L’imam
Mohamed Mahdi Chamseddine, président du Conseil supérieur
chiite, observe l’évolution de la conjoncture, tant locale que régionale,
avec minutie, émettant à son sujet des réflexions
marquées par le bon sens et la sagesse.
En ce qui concerne les questions vitales engageant l’avenir de la patrie, le dignitaire chiite se considère comme l’un des présidents du Liban et non le chef spirituel de sa communauté. Au moment où il est de nouveau question d’une éventuelle relance du processus de paix, le président du C.S.C. pense que le Liban n’a pas intérêt à négocier avec Israël. “Nous n’avons confiance en personne et n’attendons rien des autres”, ajoute-t-il, en se prononçant en faveur du maintien de la concomitance des volets libanais et syrien. Au plan interne, il appelle tous les Libanais à saisir l’occasion de la présence du président Emile Lahoud à la tête de l’Etat et, surtout, à ne pas la perdre, car il est déterminé à réaliser le projet national sur la base duquel il a été élu à la magistrature suprême. |
Invité à émettre une opinion sur la vague d’optimisme
ayant suivi l’accession d’Ehud Barak à la présidence du Conseil
en Israël, l’imam Chamseddine répond: Les quatre “non” proclamés
par le successeur de Netanyahu ne rassurent guère, surtout son opposition
au retour des réfugiés palestiniens et sa prise de position
envers Jérusalem ou le retrait du Golan jusqu’aux frontières
du 4 juin 1967.
C’est pourquoi, je demande aux souverains et chefs d’Etat arabes de
se montrer prudents vis-à-vis de tout appel en vue de la reprise
des négociations de paix, car nous n’avons aucun intérêt
à les réengager... D’aucuns pourraient dire que la nation
arabe est fatiguée et veut en finir du conflit avec l’Etat hébreu
à tout prix. Tel n’est pas le cas des peuples qui sont prêts
à poursuivre la lutte pour récupérer leurs droits
spoliés. Que reste-t-il des principes définis à la
conférence de Madrid, surtout du principe de “la terre contre la
paix?”
Et d’ajouter: Ni le Liban, ni la Syrie ne se trouvent dans une impasse.
Des portions de nos territoires sont occupées depuis vingt ans et
nous sommes disposés à poursuivre la lutte pendant vingt
autres années pour les récupérer.
Certaines parties veulent en finir et sauver la situation palestinienne
interne. Ceci ne me concerne pas. Ce qui m’intéresse au plus haut
point, c’est la mosquée Al-Aksa, l’église de la Résurrection
et la présence arabe à Jérusalem, spécialement
les chrétiens, ainsi que le retour des réfugiés palestiniens.
Pour cette raison, je soutiens que nous ne devons pas négocier.
Que pensez-vous de l’implantation?
A propos de cette question, je ne suis pas, uniquement, le chef spirituel
de ma communauté, mais l’un des présidents du Liban, comme
dans toutes les grandes questions nationales engageant l’avenir de la patrie.
L’implantation est la pire chose qui pourrait se réaliser, car
elle affecterait non seulement le Liban, mais les Arabes et les Palestiniens,
car elle n’est dans l’intérêt de personne. Je conseille à
l’Etat de mobiliser toutes ses forces et ses institutions pour combattre
l’implantation, projet d’inspiration sioniste.
On dit que l’implantation a été proposée au
Liban en contrepartie de la suppression de ses dettes qui se montent à
plus de 18 milliards de dollars. Qu’en pensez-vous?
Il s’agit d’une logique criminelle. Le simple fait d’y penser est un
crime; car cela équivaudrait pour un homme de transiger sur son
honneur et sa famille qu’il serait prêt à échanger
contre de l’argent.
Les Libanais sont prêts à supporter leurs dettes, quel
qu’en soit le montant, mais non le lourd fardeau de l’implantation. Franchement,
si notre peuple refuse l’implantation, aucune force au monde ne peut l’imposer;
ni l’Amérique, ni l’Europe.
L’unique solution au problème des réfugiés palestiniens
réside dans leur retour en Palestine qui peut intégrer des
milliers de ses fils, comme l’Etat hébreu est ouvert à tous
les juifs du globe! Que les Etats-Unis trouvent une solution aux réfugiés
palestiniens qui ne soit pas aux dépens des pays d’accueil. Il n’est
pas logique que le Liban installe, définitivement, des centaines
de milliers de Palestiniens après leur avoir accordé l’hospitalité
pendant trente ans.
L’action de la Résistance est-elle liée au retrait
israélien du Liban-Sud seul ou bien du Sud et du Golan?
Elle est liée au retrait des deux régions. En ce qui
concerne la paix, je n’y crois pas; il s’agirait plutôt de “capitulation”.
Le retrait doit s’effectuer d’une manière parfaite, d’après
le projet du président Hafez Assad.
Si Israël se retirait du Sud et refusait d’évacuer le Golan,
nous continuerions à nous battre, car la présence des Israéliens
sur les hauteurs du Golan, constituerait une menace permanente à
notre sécurité.
Puis, j’insiste pour obtenir des garanties quant au non retour de l’occupant,
car je n’ai confiance en aucune partie. Ni les Nations Unies, ni l’Amérique,
ni l’Europe occidentale ne me rassurent. J’avais tenu les mêmes propos
en 1982, à l’occasion de la fête d’Achoura. Je redis les mêmes
paroles dix-sept ans plus tard car, pratiquement, rien n’a changé.
Comment jugez-vous la situation intérieure, la gestion gouvernementale
et le style du nouveau régime?
Nous soutenons le président Lahoud, que nous considérons
comme une occasion nationale que les Libanais sont appelés à
saisir et à ne pas perdre.
L’action de l’actuel gouvernement est saine et espérons qu’il
satisfera les citoyens et répondra à leurs besoins.
Qu’auriez-vous à dire à propos des dossiers et des
enquêtes en cours, surtout en ce qui concerne la réforme administrative?
J’appuie la réforme administrative et demande qu’elle soit réalisée
dans le cadre de la Justice, sans l’arrêter pour n’importe quelle
considération, la magistrature devant avoir son rôle à
jouer, après le renforcement des prérogatives du Pouvoir
judiciaire.
Quel est votre point de vue en ce qui a trait à la nouvelle
loi électorale, au nombre des membres de l’Assemblée et au
découpage des circonscriptions?
Les effectifs de la Chambre peuvent augmenter ou être réduits
selon les impératifs de l’heure, mais j’estime que le nombre actuel
des députés est convenable.
Quant à la circonscription, je suis d’avis qu’il faut s’en tenir
à celle définie par l’accord de Taëf, c’est-à-dire
au mohafazat. Cette formule me paraît la plus valable pour
l’étape actuelle.
Craignez-vous sur les libertés au Liban et, spécialement,
la liberté d’expression?
Pas du tout. Il me semble que rien ne suscite l’inquiétude dans
ce domaine.
Après avoir réclamé l’abolition du confessionnalisme
politique, vous préconisez son maintien et vous vous opposez
à son abolition dans un avenir prévisible. Pourquoi?
Je suis toujours pour l’abolition du confessionnalisme politique et
je l’ai proposé dans une étude sur “la démocratie
numérique basée sur le principe de la concertation”. Mais
j’ai beaucoup réfléchi à la situation qui prévaut
dans le pays. L’accord de Taëf a trouvé une solution politique
à la crise, alors que nous avons besoin d’une solution psychologique.
C’est pourquoi, il faut retirer le projet relatif à l’abolition
du confessionnalisme politique, jusqu’à assurer des convictions
réelles de manière à ce que nous nous acceptions les
uns les autres, sur la base des principes définis par l’accord de
Taëf ou ce qu’il est convenu d’appeler le document de l’entente nationale.
Ainsi, on pourra garantir une représentation nationale saine
et authentique et la prise d’une décision politique, économique
et à tous les plans. C’est une question d’ordre pédagogique
et un jour viendra où il nous sera possible d’élaborer une
loi abolissant le confessionnalisme d’une façon ou d’une autre et
progressivement, dans un délai qui pourrait s’étendre sur
dix ou vingt ans. Actuellement, le timing ne se prête pas pour une
telle opération.