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PAS DE FEZ POUR BILL...

L’absence du chef de l’Etat syrien à Rabat, aux obsèques du roi du Maroc, a suscité beaucoup de réactions dans le monde occidental et en Israël. On s’est perdu en conjectures sur les raisons de cette absence. On a parlé d’état de santé; puis, on s’est fixé sur cette explication: M. Hafez Assad s’est abstenu pour ne pas se trouver face à face avec M. Barak et être obligé de lui serrer la main. Il semblerait, en effet, que M. Clinton et son entourage avaient imaginé pouvoir provoquer cette rencontre, de même qu’ils avaient combiné celle de M. Barak avec M. Bouteflika, le président algérien.
Comment le président syrien pouvait-il laisser passer cette occasion? C’est ce que Américains  et Israéliens n’arrivent pas à comprendre. Or, c’est leur étonnement qui est la chose la plus étonnante. Leur méconnaissance de l’état d’esprit du monde arabe est préoccupante. Comment ont-ils pu imaginer une manœuvre aussi futile destinée uniquement à la propagande, à donner l’illusion qu’une poignée de mains, dans des circonstances pareilles, pourrait faire avancer le processus de paix?
Depuis lors, M. Barak, comme tous ses prédécesseurs, s’est mis à insister sur la nécessité de rencontrer, personnellement, le président syrien. “Cela irait droit au cœur de la population israélienne”, se plait-on à souligner en évoquant, une fois de plus, la démarche inouïe de Sadate arrivant à Jérusalem. On oublie un peu facilement que ce n’est pas cette visite du président égyptien qui avait permis de conclure la paix, mais bien la pression finale des Etats-Unis sur M. Begin, à Camp David. Car la visite de M. Sadate n’avait en rien attendri le cœur de pierre du chef du gouvernement israélien, ni atténué ses exigences.

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Aujourd’hui, par contre et à supposer même qu’un geste de courtoisie ou une rencontre personnelle puisse avoir un effet psychologique utile à la paix, on ne pourrait tabler sur aucune pression américaine pour faire avancer une négociation. M. Barak a dit nettement qu’il refuse non seulement une quelconque pression de la part de son allié, mais qu’il le prie de s’abstenir de toute initiative.
Tout indique, au surplus, que Washington est entièrement acquis aux tactiques de M. Barak. On a vu que la première visite de ce dernier à la Maison-Blanche s’est traduite par une augmentation massive de crédits et pour des livraisons spectaculaires d’armes modernes, sous-marins et avions. Le nombre d’appareils F16 dont l’aviation israélienne sera dotée, n’est dépassé que par celui de l’aviation américaine.
C’est ainsi que M. Clinton encourage Israël à faire la paix.
Le président américain ne râte pas une occasion de manifester sa sympathie à la communauté juive. Il arbore sur son crâne la fameuse calotte, un des signes d’identification des juifs croyants, appelée “kippa”, chaque fois qu’il participe à une cérémonie en Israël. Et pour couronner le tout, il vient de refuser de prendre la parole, comme il le doit en tant que président du pays hôte, à la prochaine ouverture de l’Assemblée générale de l’ONU, le 20 septembre, parce qu’elle coïncide avec la fête israélite du “yom kippour”. Il a demandé un ajournement de la date d’ouverture. L’ONU a refusé. Il a remis son discours au lendemain.
De même que l’aide militaire et financière, tous ces gestes de courtoisie vont dans le même sens: gagner les faveurs de la communauté juive. La paix avec les Arabes semble être devenue le dernier de ses soucis.
Mme Hillary Clinton est en pleine campagne à New York pour se faire élire sénateur de cette circonscription où l’influence juive est dominante. Si elle est élue, irait-elle jusqu’à proposer le respect strict du sabbat par l’interdiction du trafic automobile dans la Vème Avenue depuis le vendredi soir? New York ou la nouvelle Jérusalem! Il n’y manquerait que le Mur des Lamentations. Mais il y a la Maison-Blanche dont les réponses sont toujours sonnantes et trébuchantes.

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A la Syrie, au Liban et aux Palestiniens, M. Clinton a adressé des messages encourageants qui se résument en cette proposition: avec Barak, vous avez une chance; il faut la saisir.
Et si cette chance ne pouvait pas être saisie à cause des intransigeances de M. Barak, à cause des handicaps électoraux de M. et Mme Clinton, la paix cesserait-elle d’être une priorité pour la dernière année du mandat du président américain?
Que M. Clinton témoigne d’une sympathique compréhension de l’état d’esprit des Israéliens, on ne songe pas à le lui reprocher. Mais où sont les mêmes témoignages de compréhension à l’égard de l’opinion arabe?
M. Clinton irait-il jusqu’à se coiffer du “keffieh” et du “agal” en visitant Gaza? Ou demanderait-il l’ajournement de l’ouverture de l’Assemblée générale de l’ONU si la date coïncidait avec le “eid el-kébir”? En tout cas, il n’a pas adopté le fez marocain aux obsèques de Hassan II.
Soyons sérieux!
Quand la diplomatie de la plus grande puissance du monde se ramène, en Orient, à un spectacle médiatique, sur fond de préoccupations électorales, peut-on encore parier sur la paix? 


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