins importante que la réforme
administrative et politique, à travers laquelle on peut résoudre
bien des problèmes socio-économico-financiers.
Nous sommes contre toute tentative visant à ébranler
le Cabinet et soutenons le gouvernement pour l’aider à s’acquitter
de ses missions vitales. Je rappelle qu’au moment où le président
Fouad Chéhab avait été soumis à de fortes pressions
pour accepter de renouveler son mandat, il a diffusé une déclaration
dans laquelle il mettait en garde contre le retard dans la remise en état
de l’infrastructure sociale, sans laquelle aucune réforme radicale
ne peut être effectuée dans les domaines politique, social
et économique. En d’autres termes, il a reconnu son incapacité
à accomplir cette tâche. Cet état de choses a pavé
la voie à la guerre de 75-90 que certains ont exploitée pour
déstabiliser le Liban et tenter de le détruire. Nous disons
souvent que ce fut “la guerre des autres dans nos murs”. En fait, nous
avons permis aux éléments séditieux de pêcher
dans nos eaux troubles.
Pour cela, j’insiste sur la nécessité de hâter
les réformes, car si nous tardons à les réaliser,
nous plaçons de nouvelles bombes à retardement qui risquent
d’exploser au moment où nous ne nous y attendons pas. Ce serait
un crime contre notre peuple et notre pays.
Nous devons consolider le document de l’entente nationale, en mettant
en application ses clauses dans leur esprit et leur lettre, d’autant que
ce gouvernement est capable d’assumer cette mission, laquelle consiste
à élaborer une nouvelle politique fiscale et un plan quinquennal
véritable le plus rapidement possible. Nous ne pouvons plus nous
permettre de perdre du temps.
Ainsi, un siège permanent a été créé
pour le Conseil des ministres, alors que le règlement intérieur
de cette haute instance n’a pas encore été élaboré.
De même, la proposition de loi prévoyant la concrétisation
de l’indépendance du pouvoir judiciaire a été transmise
aux commissions parlementaires qualifiées, pour étude. Or,
cette proposition, nous l’avons mise au point avec les présidents
Hoss, Omar Karamé et nos collègues de la “Rencontre nationale”
sous le précédent régime.
Sans perdre de vue la nouvelle loi électorale qui doit aller
de pair avec la décentralisation administrative, tous ces projets
et propositions tardent à être examinés par l’Assemblée
nationale. Puis, nous ne disposons pas d’organismes aptes à planifier:
la direction centrale des statistiques est paralysée, alors que
la planification attend la création d’une instance habilitée
à s’acquitter d’une telle tâche. Aussi, attendons-nous que
le Conseil du développement et de la reconstruction soit transformé
en conseil ou ministère de la Planification. Les études y
relatives ont été achevées en 1990; il ne reste plus
qu’à les mettre à exécution.
LA TROÏKA A ÉTÉ LA CAUSE
D’UNE MAUVAISE GESTION
DE LA CHOSE PUBLIQUE
JE M’ATTENDS À CE QUE
LE CDR SE TRANSFORME
EN MINISTÈRE OU EN CONSEIL
DE LA PLANIFICATION
LE CHEF DE L’ÉTAT NE PEUT ÉTABLIR
UNE DISTINCTION ENTRE
LE CABINET ET L’OPPOSITION
LA COMPLAISANCE, UN PÉCHÉ MORTEL...
Vous avez émis des remarques, voire des réserves,
à propos de la surtaxe sur le transfert de la propriété
et sur le relèvement du tarif des communications au moyen
du cellulaire. Auriez-vous d’autres observations à émettre?
Ce sont des points qui méritent d’être traités
sans retard. Cependant, je ne voudrais pas aller à l’encontre de
ces décisions, si le gouvernement y tient pour des raisons que j’ignore.
Naturellement, nous exprimerons notre point de vue à leur sujet
lors du débat sur le projet de budget, car la complaisance dans
la chose publique équivaut au péché mortel.
D’aucuns soutiennent que l’ouverture de certains dossiers chauds
est motivée par une velléité de vengeance contre le
précédent régime. Qu’en pensez-vous?
Mon opinion diffère totalement de cela, car je connais parfaitement
la tendance du nouveau régime, dont la principale préoccupation
consiste à appliquer les termes de la Constitution et du document
de l’entente nationale dans leur esprit et leur lettre. Le discours d’investiture
et le plan quinquennal élaboré par le Cabinet Hoss en sont
une preuve.
Puis, ces dossiers n’ont pas été ouverts par le Cabinet
qui s’est contenté de saisir le Parquet général de
plaintes formulées par des sociétés ou des citoyens.
Il est vrai que le dossier des résidus pétroliers et
autres avait été soulevé depuis plus de trois ans
et nul n’avait trouvé à redire, la majorité
parlementaire ayant failli à son rôle de contrôle sur
l’Exécutif, à cause de la “troïka”.
Maintenant, des parties nos gouvernementales et parlementaires ont
engagé des poursuites judiciaires contre les responsables de secteurs
où des infractions, des abus et des irrégularités
ont été commis. Nous considérons cette affaire d’un
point de vue positif, la Justice étant appelée à statuer
sur tous ces dossiers dans lesquels sont impliqués d’anciens responsables.
La chose paraît étrange, parce que c’est la première
fois qu’une telle procédure est suivie depuis l’avènement
de l’indépendance.
Certains détectent une motivation d’ordre politique dans
l’affaire des fonds destinés aux municipalités qui ont été
dépensés à des fins autres que celles auxquelles ils
étaient destinés. Quel est votre avis à ce sujet?
Il ne s’agit pas d’une décision politique, pour la simple raison
que les fonds mentionnés étaient destinés aux municipalités,
qui sont des administrations locales autonomes. Il y a, aussi, le dossier
des entrepreneurs, des hôpitaux privés et des propriétaires
de biens-fonds qui ont été expropriés. A tous ceux-ci,
l’Etat doit de l’argent et le gouvernement est tenu de trancher ces cas
pour réparer le grand préjudice causé par le précédent
Cabinet aux citoyens.
Pourquoi la réforme administrative a-t-elle été
suspendue ou placée dans la glacière?
J’ai déjà dit que la réforme politique est plus
importante et doit précéder la réforme administrative.
Je suis avec le gouvernement quand il procède à un mouvement
administratif, destiné à améliorer le rendement des
services étatiques, mais je ne peux le considérer comme une
réforme, l’administration reflétant l’image de l’Autorité
politique. Or, nous n’avons pas renouvelé cette dernière,
encore moins la classe politique depuis la fin de la guerre. Puis, les
législatives de 92 et de 96 ont été organisées
sur la base d’une loi comportant bien des lacunes.
Vous attendez-vous à une loi électorale meilleure
sous ce régime?
Sans nul doute, car rien ne justifie la persistance du même climat
politique.
On dit que le président de la République ne peut continuer
à lier son sexennat au gouvernement qu’il ne cesse de défendre
en puisant sur son propre crédit...
Le président de la République est le chef de l’Etat et
se trouve à égale distance des Pouvoirs exécutif et
législatif, au double plan du loyalisme et de l’opposition. En d’autres
termes, le chef de l’Etat ne peut établir une distinction entre
le Cabinet et l’opposition, mais est tenu de respecter les règles
du jeu démocratique et parlementaire. S’il est arrivé, parfois,
au chef de l’Etat de tenir des propos durs à l’égard des
détracteurs du Pouvoir, c’est parce que l’opposition avait dépassé
les limites du logique. Comment l’opposition peut-elle œuvrer au sein du
régime et ignorer qu’il n’y a pas longtemps, elle assumait les charges
du Pouvoir et pousse l’indécence jusqu’à réclamer
des faits qu’il n’avait pas accomplis?
Vous attendez-vous à un grand changement lors des prochaines
élections générales?
Naturellement, surtout lorsque nous avons foi dans la liberté
d’expression et d’opinion et quand toutes les parties sont traitées
sur le même pied d’égalité, le gouvernement et l’opposition.
On fait grief au gouvernement Hoss de ne pas exceller dans le dialogue...
Je ne peux accorder un satisfecit au Cabinet dans ce domaine. Mais
en même temps, je justifie cela par le fait que la plupart des membres
du “Cabinet des 16” ont accédé récemment aux postes
de la responsabilité politique. Il faut reconnaître, toutefois,
que le Liban ne vit que par le dialogue.
Comment l’imaginez-vous dans l’étape future entre le gouvernement
et l’opposition?
La Chambre des députés est l’endroit le plus indiqué
pour le dialogue, le rôle des médias consistant à l’intensifier.
Nous devons trouver les canaux et les conditions nécessaires pour
le faire perpétuer; cela suppose la reconnaissance de l’autre et
la volonté d’entretenir des relations avec lui.
Est-il vrai que la “Rencontre parlementaire nationale” a cessé
d’exister, dès le moment où certains de ses membres (le président
Hoss et M. Beydoun) ont fait partie du Cabinet?
“La R.P.N. qui pratiquait l’opposition sous le précédent
régime, a cessé d’exister, pour la simple raison qu’elle
n’est plus dans l’opposition; elle appuie le Pouvoir et le Cabinet. Nous
avons accordé la confiance à l’équipe gouvernementale
et nous n’hésiterons pas à la critiquer quand nous le jugerons
nécessaire.
Je peux affirmer que les anciens membres de la R.P.N. ne cessent de
se concerter, même s’il ne leur arrive pas de se retrouver souvent.
Nous ne sommes pas de ceux qui pratiquent l’art pour l’art; en ce sens
que lorsque nous nous rencontrons, nous devons avoir des questions vitales
à discuter. Puis, nous estimons qu’il faut donner sa chance au Cabinet.
L’un de vos anciens alliés, en l’occurrence le président
Omar Karamé, a élevé la voix pour émettre certaines
critiques. Comment expliquez-vous son comportement?
Le président Karamé a blâmé le président
Hoss pour s’être solidarisé avec M. Mohamed Y. Beydoun à
propos de l’affaire du stade de Tripoli. En fin de compte, l’art et la
logique l’ont emporté, non les personnes. Le choix le plus valable
a été retenu, sans que le président Karamé
subisse un dommage.
Je tiens à dire que nous ne sommes pas des adorateurs de statues.
D’ailleurs, j’ai toujours prôné la formation de blocs politiques
nationaux, ne se limitant pas aux députés, ni aux candidats
aux législatives, comme c’était le cas autrefois où
le Bloc national et le Bloc constitutionnel s’affrontaient en permanence.
La R.P.N. s’était opposée au gouvernement Hariri quand
celui-ci réclamait le droit d’émettre des bons du Trésor,
en vue de couvrir une partie de la dette publique. Or, le président
Hoss s’oriente aujourd’hui dans le même sens...
Nous nous sommes opposés à cette tendance avant la révision
de l’article 6 du budget. Mais quand le gouvernement dispose du droit de
contracter des prêts sans dépasser un plafond déterminé
à l’avance, il peut agir dans les limites définies par l’Assemblée.