ENTRETIEN AVEC LE ROI DE JORDANIE
S.M. ABDALLAH II A MELHEM ET SAËR KARAM:
"JE CROIS QUE LE CADRE DE RETOUR ET DE L'INDEMNISATION
EST LOGIQUE ET ACCEPTABLE POUR UN ARRANGEMENT"

L’élégance et l’aspect extérieur sont une partie du succès. Le président Camille Chamoun et son épouse Zalfa formaient le meilleur couple parmi les présidents par leur prestance.
Le roi Abdallah Ben el-Hussein et la reine Rania apparaissent avec leur jeunesse frappante sur le peuple jordanien, les Arabes et le monde, en tant que couple royal élégant, attirant sous leur apparence éclatante qui influe sur les foules au point de les séduire.
Notre rencontre avec le roi Abdallah a eu lieu au palais dans la région de Hommar à Hachimiah. Ce fut une rencontre faite de simplicité, d’amitié et de bonté, qualités qui caractérisent Sa Majesté, en plus de sa forte personnalité. Il a appris le commandement 
de son père, ajoutant une autre authenticité 
à la sienne. Le souverain est prêt à assumer 
les lourdes charges, les devoirs qui lui incombent passant avant toute chose. 
Il est affecté par tout préjudice qui touche son peuple. Son affection se mêle à la révolution. Ce qui double la valeur personnelle transcendante 
du roi Abdallah, c’est le fait d’avoir été édifiée sur la culture et le savoir. L’homme vous entretient de la société comme l’un de ses grands maîtres et vous cite les détails de l’Histoire comme l’un de ses connaisseurs.
Il est versé en tout et lorsque vous l’entendez parler et analyser, vous réalisez que ce roi n’a pas dévié de la ligne de l’Histoire, comme 
de la profondeur dans la culture et la connaissance.Sa Majesté s’exprime 
avec le langage 
des générations. C’est pourquoi, il se distingue par une vision claire et futuriste dont 
jouissent les gens inspirés.
Les causes de sa patrie, il les a arrosées de son sang et celui qui écrit avec de l’encre, diffère 
de celui qui écrit avec du sang. Le roi est plus que le promoteur d’une pensée, d’une image ou d’un slogan. Il est tout cela à la fois. Avec quel critère peut-on le mesurer et conformément 
à quelle règle le valoriser? Il a vécu avec 
une griserie hachémite permanente, plaçant l’épreuve à supporter aux côtés 
du prestige et de la gloire.
Tel est le problème de quiconque cherche 
à définir le roi Abdallah. C’est pour cela que nous avons épuré nos plumes avant d’aller 
à sa rencontre, sans nous laisser influencer 
par quelque préjugé, ni par un sentiment 
quelle qu’en soit la nature.
Le sourire ne quitte pas ses lèvres. Il exprime tant de bonté et d’innocence qui en font un chef digne de ce nom et nous nous réjouissons de savoir qu’il existe dans notre nation des jeunes de ce niveau.
L’entretien a commencé dès que nous avons fixé sur la pellicule la photo-souvenir qui illustre et enjolive ces pages 
de “La Revue du Liban”.

APPUI AUX FRÈRES LIBANAIS, SYRIENS ET PALESTINIENS
Melhem et Saër Karam: La présence de votre Majesté à la signature de l’accord de Charm el-Cheikh entre Palestiniens et Israéliens, a mis en relief votre rôle dans les négociations. Peut-on connaître ce rôle qui a aidé à l’aboutissement des pourparlers entre les deux parties?
Le roi Abdallah: Nous sommes concernés par la réactivation de l’opération de paix pour lui permettre de dépasser les obstacles qui émergent de temps à autre au cours des négociations. Car nous avons foi en ce que la paix est une option stratégique pour les peuples de la région.
Pour instaurer cette paix, les négociations doivent progresser sur tous les volets pour atteindre leur finalité. Nous pensons que la cause palestinienne constitue le fond du conflit au Proche-Orient; il n’est donc pas possible de réaliser la paix sans résoudre cette cause d’une manière équitable. C’est pourquoi, aussi, nous aidons les différentes parties pour leur permettre de parvenir à un accord entre elles.
Je tiens à préciser que nous soutenons les frères palestiniens, afin de leur permettre de recouvrer leurs droits et de créer leur Etat indépendant sur le sol national. Nous soutenons et appuyons, aussi, nos frères en Syrie et au Liban qui réclament la récupération de leurs territoires occupés, en application des résolutions de la légalité internationale. Nous insistons sur la nécessité de reprendre les négociations au point où elles avaient précédemment abouti.

PREMIER PAS DANS LE BON SENS
Melhem et Saër Karam: Etes-vous optimiste quant à la possibilité pour le dernier accord (palestino-israélien) de constituer un pas sur la voie du règlement du conflit entre les deux parties?
Le roi Abdallah: Nous sommes optimistes du point de vue du principe et il ne fait pas de doute que cet accord est un pas dans la bonne voie. Si les deux parties respectent leurs engagements et il faut qu’elles le respectent, les résultats seront satisfaisants et dans leur intérêt commun. L’indice du respect de ces engagements est apparu par la libération d’un premier groupe de détenus palestiniens et la fixation des délais pour le retrait des forces israéliennes de certains territoires palestiniens.

Melhem et Saër Karam: Participerez-vous aux négociations de la phase finale, d’autant que vous êtes concerné par les problèmes des réfugiés et de Jérusalem?
Le roi Abdallah: Les négociations de la phase finale intéressent les parties palestinienne et israélienne. Nous restons proches d’elles, étant entendu que la participation jordanienne vise à protéger les intérêts du royaume.
La Jordanie devra avoir un rôle dans l’examen du cas des réfugiés, parce qu’elle accorde l’hospitalité au plus grand nombre de réfugiés palestiniens. Puis, en plus des droits des particuliers, nous avons également nos droits en tant que pays hôte.
En ce qui a trait à Jérusalem, nous la considérons comme une terre palestinienne occupée. A ce propos, nous soutenons les frères palestiniens pour les aider à récupérer leurs droits.
 

Le roi Abdallah II feuilletant les publications 
de “Dar Alf Leila Wa-Leila”, en présence
de MM. Melhem et Saër Karam.

LE PROBLÈME DES RÉFUGIÉS
Melhem et Saër Karam: Comment concevez-vous la solution réaliste du problème des réfugiés?
Le roi Abdallah: Les résolutions de la légalité internationale ont déterminé le cadre pour son règlement, en reconnaissant leur droit au retour et à l’indemnisation. Je crois que ce cadre est logique et acceptable pour résoudre cette affaire, mais il est prématuré de se prononcer sur le mécanisme de solution.

Melhem et Saër Karam: Le règlement du problème de Jérusalem consiste-t-il à donner aux Palestiniens une capitale dans la Ville sainte?
Le roi Abdallah: Ceci est du ressort des Palestiniens qui doivent décider où sera leur capitale. Nous respectons leur décision et leur volonté et appuyons tout ce qui leur donne satisfaction.

Melhem et Saër Karam: Vous avez dit, dernièrement, que la Jordanie ne considérait plus comme dangereuse la “patrie de rechange”. Que signifie cela?
Le roi Abdallah: Oui, la question de la patrie de rechange n’est plus dangereuse et ne fait plus peur, comme vous le dites. Les accords de paix ratifiés entre la Jordanie et Israël ont tracé les frontières du royaume du côté de l’ouest d’une manière claire. Quant aux accords palestino-israéliens, ils prévoient le retrait d’Israël et la création d’un Etat palestinien sur les territoires qui seront évacués par les Israéliens à l’ouest du Jourdain. Partant de là, tout est clair pour nous et pour les Palestiniens.
D’autre part, la thèse de la “patrie de rechange” est rejetée, non seulement au double plan jordanien et arabe, mais palestinien, aussi. Ils savent que cette thèse est une tentative d’occulter leurs droits et d’attenter aux droits des autres.
 

NON À LA CONFÉDÉRATION
Melhem et Saër Karam: Vous avez éliminé, totalement, le terme “confédération” du lexique jordanien et fait allusion à un dialogue après l’accord final palestino-israélien. La confédération se pose-t-elle après un tel accord?
Le roi Abdallah: Nous considérons inopportun le fait de soulever le sujet de la confédération dans cette étape, car il cause le plus grand préjudice aux intérêts des Palestiniens, tout en affaiblissant leur position dans les négociations.
A notre avis, la confédération est une formule unioniste entre deux Etats indépendants. Or, l’Etat palestinien n’a pas encore été créé pour qu’on puisse envisager une telle formule. Puis, celle-ci peut être un résultat non un moyen, en ce sens qu’elle serait la conséquence de la proclamation d’un Etat palestinien autonome. A ce moment, Jordaniens et Palestiniens pourront discuter de la forme des relations qu’ils voudraient entretenir.

Melhem et Saër Karam: Où en sont les poursuites engagées contre le mouvement islamique “Hamas” dans le cadre de la solution pacifique au Proche-Orient?
Le roi Abdallah: “Hamas” est un mouvement non jordanien et nous ne tolérons aucun groupe, même jordanien, s’il n’est pas légalement autorisé. Notre décision en ce qui concerne ce groupe islamique s’insère dans le cadre de la souveraineté pure. Des armes et des documents suspects ont été saisis dans les bureaux de “Hamas” à Amman et l’affaire a été confiée à la Justice qui aura son mot à dire.

PRIORITÉ AU DÉVELOPPEMENT SOCIO-ÉCONOMIQUE
Melhem et Saër Karam:  Quelle est votre principale préoccupation au plan interne en ce qui concerne la sauvegarde de l’entité jordanienne et sa pérennité?
Le roi Abdallah: Notre obsession principale et notre première préoccupation se concentrent sur le développement économique et le relèvement du niveau de vie des citoyens. Nous œuvrons, sans relâche, aux fins de relever notre économie nationale à divers niveaux.
Nous avons franchi un grand pas dans le domaine de la privatisation et avons appliqué ce système à certaines entreprises: les télécommunications, les Lignes royales, la voie ferrée d’Akaba et d’autres encore. Nous procédons à la révision des législations et règlements en vigueur, en vue de traiter le problème du chômage et d’assurer de nouveaux emplois.
De plus, la dette extérieure et le service de la dette nous préoccupent sous l’angle de leurs retombées négatives sur l’économie nationale. A cet effet, nous avons effectué des contacts avec les Etats créditeurs et amis, à l’effet d’alléger le poids de cette dette, d’en annuler ou rééchelonner une partie. Bien des pays ont réagi favorablement et veulent nous aider dans ce domaine.
D’un autre côté et sur le plan intérieur, nous nous proposons de rénover et de faire évoluer les institutions de l’Etat, pour mettre un terme à la bureaucratie et à la routine.

PAS DE RESTRICTIONS AUX PARTIS
Melhem et Saër Karam:  Les partis politiques et idéologiques exercent-ils leurs activités librement ou bien existe-t-il une ligne rouge qu’ils ne doivent pas dépasser?
Le roi Abdallah: Les partis politiques et idéologiques peuvent répondre eux-mêmes à cette question. En fait, ils exercent leurs activités en toute liberté, dans le cadre défini par la Constitution et les lois qui en émanent. Tant que ces partis se conforment à l’esprit de la Constitution et agissent selon les lois en vigueur telles que ratifiées par les représentants du peuple, ils peuvent poursuivre leurs activités sans aucune restriction, la seule ligne rouge étant le respect de la Constitution et des lois.

Melhem et Saër Karam: Comment évaluez-vous le rôle de la Presse jordanienne et se conforme-t-elle à la loi sur les imprimés?
Le roi Abdallah: La marge de liberté dont jouit la Presse jordanienne est vaste. Nous avons répété, maintes fois, que le plafond de la liberté chez nous est limité par l’intérêt supérieur de la nation. Il n’y a ni restrictions, ni censure sur la Presse et le projet de loi sur les imprimés, à l’élaboration duquel le syndicat des journalistes a participé, a été communiqué à l’Assemblée nationale.
Nous avons foi en la liberté responsable. Et la responsabilité signifie pour nous l’engagement vis-à-vis de l’intérêt national supérieur, comme de l’éthique et des traditions de cette profession. Dans tout cela, nous partons de notre foi inébranlable en l’importance de la Presse, de la liberté d’expression et du rôle national que la Presse est appelée à jouer en éclairant et en orientant l’opinion publique. Et, partant, en participant à la prise de la décision, tout en influant, positivement, sur celui qui la prend,  en rectifiant toute erreur et en mettant en garde contre toute déviation. Nous apprécions ce rôle de la Presse et le respectons.

JORDANIE - KOWEIT - LIBYE - A. SÉOUDITE
Melhem et Saër Karam:  Votre visite historique au Koweit, la première d’un souverain hachémite depuis neuf ans, a-t-elle ouvert une nouvelle page dans les relations entre les deux pays en différents domaines?
Le roi Abdallah: Notre visite au Koweit a été, Dieu merci, réussie selon tous les critères. J’ai rencontré mon frère, l’émir cheikh Jaber Al-Ahmed As-Sabah auprès de qui j’ai trouvé une compréhension claire quant à la nécessité de jeter les bases d’une coopération entre nous dans les différents domaines. Nous sommes tombés d’accord sur l’importance de la consultation entre nous dans l’intérêt de nos deux pays et de notre nation arabe. Je crois que le froid qui caractérisait les rapports entre la Jordanie et le Koweit est maintenant du passé.

Melhem et Saër Karam: Votre visite en Libye a-t-elle amélioré les relations bilatérales?
Le roi Abdallah: Les relations jordano-libyennes ont toujours été très positives et elles sont maintenant en excellant état. Lorsque l’embargo a été imposé à la Libye sœur, la Jordanie a été parmi les premiers Etats à réclamer sa levée et à critiquer son maintien.
Nous avons eu des entretiens avec le frère Moammar Kazzafi autour des questions d’intérêt commun aux deux pays. Les prochains jours assisteront à une plus grande coopération entre nous dans les domaines commercial et économique.

Melhem et Saër Karam: L’accueil chaleureux qui vous a été réservé à Ryad, ouvre-t-il la voie à de nouvelles relations avec l’Arabie séoudite et les Etats du Golfe arabe?
Le roi Abdallah: Les relations entre le royaume hachémite et le royaume d’Arabie séoudite et entre les deux familles régnantes sont historiques; elles se sont consolidées sur base de la coopération dans l’intérêt des deux pays.
Les frères d’Arabie séoudite se sont tenus aux côtés de la Jordanie dans toutes les stations historiques qu’a traversées le peuple jordanien, tout en défendant les causes de leur nation arabe et islamique.
Nous n’oublions pas le soutien de l’Arabie séoudite à leurs frères arabes et musulmans, tout en défendant les droits de leur nation et ses justes causes. Nous apprécions les prises de position honorables du “Serviteur des deux saintes mosquées”, le roi Fahd Ben Abdel-Aziz et du prince héritier Abdallah en notre faveur et les aides économiques accordées par le royaume séoudite à la Jordanie au cours des dernières années.

LE LIBAN, UN PAYS TRÈS CHER
Melhem et Saër Karam: Vous avez réservé un accueil chaleureux au président Emile Lahoud lors de sa visite à Amman. Comment voyez-vous l’évolution des relations avec le Liban?
Le roi Abdallah: Le Liban est un pays très cher, ses relations avec la Jordanie ayant été toujours fraternelles et distinctives. Nous avons examiné avec S.E. le président Lahoud, au cours de sa visite en Jordanie, toutes les questions d’intérêt commun susceptibles de raffermir la coopération et la complémentarité auxquelles nous aspirons, dans le cadre des efforts que nous déployons pour parvenir à une coopération et une complémentarité plus larges avec les différents Etats arabes.
Ma dernière visite au Liban a renforcé les relations d’une manière plus profonde, le président Lahoud étant un chef éminent et un président modèle.

Melhem et Saër Karam:  L’amélioration des relations de la Jordanie avec les frères arabes se traduira-t-elle par un redressement de sa situation économique?
Le roi Abdallah: L’économie jordanienne commence à recouvrer sa vitalité et notre situation économique tranquillise. Cependant, nous lui voulons une situation meilleure, à travers l’ouverture sur l’économie mondiale; la révision de certaines législations et lois afin de favoriser la privatisation de certains secteurs et d’attirer les investissements arabes et étrangers.
Je tiens à affirmer que les relations économiques, commerciales et culturelles de la Jordanie avec n’importe quel Etat, ne progresseront pas aux dépens de ses relations avec ses frères arabes. Nous œuvrons en vue de réactiver la coopération et d’accroître les liens économiques avec les divers pays arabes, de façon à réaliser nos ambitions et à atteindre nos objectifs, tout en unifiant notre vision quant aux moyens de faire face aux grands défis auxquels notre nation est confrontée, de réaliser l’équilibre social et la renaissance économique au plan du développement global dans la patrie arabe.

POUR L’UNITÉ ÉCONOMIQUE ARABE
Melhem et Saër Karam:  La Jordanie appuie-t-elle l’instauration d’une unité économique arabe globale, en prévision d’une unité politique à l’avenir? Ceci peut-il influer sur les relations bilatérales du royaume hachémite dans le domaine de l’économie en dehors des Etats arabes?
Le roi Abdallah: Sans aucun doute, nous appuyons avec toutes nos possibilités la création d’une unité économique arabe, partant de notre foi que la nation arabe ne peut avoir une place digne d’elle dans le concert des nations, sans adopter une position unifiée envers tous les problèmes auxquels elle fait face, notamment la question du développement économique, l’unification de ses efforts et la conjugaison de ses capacités dans ce domaine.
Sur ce plan, nous agirons en vue de réactiver la coopération commerciale et économique avec nos frères dans les pays du Golfe arabe, en Syrie et au Liban, partant de notre souci de réaliser la complémentarité économique avec les différents frères arabes.


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