Née à Nazareth, le 11 février 1886, de père
libanais appartenant à une très vieille famille de Chahtoul
près de Ghazir, l’instituteur Elias Ziadé et de mère
palestinienne cultivée, Nazha Mouammar, May, de son vrai nom Marie,
fit ses études primaires à Nazareth et secondaires au collège
des Visitandimes d’Antoura.
En 1904, elle rejoignit ses parents en Palestine où elle poursuivit
passionnément son autoculture; puis, s’installa définitivement
avec eux au Caire en 1908, où son père dirigeait la revue
arabe al-Mahroussa à laquelle elle collabora, tout en poursuivant
ses études à l’Université égyptienne.
En 1910, May publia un recueil de poésie lyrique en français:
“Fleurs de Rêve”, sous le pseudonyme d’Isis Copia.
Ses études d’arabe classique terminées, May se lance
dans la carrière littéraire. Elle fonda en 1912 un salon
littéraire qui devint le lieu de rendez-vous des grands esprits
de l’époque, tels que Taha Hussein, Khalil Moutrane, Loutfi as-Sayed,
Antoun Gemayel, Walieddine Yakan, Abbas Akkad et Yacoub Sarrouf.
Très attachée au Liban, May passait régulièrement
la saison d’été en montagne libanaise dont la nature lui
inspirait ses meilleurs poèmes.
Après la Première Guerre mondiale, elle ne se contenta
plus de publier ses articles littéraires dans la revue de son père
mais, aussi, dans les plus grandes revues arabes de l’époque dirigées
par des Libanais installés en Egypte: al Hilal, al Mouktataf et
le grand journal Al-Ahram. Puis, elle fit paraître, coup sur coup,
une série d’ouvrages intitulés:
- Aïcha Teymour - Bahissat al Badia (deux biographies des deux
principales dirigeantes du mouvement féministe en Egypte).
- Propos de jeune fille (genre de confessions).
Ténèbre et Rayons (poèmes lyriques en prose).
L’Egalité (étude sociologique).
- Flux et reflux (réflexions littéraires).
- Souvenirs de prime jeunesse.
MAY ET GEBRANE
Depuis 1912, May Ziadé entretint une correspondance régulière
passionnée et passionnante avec Gebrane Khalil Gebrane vivant à
New York.
Malgré les sept mille kilomètres qui les séparaient,
selon les propres termes de Gebrane et malgré les circonstances
défavorables qui les empêchaient de se rencontrer, cette idylle
unique dans les annales littéraires dura dix-neuf ans, c’est-à-dire
jusqu’à la mort de l’auteur du “Prophète”, en 1931.
Ce fut un exemple frappant de l’amour platonique, à savoir une
forte passion s’accompagnant d’exaltation de l’imagination en compensation
de la privation de fait.
Il en résulta une correspondance de grand intérêt
littéraire qui fit l’objet de mon étude de prime jeunesse,
publiée en 1950 sous le titre de: “May et Gebrane”.
Imbue de culture occidentale, May effectua plusieurs voyages d’étude
en Europe et se mit en rapport avec maintes célébrités
de son temps.
FÉMINISTE ÉCLAIRÉE
May Ziadé se fit surtout remarquer par son action fébrile
pour émanciper la femme arabe de l’ignorance, d’abord; puis, du
joug des traditions anachroniques, afin qu’elle puisse se comparer à
l’homme et mériter son droit à l’égalité.
May considérait, à juste titre, la femme comme l’élément
de base dans toute société humaine. Une mère esclave,
disait-elle, ne peut nourrir ses enfants que de son propre lait, un lait
qui sent forcément l’asservissement.
Cependant, précisait-elle, l’évolution de la femme ne
doit pas s’effectuer aux dépens de sa féminité, mais
parallèlement à celle de l’homme.
ROMANTISME À L’ORIENTAL
Romantique dès son enfance, May subit successivement l’influence
de Lamartine, de Byron, de Shelley; puis, celle de Gebrane. Cette influence
se manifeste dans la plupart de ses œuvres. Elle reflète sa nostalgie
du Liban, son imagination fébrile et sa sensibilité très
vive autant que sa tendance mystique, sa mélancolie et son spleen.
“Notre vie, écrit-elle, est ainsi faite que nous laissons un
peu de nous-mêmes aux ronces du sentier et cela à chaque instant...
En vain, voudrions-nous nous arrêter, car nous sommes semblables
à un torrent où l’onde qui suit pousse l’onde qui la précède.”
May s’exprimait aussi aisément en arabe qu’en français
ou en anglais. Elle traduisait de l’allemand, de l’italien et de l’espagnol.
APPRÉCIATION
Comme essayiste, elle se faisait remarquer par sa finesse d’observation
autant que par son souci d’objectivité. Pour cette discipline rigoureuse,
elle usait d’un style sobre, minutieux. Mais comme poète, elle se
distinguait par une imagination sensuelle capable d’associations heureuses.
Il lui importait moins de décrire le réel à grands
renforts de faits, d’images vraisemblables ou à la faveur de saisies
immédiates sur le vif, que de suggérer discrètement
ses impressions et créer une ambiance intime communicative. Son
style devient alors imagé, charnu, lancinant et plein de fraîcheur.
De plus, elle était douée d’un talent oratoire remarquable.
A travers l’ensemble de son œuvre, May tient à communiquer tantôt
l’intensité d’un bonheur éphémère, tantôt
la magie d’un rêve qui transporte au-delà de l’existence monotone,
en cette luminosité illusoire qui exerce sur le lecteur l’effet
d’une transcendance.
Engagée dans son féminisme et témoin de son époque,
May Ziadé a su assumer son temps dans son action sociale comme
dans ses écrits et témoignant pour sa génération,
elle a pu rattacher l’éphémère à ce qu’il y
a de plus durable dans l’existence de l’homme.