Le VIIIème
Sommet de la Francophonie qui aura lieu à Moncton du 3 au 5 septembre,
précède celui qui se tiendra à Beyrouth, en l’an 2001.
Cette réunion officielle de 52 chefs d’Etat et de gouvernement ayant
le français en partage, fait l’objet d’une préparation extraordinaire
de la part d’une petite communauté de 110.000 habitants. Notre envoyé
spécial lève le rideau sur la préparation logistique
de cet événement et sur ses retombées positives pour
la ville.
Par Gisèle Eid
Le paisible aéroport de Moncton: ses comptoirs, ses deux petits
salons et sa cafétéria sont bondés de monde. Pas de
place pour s’asseoir. Une extrême affluence pour cette aérogare
qui dessert si calmement d’habitude les quelques hommes d’affaires, les
vacanciers ou les étudiants qui commencent habituellement à
arriver à cette époque de l’année à son université
francophone.
Toute cette agitation se comprend dès que l’on sait ce qui s’y prépare.
Un sommet stratégique de chefs d’Etat mais, aussi, une profusion
de manifestations artistiques, de concours sportifs, de parades... Toute
la ville fête avec fierté la francophonie.
![]() |
![]() Festival acadien début juillet à Ste Anne du Ruisseau. |
MONCTON: CHEF-LIEU DES ACADIENS
Mais pourquoi avoir choisi Moncton, cette petite ville du sud-est du Canada,
coincée entre le Québec et le nord des Etats-Unis? Il faut
savoir que parmi les dix provinces et les trois territoires qui forment
le Canada, majoritairement anglophone (à part la province du Québec),
seul le Nouveau-Brunswick, une des quatre provinces de l’Atlantique, est
officiellement bilingue (35% de sa population est francophone) et regroupe
à Moncton la plus grande concentration urbaine d’Acadiens.
“L’Acadie est toujours au même endroit, là où la France
l’a quittée en 1713 pour la céder corps et biens au roi d’Angleterre”.
C’est en ces termes qu’Antonine Maillet, prix Goncourt 1979, a porté
sur les plateaux de Bernard Pivot l’histoire douloureuse des Acadiens.
D’origine française, ce peuple modeste, installé au XVIIème
siècle sur la côte atlantique nord, farouchement accroché
à sa culture, refusa de prêter allégeance inconditionnelle
à la Couronne d’Angleterre. Cela lui a valu les foudres du grand
colonisateur anglais qui, un sombre matin de septembre 1755, encercla sans
prévenir les villages et réunit les hommes devant l’église
pour leur apprendre que leurs familles ont été déportées,
leurs moissons, leur bétail et leurs cultures confisqués
et leurs habitations incendiées, comme pour mieux anéantir
tout espoir de retour. 8.000 Acadiens furent exilés, ainsi, vers
la Nouvelle Angleterre et l’Europe et un grand nombre périt en mer.
Cette déportation a longtemps nourri leur imaginaire et constitue
un thème récurrent de leur art et de leur littérature.
En 1763, après la Guerre de Sept ans, avec le Traité de Paris,
commença à s’amorçer un vaste mouvement de retour.
Mais ce n’est qu’en 1994, à Moncton même, que se sont déroulées
les premières grandes retrouvailles des Acadiens, dispersés
dans le monde. Les campagnes étaient perlées de petits fanions
tricolores sertis de l’étoile dorée. Le drapeau des Acadiens
chapeauté d’un joyeux “Fêtons” décorait tous les jardins
et maisons des Boudreau, Mélanson, Cormier, Arseneault, LeBlanc
et tant d’autres. Cet été 1999, à la fête de
l’Assomption, le 15 août, fête nationale des Acadiens, c’est
en Louisianne qu’ils ont célébré, à l’occasion
de leur deuxième congrès international, leur fierté
et leur joie d’appartenir à un peuple bien vivace, malgré
leur apparente assimilation par les anglophones.
“LA FRANCOPHONIE: UN MONDE À PARTAGER”
Aussitôt que Moncton fut désignée (à Hanoi)
pour recevoir le VIIIème sommet de la francophonie, c’est bien tout
le Canada qui se met en branle.
“Le Sommet brisera les clichés qui font de l’Acadie un mythe, un
folklore; il fera découvrir une Acadie dynamique qui maintient ses
traditions tout en évoluant dans la modernité”, affirme M.
René Légère, secrétaire général
de la Société nationale d’Acadie, créée en
1881, porte-parole du peuple acadien sur la scène internationale
et qui regroupe les associations acadiennes des provinces du Nouveau-Brunswick,
de la Nouvelle Ecosse, de l’Ile du Prince Edouard, de Terre-neuve et celle
des Iles de la Madeleine. Et d’ajouter: “Il est vrai que c’est un événement
significatif pour la communauté acadienne, mais il n’en demeure
pas moins organisé par le gouvernement canadien.”
En effet, le ministre du Patrimoine, Mme Sheila Copps, en invitant tous
les Canadiens, anglophones et francophones, à participer aux activités
associées à cet événement, a clairement affirmé
la contribution de la francophonie à l’identité collective
nationale et a lancé, à travers tout le Canada, “L’Année
de la francophonie”, de mars 1999 à mars 2000, ce qui a eu pour
effet de susciter, en marge du sommet, toute une foule d’activités
périphériques dont:
- Les rendez-vous de la francophonie dans toutes les régions du
pays.
- Le grand train de la francophonie qui partira de Vancouver (sur le Pacifique)
et atteindra, la veille du Sommet, Moncton (sur l’Atlantique).
- Les premiers jeux (sportifs) de la francophonie canadienne.
- Le forum dialogue entre les diverses composantes de la société
canadienne.
- Un lieu de rencontre sur internet pour jeunes et écoles.
- Des célébrations de la francophonie canadienne au Manitoba,
en marge des jeux panaméricains.
![]() La fierté acadienne est imprévisible! |
![]() Les “pots de fleurs” aux Rocks de Hopewell Cape, façonnés par la marée. |
LA JEUNESSE: THÉMATIQUE DE CE VIIIème
SOMMET
Ainsi, des projets innombrables se font dans le pays et plus particulièrement
au Nouveau -Brunswick. Dans la mêlée et pas exhaustivement:
- Tables rondes (6) sur des questions concernant la jeunesse: ses droits,
son rôle dans l’économie, le développement durable,
etc.
- Jumelages d’écoles francophones.
- Sélection de 52 jeunes à travers le Canada pour servir
de pages aux chefs d’Etat.
- Projet radio-jeunesse: stage de formation (tehnique et théorique)
et mise en ondes de plusieurs jeunes.
- Forum international sur internet dans le but d’élaborer un plan
d’action du sommet.
- Confection de cadeaux à offrir aux chefs d’Etat.
- Concours de rédaction sur l’impact du sommet sur l’avenir.
Mais le sommet a aussi généré une foule d’autres événements
mobilisant la population dans son ensemble:
- Forum des gens d’affaires francophones.
- Forum francophone des affaires.
- Foire commerciale internationale.
- Concours de décoration de maisons, de coloriage (pour les moins
de 12 ans)...
Une grande fête où chacun se sent concerné. Même
qu’une francophone, installée en Ontario, aurait fait don au comité
organisateur de 200.000 dollars en guise de participation à cet
événement...
![]() Rue piétone. |
![]() Grâce à une pêche très règlementée, on peut avoir encore des prises de ce calibre: un homard de 70 ans pesant une quinzaine de kilos. |
LA FÊTE DANS LA RUE
Sur le terrain et à quelques jours du sommet, Moncton est en pleine
effervescence. Au-delà de la rencontre officielle et rigoureuse
du sommet, les responsables ont voulu dynamiser l’événement
et en faire une fête populaire en y associant les jeunes mais aussi
les familles.
En se promenant sous le soleil d’août parmi les immeubles en briques
et les pots de fleurs suspendus, c’est la ville entière qui s’affaire
calmement mais joyeusement.
L’avenante bibliothèque nationale affiche tous les drapeaux des
Etats participants et les livres les concernant. Les affiches aux gaies
couleurs de la francophonie décorent les vitrines. Les devantures
sont repeintes, les routes refaites, les enseignes lustrées, les
parcs rénovés ou carrément créés; même
les commerçants anglophones ont placardé sur le devant de
leur boutique leur niveau de connaissance du français...
Organisé par l’Association acadienne des artistes professionnels
du Nouveau -Brunswick, le symposium d’art actuel en lançant sa campagne
de jaune (décoration, panneaux, bacs fleuris...) a suscité
toute une déferlante d’activités directement inspirée
du Mascaret, ce phénomène de marée qui prend d’assaut
la rivière Petitcodiac. Moncton est quadrillé de ces panneaux
jaunes invitant les gens à profiter de l’ensemble des manifestations
artistiques en plein air à plusieurs endroits et à différents
moments de la journée ou de la nuit. Des artistes francophones locaux
et étrangers ont occupé les espaces quotidiens du paysage
urbain: tableaux vivants, constructions spontanées, projets interactifs,
créations des sculpteurs en direct, performances, manœuvres de rue,
soirées de poésie et de musique, atelier de dessins animés...
![]() Notre collègue devant le panneau expliquant le phénomène du Mascaret (marée unique au monde). |
![]() Jean Bélanger (Ontario) devant une de ses œuvres face à la rivière Petitcodiac. |
LE VILLAGE DE LA FRANCOPHONIE
Organisé par la communauté de Dieppe (qui, avec Riverview
et Moncton, forment le grand Moncton), le Village de la francophonie constitue
pour le peuple l’occasion de participer directement au sommet. Durant cinq
jours, une ronde d’activités attend 125.000 personnes. Dix provinces
canadiennes et trois territoires se mêleront aux francophones de
la planète dans une animation continue (plus de 100 spectacles),
sur plus de 50.000 mètres carrés au sein de 60 kiosques montés
sous des tentes et des chapiteaux.
Plusieurs sites sont prévus: Place de l’Acadie, le Pavillon du Canada,
le Carrefour des arts, la Muraille de la francophonie (enfants-artistes
en herbe), Mur franco-fou (cartes postales créées par les
enfants canadiens), la mosaïque francophone, les traditions amérindiennes,
rigolades enfantines, etc. La programmation culturelle riche et variée
prévoit chaque soir et selon une thématique différente,
un spectacle qui réflètera les différents accents
provinciaux, nationaux et internationaux de la francophonie. Ainsi, le
groupe libanais les “Mouwachahat” et les danseuses libanaises “Al-Arz”
participeront aux deux soirées “Soubresauts” et “Violissimo” (le
violon est l’instrument de prédilection des Acadiens).
Tam-tam, tambour, cloches, djembés, congas, c’est un véritable
tour du monde durant une semaine qu’une “parade des couleurs” clôturera.
Ce défilé de groupes d’animation, danseurs, musiciens, comédiens
et chars allégoriques sur trois kilomètres aux couleurs de
la francophonie (jaune, vert, violet, rouge et bleu) prévoit de
raconter l’histoire de l’Acadie et a bénéficié de
l’expertise d’une consultante en carnaval auprès de l’Unesco. Annie
Sidro, historienne du carnaval de Nice, a donné des ateliers de
formation aux jeunes afin de mieux préparer cette manifestation.
Costumes, chars, grosses têtes en papier mâché, moules
de plâtre... De quoi occuper les jeunes durant tout l’été.
![]() L’affiche du Village de la francophonie. |
![]() Jean Bélanger (Ontario) devant une de ses œuvres face à la rivière Petitcodiac. |
![]() Jean Bélanger (Ontario) devant une de ses œuvres face à la rivière Petitcodiac. |
![]() Jean Bélanger (Ontario) devant une de ses œuvres face à la rivière Petitcodiac. |
Moncton: mélange d’humilité
acadienne et de rigueur anglaise A l’instar de ces gens heureux qui n’ont pas d’histoire, Moncton est une ville paisible d’Amérique du Nord à taille humaine, située à 20km de l’Océan Atlantique. Animée aux heures de travail grâce, notamment, à deux grands hôpitaux, les bureaux de Radio-Canada (la télévision nationale), une importante université francophone, de grands centres d’achat et de nombreux commerces, Moncton sait aussi se reposer. Les Monctoniens, leurs blondes (le même nom désigne aussi bien la bière que la petite amie), le hockey, les activités communautaires et l’acadien qu’on parle chez soi (curieux mélange de vieux français, de succédanés d’américain et de tournures anglaises)... la vie ici coule doucement à l’instar de la Peticodiac, rivière couleur chocolat dont le niveau monte et descend d’un à deux mètres tous les jours. Bercés par le Mascaret, (ce nom désigne cette vague unique qui vient de la mer et remplit le lit de la rivière), les habitants de toute la région sont principalement des fermiers qui cultivent notamment la pomme de terre (leurs fameuses poutines râpées) et des pêcheurs (leur homard a une réputation internationale). |