tribune
LA QUADRATURE DU CERCLE?
Il n’y a pas de loi électorale parfaite. La perfection, en l’occurrence, comme la réclament actuellement les ténors de la scène politique, consisterait en un texte qui assurerait une représentation exacte de la volonté populaire, tout en garantissant la cohabitation interconfessionnelle dans toutes les circonscriptions. On veut l’égalité des conditions du vote entre tous les électeurs et toutes les communautés. On veut éviter ces grandes listes de candidats formées sous l’égide d’un féodal qui fait dépendre de son autorité les candidats des minorités de sa circonscription. On veut un contrôle des dépenses électorales. On veut limiter l’influence de l’argent sur la formation des listes et sur le déroulement du scrutin. Qu’est-ce qu’on ne réclame pas encore?
Le problème n’est pas nouveau. Il se pose, périodiquement, depuis les élections de 1951 qui furent à peu près régulières sur la base d’une loi qui, pourtant, était loin d’être parfaite.
Il n’est pas interdit de rêver d’une formule idéale. Mais il faudrait, aussi, se demander qui est ce peuple appelé à élire ses représentants, ce qu’il attend d’eux et ce que les candidats au siège de député de la nation offrent vraiment à ce peuple votant.
Questions difficiles. L’expérience des diverses élections passées n’en fournit pas la réponse sinon sous forme caricaturale: le candidat propose son portrait et, parfois, la générosité de sa bourse; l’électeur se détermine selon ses intérêts du moment et des liens de nature tribale. De politique générale, de programmes ou simplement d’idées?... Personne n’en demande tant. Les rares candidats qui en avaient ont toujours échoué, sauf s’ils passaient sur la liste d’un grand électeur. Alors, on les priait de garder un prudent silence.

***

La représentation nationale au Liban est le reflet d’un système d’association intercommunautaire et non pas d’un système de partis politiques. On en trouvera l’origine dans ce petit conseil représentatif instauré après les troubles de 1860-64; la constitution de 1926 était venue lui donner une forme parlementaire sur le modèle de la 3ème république française, mais sans en changer le principe.
Pendant les dix premières années de l’ère de l’indépendance, on a pensé que le découpage électoral sur la base des cinq mohafazats avec le scrutin de grande liste par circonscription était le meilleur garant de la paix civile et de cette association intercommunautaire dans le vote. Le principal défaut de ce mode de scrutin résidait dans la perpétuation d’une féodalité d’origine tribale ou de notabilité de fortune qui ne correspondaient plus ni à l’évolution sociale, ni à l’état d’esprit des nouvelles générations.
On en est ainsi venu à justifier un scrutin uninominal et, dans certaines circonscriptions, la “petite liste” avec une réduction importante du nombre de sièges (de 77 à 44). Le but réel de cette prétendue réforme était évident. La conséquence en a été une “confessionnalisation” du scrutin et la mise à l’écart de nombreux leaderships. Cela s’est traduit par l’insurrection de mai 1958 sur fond de division du monde arabe entre nassériens et hashémites où nous nous impliquions avec notre légèreté habituelle. En 1960, une nouvelle loi électorale était adoptée dans l’intention de corriger les lacunes de la représentation antérieure. Il s’agissait de retrouver les conditions de l’équilibre et du sens de l’association intercommunautaire.
Pour des raisons étrangères au système électoral, nous avons eu, à partir de 1975, une longue guerre civile. Depuis la paix retrouvée, en 1990, on a eu une nouvelle “réforme” et deux élections qui ont introduit dans le jeu parlementaire certaines forces issues de la guerre, en ont marginalisé d’autres sans modifier ni les conditions de ce jeu, ni la nature de la représentation, mais ont produit dans la conscience nationale un sentiment d’inégalité, d’injustice et de déséquilibre.
On pense pouvoir, aujourd’hui, réparer ces fautes à travers une nouvelle loi électorale et, singulièrement, à travers un découpage des circonscriptions, de manière à obtenir une représentation plus exacte tout en sauvegardant le principe de l’association intercommu-nautaire.
Serait-ce la quadrature du cercle?
Le penser serait prononcer la condamnation de cette spécificité libanaise qui porte le nom de “minorités associées”. On n’en est pas encore là. Et le gouvernement continue de promettre une “loi juste”.

***

Parmi les nombreuses observations qu’inspire ce sujet difficile, il en est une qu’il faudrait garder toujours présente à l’esprit: la Chambre des députés au Liban ne se définit pas exactement selon les critères des théories parlementaires en usage dans les démocraties occidentales. C’est un mélange de ces théories et de réalités historiques qui fait de cette chambre un organe de légifération et de contrôle de l’Exécutif (plus exactement de pression sur l’Exécutif),  en même temps qu’une assemblée pour refléter une association intercommunautaire. Pour se rapprocher d’un système moins ambigu, plus cohérent, il faudra, un jour ou l’autre, examiner la possibilité de séparer ces deux fonctions entre deux assemblées: l’une pour rassembler des partis politiques, l’autre pour ne représenter que les communautés confessionnelles sur une base égalitaire (comme le sénat des Etats-Unis), soit 2 ou 3 sièges pour chacune des 17 confessions, quel que soit le nombre de leurs fidèles.
La première serait le lieu du jeu politique et la source du pouvoir; la seconde limiterait sa compétence à veiller au respect des bases de la doctrine constitutionnelle de liberté individuelle, de citoyenneté et de paix civile. Une sorte de “synode” islamo-chrétien groupant évêques et cheikhs.
Pourquoi pas? Ces vénérables autorités n’interviennent-elles pas constamment dans les débats publics, depuis le retour à la paix civile comme pour en rappeler, tous les jours, les conditions de sa sauvegarde? 


Home
Home