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LE "PROCESSUS" EN MUTATION
Ce fameux “processus de paix”, qui nous occupe depuis si longtemps, semble bien désormais réorienté dans un sens que personne, dans les pays arabes, n’avait prévu.
Au départ, le principe qui devait gouverner la négociation entre Israël et ses voisins était celui des “territoires contre la paix”, sur la base des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU. Progressivement, c’est la sécurité  d’Israël qui devient le principe directeur. Ainsi l’avait voulu Netanyahu et le “parrain” américain du processus lui donne raison après coup à travers son successeur, plus souple apparemment et moins brutal en tout cas.
Bien que ses voisins ne le menacent plus, même pas par le discours, bien qu’ils reconnaissent la réalité de son existence légale en tant qu’Etat (ce qui n’était pas le cas autrefois), bien qu’ils lui offrent la paix et bien que les Etats-Unis lui garantissent une supériorité militaire permanente, Israël, tout en aspirant à la paix, continue de cultiver une véritable inquiétude pour son avenir. La démographie, à elle seule, constitue déjà le motif principal de cette inquiétude: les Juifs sont une minorité condamnée à s’amenuiser encore au fil du temps par rapport au développement du monde environnant. En Israël même, le rapport numérique entre Juifs et Arabes risque de se modifier à la longue.
A partir de là, il semble bien que les Arabes, en tout cas Yasser Arafat, les Egyptiens et les Jordaniens, encouragés par les Etats-Unis, sont bien entrés dans ce jeu et s’emploient à rassurer Israël. C’est ainsi que la négociation avec l’Autorité palestinienne a évolué vers des formules qui tiennent davantage compte des soucis sécuritaires d’Israël que des droits des Arabes sur leur terre.
Cela est devenu clair à la faveur de la renégociation de Wye Plantation qui vient d’être conclue avec la signature, aux côtés de celles de Arafat et de Barak, de Mme Albright, du roi Abdallah et du président Hosni Moubarak.

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La continuité de la stratégie israélienne dans la négociation est remarquable en dépit de l’impression contraire qu’avait donnée la phase Netanyahu.
Avec Itshak Rabin, le processus paraissait se poursuivre dans le cadre des principes posés à Madrid. Il ne faut cependant pas oublier que la création de colonies à Gaza et en Cisjordanie avait été conçue, au lendemain de la guerre de 1967, par le même Rabin comme un plan de sécurité pour Israël. Or, cette colonisation constitue une source de conflit essentiel entre le négociateur palestinien et le négociateur israélien. C’est par ce biais que Netanyahu est venu bloquer le processus de paix, dévier les accords d’Oslo de leur cours naturel et ensuite suspendre l’exécution de l’accord de Wye Plantation. Il donnait ainsi un brutal coup de barre à une politique de Rabin qui, à ses yeux, s’écartait dangereusement de l’objectif fondamental d’Israël: la sécurité.
M. Barak, qui partage au fond les mêmes préoccupations que M. Netanyahu, tout en se déclarant fidèle à la tendance plus équivoque de Rabin, a réussi, vis-à-vis des Palestiniens, à concilier les deux tendances tout en ne cédant rien pour l’avenir: le statut final de l’entité palestinienne. Cela promet pour cette ultime négociation un terrible bras de fer. Tout peut encore capoter, par exemple, sur la question de Jérusalem. L’épreuve de force sur ce point, qui met en jeu, au-delà de la sécurité, des symboles religieux et politiques, ne se résoudra pas en dix mois, comme l’annoncent les négociateurs, mais en dix ans, peut-être sinon en cent...
En attendant, il faut noter avec quelle facilité les Américains ont suivi M. Barak dans sa volonté de réviser l’accord de Wye Plantation, alors même qu’il avait été conclu sous l’égide de M. Clinton et porte sa signature. On peut supposer que M. Barak avait des arguments imparables pour réorienter toute l’opération et amener Washington à lui laisser les mains libres, sans davantage s’impliquer dans ce processus.
Qu’était donc venu faire Mme Albright à cette occasion? Donner son aval et offrir aux uns et aux autres des compensations financières et économiques? Ce genre de “pression” est, semble-t-il, toujours le bienvenu.
En sera-t-il encore de même lorsqu’il s’agira du Golan et du Liban-Sud? Et des réfugiés du Liban et d’ailleurs pour lesquels Arafat réclame toujours l’application du “droit au retour”?
On ne peut jurer de rien.

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Pendant longtemps, depuis la naissance du conflit de Palestine, la politique arabe, les arguments, les discours, les guerres, la propagande, toutes les démarches des gouvernements arabes ont été dominés par la notion de droit et de justice. Et l’ONU leur apparaissait, à partir de 1945, comme le lieu où ces notions doivent triompher. L’ONU, pendant cinquante ans, a répondu à leur attente en disant le droit. Mais par l’effet de la “guerre froide” entre l’Est et l’Ouest, les sentences de l’ONU restaient lettre morte. Maintenant, elle est carrément déssaisie.
En allant à Madrid, les Etats arabes et les Palestiniens croyaient que l’heure de passer à l’exécution de ces sentences venait, enfin, de sonner. N’avaient-ils pas donné à la seule grande puissance demeurée sur la scène, la preuve de leur amitié et de leur loyauté en participant à la destruction d’un pays arabe aussi important que l’Irak?
Aujourd’hui, ceux d’entre eux qui ne l’auraient pas encore compris, sont appelés à prendre acte de la mutation profonde qu’a subie ce qu’on a appelé “le processus de paix”. Il ne s’agit plus (peut-être que personne n’y a jamais cru) de dire le droit et de rendre la justice. C’est là une philosophie étrangère au jeu de la politique internationale. Si le discours officiel chez les Arabes s’y réfère encore, c’est pour les besoins de la consommation intérieure, ou par un juridisme formaliste propre à une déformation des professionnels du Barreau. Dans la réalité, il ne s’agit seulement que de garantir la sécurité de l’Etat d’Israël pour les siècles à venir.
Arsenal atomique dans le Neguev en supplément. 


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