Le soleil noir
Partie des côtes de la Nouvelle Ecosse au Canada, dans l’Atlantique-Nord,
à 08h47 GMT, la course céleste a franchi 14.000 kilomètres
à la vitesse de 2.800km/h, atteint les Cornouailles et s’est achevée
trois heures et sept minutes plus tard dans le golfe du Bengale dans l’Océan
indien. Sur cette trajectoire en des lieux privilégiés, la
lune (formée il y a 4,5 milliards d’années, d’une masse de
73,5 milliards de milliards de tonnes représentant 1,23% de la masse
de la terre) bien que 400 fois plus petite que le soleil (masse 2x1027
tonnes), mais 400 fois plus proche de la terre, est parvenue à masquer,
partiellement, ou totalement l’astre du jour, devenu le “Soleil noir” en
une poignée de secondes inscrites de toute éternité
dans l’infini du temps. Soudain et rapidement, une lumière blafarde
a donné l’image d’un crépuscule surréaliste et d’une
nuit si courte, qu’elle s’est vite parée de lumière: une
couronne de diamant entourant le soleil, lequel a retrouvé progressivement
sa splendeur.
Cela a commencé par un petit grignotage du soleil transformé
lentement en croissant et perdant de son volume pour se limiter à
un cercle fin, disparu derrière la lune. Cette disparition présente
des irrégularités; des protubérances apparaissent
en raison des montagnes et des cratères de la lune qui laissent
transparaître de petits brillants qui finiront par plonger dans la
nuit. Les couleurs irradiées sont absolument merveilleuses: du bleu,
du rose, du mauve, le tout nimbé dans la lumière du diamant.
L’alignement de la terre, du soleil et de la lune est quasi magique. Des
privilégiés aperçoivent la planète Vénus
et espèrent admirer certaines constellations. Les oiseaux effarouchés
se mettent à voler dans tous les sens. Les animaux domestiques continuent
à explorer leur espace. Et des centaines de millions de terriens
suivent dans l’extase ou la folie la dernière éclipse du
millénaire. Puis, la couronne de diamant annonce la victoire du
soleil sur la lune. Le croissant de soleil se reconstitue et gagne en volume
pour devenir tout rond. L’éclipse a achevé sa course.
LES ROUMAINS PRIVILÉGIÉS
Les privilégiés, ce sont notamment les Roumains et leurs
hôtes qui ont assisté à Bucarest à la plus longue
éclipse totale: 2 minutes et 26 secondes. Le spectacle prévu
était tel qu’une foule de personnalités internationales,
dont le directeur de la Nasa avaient choisi de se déplacer et de
le suivre sur place. Des astronomes en provenance de vingt pays sont venus
participer dans la capitale roumaine à un séminaire organisé
par l’Institut astronomique de l’Académie roumaine sous le patronage
de l’Otan. Luciano Pavarotti a célébré l’événement
en donnant un récital sur l’esplanade du Palais du peuple. La musique
a, également, marqué l’événement en Turquie
où l’éclipse fut totale dans un ciel pur et dégagé
avec le concert de l’Orchestre philharmonique de Vienne. Dans le nord-est
de la Syrie à Ain Douar, le spectacle fut également éblouissant.
Une délégation de scientifiques et d’étudiants libanais
s’y étaient rendus pour y suivre de près l’événement.
C’est dans la presqu’île des Cornouailles, au sud de l’Angleterre,
que la course céleste avait commencé en Europe. Les ferry-boat
avaient affiché complet depuis des mois; les hôtels et les
campings aussi. Pas une place sous le “Soleil noir”. Et d’aucuns avaient
attendu le retour du roi Arthur accompagnant en vain les performances des
druides. Les nuages et la pluie ont gâché le spectacle, mais
l’éclipse a pu quand même être observée. En cas
de mauvais temps, l’Agence spatiale européenne devait retransmettre
les images de l’éclipse à partir de sites d’observation de
l’Atlantique jusqu’à la Roumanie. Car le temps s’est également
gâté en France où 5.000 communes dans dix-sept départements
s’étaient préparées à observer l’éclipse
du soleil par la lune. 5 à 6 millions de personnes y étaient
attendues. Des trains spéciaux supplémentaires avaient été
programmés. 150 scientifiques américains avaient déjà
réservé leur chambre d’hôtel à Mez dès
1996. A Fécamp, 900 appareils d’observation avaient été
implantés sur une falaise, manipulés par 30.000 astronomes
américains et européens. Là, un village de l’éclipse
avait été construit et les touristes et citoyens, munis de
lunettes spéciales, ont pu y observer l’éclipse totale.
PROCHAINE ÉCLIPSE: LE 21 JUIN 2001
Dans tous les pays témoins de l’événement, la course
folle accompagnant l’événement avait emprunté des
canaux variés. Des conférences avaient pour thèmes
le soleil et le vent, des expositions étaient consacrées
aux astres, les parcs des châteaux, les places publiques avaient
accueilli des spectacles, des récitals de contes et de poèmes,
des défilés folkloriques, des fêtes populaires. L’imagination
avait fait des bonds. On avait même campé dans les forêts
pour mieux apercevoir le rendez-vous du soleil avec la lune. Les plus fortunés
ont choisi le Concorde pour observer, à partir du ciel, l’événement.
L’Allemagne qui a pu bénéficier du beau temps contrarié
par les nuages, a mis sur pied un programme de festivités à
couper le souffle. Rien n’a été épargné pour
faire de l’éclipse l’événement du siècle. Partout,
la fête avait battu son plein, hormis le Liban où les gens
envers lesquels les mises en garde se sont multipliées, sont restés
terrés chez eux, rideaux tirés, les yeux rivés sur
le petit écran, se hasardant parfois à regarder le phénomène
à travers les lunettes spéciales. En revanche, les étudiants
à la curiosité aiguisée, ont suivi avec grand intérêt
l’éclipse qui restera gravée dans leurs mémoires.
L’éclipse s’est produite à 82-85% au Liban entre 13 heures
12 et 15 heures 58, avec une apogée à 14h39mn19,0 secondes.
Beyrouth a été enveloppée d’une légère
pénombre et le Liban-Nord secoué même par un léger
séisme, loin des airs de fêtes des grandes capitales. Alors
que des prières spéciales ont été récitées
dans le monde musulman, les Iraniens ont rejoint les scientifiques et célébré
l’événement par une fête musicale. Il n’y eut ni grands
tremblements de terre, ni inondations, ni épidémies. La station
Mir n’est pas tombée sur Paris, comme l’avait prévu Paco
Rabane. L’Apocalypse que d’aucuns craignaient, sera pour d’autres temps.
La prochaine éclipse solaire aura lieu le 21 juin 2001 en Afrique
australe. Les Européens devront attendre septembre 2081 pour l’apercevoir.
La dernière en date avait eu lieu en 1961. En fait, les éclipses
totales surviennent deux fois par an, sans témoins au-dessus des
déserts ou des océans. C’est l’homme-témoin qui valorise
l’univers.