tribune
UN CAS EXEMPLAIRE: ZOUK
 
Il faut y revenir sans cesse car le sujet engage la responsabilité, aussi bien des autorités municipales que celle des éducateurs (familles et écoles).
C’est dans la rue qu’on mesure la distance qui sépare un pays civilisé d’un pays primitif. L’état de la rue et de ses équipements (chaussée, trottoirs, passages piétonniers, feux et panneaux de signalisation), sont à la charge des édiles. Quand ces équipements existent et sont rationnellement conçus (et entretenus), le comportement de l’automobiliste et du piéton dans cet environnement témoigne, à son tour, de la distance qui existe entre un citoyen doté de sens civique et de conscience et un citoyen qui ne serait qu’un individu à l’état brut.
Faut-il en dire davantage? Il n’y a qu’à observer un moment le spectacle de la rue à Beyrouth. Une simple conclusion s’impose: c’est une sorte de jungle. Ne dites pas que dans la jungle, les diverses espèces d’animaux connaissent leurs limites territoriales respectives. Nous ne sommes pas des animaux sauvages. Nous bénéficions d’un autre sens de la liberté qui s’appelle anarchie.

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Comme nombre de Libanais, j’ai beaucoup voyagé. J’ai parcouru en voiture plusieurs pays d’Europe et d’Amérique. J’ai arpenté à pied de nombreuses villes. Partout, on y prend plaisir. Voici un exemple qui n’est sans doute pas décisif mais nous change énormément de ce que nous voyons autour de nous:
Dans une petite ville de Californie où j’ai fait de longs séjours, dans la célèbre région de Palo Alto et de l’Université de Stanford, à Menlo Park, il n’y a que la rue commerciale qui soit dotée de feux de signalisation. Ils sont naturellement strictement respectés. Dans le reste de l’agglomération, il n’y a que des panneaux de signalisation, en particulier des “STOP” à tous les carrefours. Il n’y a pas beaucoup de trafic et, cependant, chaque fois qu’une voiture arrive à un “STOP”, elle s’arrête; le conducteur ne se contente pas de ralentir, il freine complètement avant de redémarrer; et si, au même moment, une autre voiture s’arrête à ce croisement, l’un des automobilistes fait signe courtoisement à l’autre d’avancer le premier. Et cela se passe exactement de la même façon si trois ou quatre voitures se rencontrent au même croisement.
Il y a, aussi, de larges trottoirs et si un piéton s’arrête brusquement dans l’intention de traverser, dès qu’il pose un pied sur la chaussée (et parfois avant même), la voiture qui arrive de loin freine et s’arrête aussitôt pour le laisser passer. Je l’ai vérifié plusieurs fois par simple curiosité. Cela ne rate jamais.
Est-ce qu’il y a une police de la route ou un système quelconque de gardiennage? Sûrement, mais généralement invisibles sauf dans des ensembles résidentiels souvent clôturés et peu fréquentés.
Vous penserez, naturellement, que ce qui est ainsi possible dans une petite ville serait inconcevable dans une métropole, New York ou Paris, par exemple. Et vous aurez raison. Mais nous avons, aussi, nos petites villes. Elles n’ont pas de trottoirs, la chaussée y est souvent en mauvais état, il n’y a pas de signalisation routière ou elle n’est pas respectée. Voyez donc nos stations cossues dites d’estivage ou de villégiature. On s’y conduit communément avec la mentalité d’une époque où les moyens de transport étaient le mulet et le baudet; mais aujourd’hui, ce sont des automobiles qui incitent aux excès de vitesse.
Cela ne laisse aucune possibilité au villégiateur de se promener à pied tranquillement.
Vous observerez, avec raison encore, que nos municipalités sont pauvres et que les taxes et les impôts sont rarement payés. Il y a, pourtant, le cas de Zouk-Mikaël dont on a beaucoup parlé comme d’une ville exemplaire et qui vient d’être honoré par l’Unesco.
Qu’est-ce que cela prouve? Simplement, que tout est possible, mais qu’il faut une volonté. Et un président de municipalité intelligent. C’est apparemment un oiseau rare.

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Ce que j’écris là paraîtra comme une banalité pour nombre de lecteurs davantage intéressés par les polémiques de petite politique nationale ou par les grands problèmes mondiaux sur lesquels nous n’avons aucune influence. J’enfonce, en effet, des portes ouvertes. Les Libanais voyagent tellement. Ils ont beaucoup vu et beaucoup appris. Je ne leur révèle donc rien. Or, dès qu’ils détiennent une parcelle du pouvoir administratif ou politique, ils sont pratiquement démissionnaires et s’abritent derrière tous les prétextes pour laisser faire la nature. Et les autres, dès qu’ils se lancent dans les rues, dans leur voiture, ne sont plus animés que par un esprit combatif, par une volonté agressive. Lois, règlements, courtoisie?... A d’autres! Qu’ont-ils donc appris?
Les sociologues pourraient peut-être nous apporter une explication à ce phénomène. Pour ma part, je m’en tiens à une simple observation: l’éducation du citoyen ne peut pas se fonder sur le seul discours théorique, ni sur la seule menace de sanctions légales; il faut, d’abord, créer l’environnement technique pour rendre pertinente l’application des lois avec les règles de courtoisie et de sécurité. Autrement, règles et lois tombent en désuétude.
Et cela, c’est la responsabilité des détenteurs du pouvoir politique et du pouvoir municipal. 


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