CHEF DU CABINET ROYAL ET ANCIEN PREMIER MINISTRE JORDANIEN
ABDEL-KARIME AL-KABARITI: "LES NEGOCIATIONS SYRO-LIBANO-ISRAELIENNES
POURRONT ETRE RELANCEES, SI LES AMERICAINS S'ACQUITTEN SERIEUSEMENT DE LEUR ROLE"

Ancien chef du gouvernement jordanien ayant assumé de hautes charges à des époques parmi les plus difficiles qu’a vécues le royaume hachémite, M. Abdel-Karim Al-Kabariti, chef du Cabinet royal, figure en tête de liste parmi les personnalités jouissant de la confiance du roi Abdallah et du peuple jordanien.
Au cours des vingt-cinq dernières années, il a occupé des postes de premier plan, à partir desquels il a rendu d’insignes services à son souverain et à son pays.

OPTIMISTE QUANT AU PROCESSUS DE PAIX
Etes-vous optimiste quant à l’imminence de la paix au Proche-Orient?
Je suis optimiste et je crois que l’application fidèle de l’accord de Wye River, confirmé à Charm el-Cheikh influera, positivement, sur la relance des négociations au plan des volets libanais et syrien, tout en renforçant l’espoir quant à l’aboutissement des pourparlers sur le statut final palestinien.
J’ai le sentiment que les négociations de l’étape finale seront difficiles, en ce qui concerne les problèmes des réfugiés, de Jérusalem, des colonies et des frontières.
En ce qui concerne la ligne syro-libanaise, les intentions sont claires. Si les Américains s’acquittent sérieusement de leur rôle, les rencontres ayant eu lieu à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, pourront relancer les négociations syro-libano-israéliennes à partir du point où elles avaient abouti en février 1996.

Les Arabes ont-ils eu raison d’accueillir, favorablement, l’accession de Ehud Barak à la présidence du Conseil en Israël ou bien celui-ci ressemble-t-il à ses prédécesseurs?
Barak dit appartenir à l’école de Rabin et, partant, qu’il reprendra les négociations à partir du point où elles avaient abouti avec l’ancien Premier ministre.
Que signifie l’école de Rabin? Le chef du gouvernement israélien assassiné soutenait que pour vivre dans cette région du globe et en faire partie, Israël doit y parvenir par une voie pacifique et non par la guerre.

Si Barak se réclame réellement de cette école, notre optimisme est à sa place.
Netanyahu a-t-il encore quelque rôle à jouer?
A mon avis, Netanyahu a brûlé toutes ses cartes, à cause surtout de ses prises de position extrémistes. Cependant, la scène israélienne a une spécificité et peut-être une dynamique propre, à tel point que personne ne peut parier sur elle.

Les dissensions interpalestiniennes, spécialement entre l’Autorité centrale et le mouvement “Hamas”, sont-elles appelées à s’envenimer davantage ou à se tasser?
Notre pari est toujours sur la sagesse, le rationalisme et le réalisme. Je crois que la manière de traiter de l’Autorité palestinienne avec le problème de Palestine dans son ensemble s’est caractérisée par ces trois qualités. Le mouvement “Hamas” a fini par réaliser, je crois, qu’il lui est plus profitable d’envisager les choses avec réalisme et de suivre une politique rationnelle. Ceci renforcera dans le même temps la position du négociateur palestinien et lui permettra d’atteindre les objectifs que nous cherchons tous à réaliser.

Comment peut-on qualifier la relation de la Jordanie avec le président Arafat?
Elle est excellente, surtout au cours des dernières années. Il en sera ainsi jusqu’à la création de l’Etat palestinien. Par la suite, un dialogue sera engagé, en rapport avec la nature de cette relation liant les deux peuples.

JÉRUSALEM EST LA CAPITALE DE L’ÉTAT PALESTINIEN
Comment concevez-vous l’avenir de Jérusalem?
La Jordanie considère Jérusalem comme un dépôt placé entre les mains des Arabes, des musulmans, des chrétiens et également de la communauté internationale. A notre avis et partant d’une conception politique, il s’agit de la Jérusalem arabe, capitale de l’Etat palestinien. Partant de là, il est du droit des Palestiniens, de leur Autorité nationale et du négociateur palestinien de négocier et de parler au nom de la Ville sainte.

Qu’en est-il de la solidarité, de l’unité et du sommet arabes?
Toute rencontre arabe vise à assainir le climat des Etats membres de la Ligue. Or, il est parfois plus facile pour les Arabes de traiter avec Israël que de traiter entre eux. Il importe d’établir un nouveau mécanisme à l’effet de raviver les institutions de l’action arabe commune sur de nouvelles bases. Ce que ne cessait de préconiser le regretté roi Hussein, en déplorant que les Etats frères ne puissent pas régler leurs problèmes.
C’est pourquoi, si nous nous engageons tous envers l’essentiel qui nous rassemble et acceptons de fondre nos spécificités dans le cadre de l’essence commune, nous pourrons peut-être dépasser ce temps difficile que vit la nation arabe. Ceci est devenu une nécessité nationale qui consiste à se faire une nouvelle vision des relations interarabes.

M. Abdel-Karim Al-Kabariti s’entretenant avec M. Saër Karam.

LA LIGUE ARABE S’ACQUITTE DE SON RÔLE
Le fait pour le ministre irakien des Affaires étrangères d’avoir présidé la dernière session du Conseil de la Ligue arabe, n’a pas suscité des réactions négatives comme certains le craignaient...
La Ligue arabe doit, en principe, regrouper tous les Etats membres et exercer la diplomatie préventive visant à prévenir tout conflit avant qu’il se produise ou, tout au moins, à l’empêcher d’empirer.
La Ligue arabe a réussi dans ce domaine et nous ne devons pas la juger avec dureté, afin de ne pas entraver le rôle qu’elle est tenue de jouer.
Puis, la nécessité se fait de plus en plus sentir quant aux rencontres arabes, que ce soit au niveau du sommet ou à des niveaux inférieurs. Les questions stratégiques y seraient soulevées, non liées à des problèmes revêtus du caractère d’urgence.
Nous devons donc nous juger nous-mêmes et non l’organisme panarabe ou son secrétaire général dont le rôle reflète les positions des Etats membres.

La Jordanie a pu effacer les séquelles d’anciennes dissensions, comme l’a montré la récente visite du roi Abdallah II à Koweit et aux pays du Golfe. Comment renouer avec tous les partenaires de la Ligue?
S.M. le roi Abdallah II a explicité son style dès les premières heures de son entrée en fonctions, d’autant que nous avions un grand legs à gérer, celui du regretté roi Hussein. Ce legs représente de grands acquis sur lesquels le nouveau monarque devait asseoir ses relations avec les Etats voisins sur base de la confiance réciproque, car il s’agit de notre extension naturelle et stratégique. Sans cela, le royaume hachémite ne peut faire face seul aux défis auxquels il est confronté. Sa Majesté a voulu éliminer les barrières, sur base de la préservation des intérêts mutuels. Le roi Abdallah II a tendu la main à ses voisins qui lui ont rendu la pareille.

La paix se réalisera-t-elle et deviendra-t-elle une vérité palpable ou bien le mensonge et la duplicité caractériseront-ils la base des relations d’Israël avec ses voisins?
Il existe un long legs de la lutte arabo-israélienne. Naturellement, nous ne pouvons prétendre qu’un accord sur le papier suffit pour dissiper tout ce qui entache l’esprit des Arabes des suites de cette lutte, de l’agression contre la terre arabe et de la spoliation de nos droits.
Cependant, le sage regarde en permanence vers l’avant et non vers l’arrière. De plus, il s’emploie à oublier les rancunes et les conflits pour atteindre ses objectifs.

OUI À UN BLOC ARABE SUR UNE BASE ÉCONOMIQUE
La conception du “proche-orientalisme” est-elle applicable?
Naturellement. Nous considérons le sujet des blocs comme étant devenu une vérité et un fait politiques, aussi souhaitons-nous qu’il y ait dans le monde arabe une partie pouvant jouer le rôle de l’Allemagne ou de la France, deux pays que les conflits avaient conduit plus d’une fois à la guerre.
En dépit de cela, ils ont mis une sourdine à leurs conflits, pour mener à bien l’opération de l’unité européenne qu’ils ont fondée, au départ, sur des bases économiques. Nous croyons qu’elle débouchera, à l’avenir, sur une unité politique, malgré tous les antagonismes qui n’existent pas dans le monde arabe.
Nous pouvons passer outre à nos dissensions et créer un cadre valable pour la complémentarité arabe, en prévision d’une coopération avec les Etats du Proche-Orient. Un tel bloc pourrait traiter ultérieurement, avec d’autres blocs similaires en Asie, en Europe et en Amérique, à partir de bases économiques. Nous réaliserions ainsi un grand exploit. Sinon nous resterions des Etats dispersés incapables de satisfaire nos ambitions.

Les Etats-Unis sont-ils sincères dans tout ce qu’ils entreprennent dans le monde?
Le doute provient de la confiance. Nous ne devons pas blâmer les autres pays mais commencer par nous-mêmes en traitant avec les faits et les vérités tels qu’ils se présentent.

QUID DE LA MONDIALISATION?
La mondialisation est-elle préjudiciable aux petits pays?
La mondialisation peut avoir des avantages et des inconvénients. Si les petits pays ne peuvent pas s’organiser en blocs, la mondialisation ne leur sera pas favorable.

Le Marché commun arabe deviendrait-il pareil au Marché commun européen ou à  l’Union européenne?
Ce sujet est important et fondamental. Nous espérons  que l’Egypte et l’Arabie séoudite pourront assumer le rôle de la France et de l’Allemagne par rapport à l’U.E., en jetant les bases d’une coopération entre les Etats arabes, en vue d’une union économique.
Mais ceci exige un nouveau cadre, une volonté politique et une grande direction. L’Egypte et l’Arabie séoudite sont habilitées à s’en acquitter.

RIEN À CRAINDRE POUR L’UNITÉ EUROPÉENNE
Vous avez beaucoup parlé de l’Allemagne. Les directions allemande et britannique ont perdu les dernières élections européennes. Cela signifie-t-il que l’unité européenne a subi un revers?
Du moment qu’il existe une démocratie et des intérêts que les citoyens de chaque Etat membre de l’Union européenne espèrent en tirer, le processus se poursuivra en faveur de l’unité politique, même au ralenti.
L’opération de l’unité économique européenne a pris du temps, mais elle a été fondée sur des bases saines et la volonté politique était un fait acquis. L’opération a subi maints revers, mais la marche ne s’est pas arrêtée. Ceci doit nous servir de leçon et nous inciter à jeter les bases saines, à dégager la volonté politique et à ne pas permettre aux revers de freiner le processus.

Israël évacuera-t-il les portions du territoire libanais qu’il occupe? Et la formule “Liban, d’abord”, était-elle un piège visant à compromettre la relation entre le Liban et la Syrie?
La concomitance des volets libanais et syrien est devenue une vérité politique acceptée par toutes les parties. Je crois qu’avec la relance des négociations, l’espoir grandira de voir les Israéliens se retirer de tous les territoires, tant libanais que syriens.

PAIX ET SÉCURITÉ
Qu’adviendra-t-il après l’instauration de la paix au Proche-Orient?
Israël lie l’opération de paix à la sécurité, alors qu’il faut inverser cette priorité. La sécurité et la stabilité sont nécessaires pour le bien-être et la prospérité. Cependant, la paix aussi ouvre de nouveaux horizons pour plus de prospérité et de bien-être.
Cette opération est attachée au fait que le tribut payé par la société arabe, suite au conflit militaire sanglant ayant opposé Israël en tant qu’Etat occupant au monde arabe, doit servir à promouvoir une ère de bien-être plutôt qu’à fomenter d’autres conflits armés.

En quoi le IIIème millénaire sera-t-il différent du XXème siècle?
Le temps ne connaît pas de frontières. Le siècle à venir sera donc la continuation de celui qui le précède. “Soyez optimistes et vous trouverez le bien”, dit le proverbe. Le IIème millénaire était, je crois, très dur, en dépit de toutes les réalisations accomplies, car il a été entaché de guerres et de conflits. Puisse le IIIème millénaire marquer des conflits économiques et technologiques, qui se reflèteraient sous forme de bien-être sur l’homme, le passage d’un siècle à l’autre étant une question symbolique. SAËR KARAM


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