Ancien
chef de la diplomatie ayant assumé cette charge durant tout le mandat
du président Elias Hraoui (son beau-père), M. Farès
Bouez, député du Kesrouan, n’en continue pas moins à
observer de près l’évolution de la conjoncture.
Ainsi, la dernière tournée proche-orientale de Mme Madeleine Albright le laisse sceptique. Il pense, en effet, que le secrétaire d’Etat US n’a rien apporté de nouveau qui puisse prédire, ne serait-ce que d’une manière approximative, la date de la reprise des négociations de paix sur les volets libanais et syrien. Cependant, il ne perd pas l’espoir de voir le président Clinton réussir dans les efforts qu’il déploie pour instaurer la paix au Proche-Orient, “partant de sa volonté d’entrer dans l’Histoire par la grande porte”. Au plan intérieur, M. Bouez n’est pas tendre pour le “Cabinet des 16” qu’il appelle un “Cabinet de fantômes”, parmi lesquels on chercherait, vainement un interlocuteur. Il estime donc “qu’il n’est pas dans l’intérêt du Pouvoir de soutenir un tel gouvernement”. Cependant, M. Bouez nie toute intention qu’on lui prête de vouloir rallier la néo-opposition dont MM. Rafic Hariri et Walid Joumblatt sont les chefs de file. |
RIEN DE NOUVEAU PAR RAPPORT AU PROCESSUS DE
PAIX
Invité à émettre son avis sur l’action menée
par Washington en vue de relancer le processus de paix au Proche-Orient,
M. Bouez ne détecte rien de nouveau au plan de la reprise des négociations,
même pas sur le volet palestinien.
“On attendait de Mme Albright, dit-il, qu’elle apportât de nouvelles
propositions lors de son dernier périple dans la région.
Il n’en fut rien. En fait, elle est venue dans le but de consacrer l’accord
d’application palestino-israélien, mais n’a rien apporté
de nouveau par rapport aux volets libanais et syrien.
Du côté israélien, d’aucuns croient relever des
signaux positifs dans les déclarations de Ehud Barak qui tient des
propos destinés aux médias, comme si l’homme se soucie de
reconstituer le crédit dont jouissait l’Etat hébreu dans
l’opinion internationale, crédit que Netanyahu a dilapidé
entièrement.
Quand le Premier ministre parle de retrait de “Tsahal” du Liban dans
douze ou quinze mois, il sait en tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères
et qu’ex-chef d’état-major, qu’il s’agit de paroles ambiguës
destinées au téléspectateur occidental qui croit à
tout ce qu’on lui débite.
Barak sait, pertinemment, qu’il doit rapatrier ses troupes sans poser
de conditions rédhibitoires, en vertu de la résolution 425
du Conseil de Sécurité; c’est la clé du règlement.
Ensuite, il débattra avec le négociateur libanais, sur la
base de la résolution 242, à propos de problèmes régionaux
d’intérêt commun.
En ce qui concerne la Syrie, Barak n’ignore pas que ce pays ne s’asseoira
pas à la table des négociations pour donner à Israël
une nouvelle occasion de louvoyer et revenir à la case de départ
ou pour permettre à l’Etat hébreu d’enjoliver son image extérieure,
après l’étape dominée par Netanyahu.
A travers les négociations, la Syrie veut aboutir à la
paix. Or, celle-ci exige d’Israël d’admettre le principe de “la terre
contre la paix” et, aussi, un autre principe relatif au retrait total du
Golan jusqu’aux frontières internatio-nalement reconnues, celles
de juin 67. Il faut donc que les négociations reprennent au point
où elles avaient abouti en février 96.
Jusqu’à présent, rien dans les propos de Barak ne permet
de déceler une réelle volonté de sa part de favoriser
le processus de paix.
CLINTON A INTÉRÊT À INSTAURER
LA PAIX AU P.-O.
Le président Bill Clinton peut-il aider
à instaurer la paix dans la région proche-orientale avant
la fin de son mandat?
Le président Clinton et son Administration disposent d’une capacité
dépassant celle de ses prédécesseurs. Ne pouvant briguer
un troisième mandat, il est affranchi des pressions inhérentes
aux élections, découlant de son désir de satisfaire
la juiverie américaine.
Le chef de la Maison-Blanche a donc intérêt à entrer
dans l’Histoire par la grande porte qui ne peut être que celle du
Proche-Orient. C’est pourquoi, j’espère et je m’attends à
ce que le président Clinton agisse pour atteindre cet objectif.
Mais le facteur temps est très important et l’Administration américaine
doit parier sur les premiers mois que le gouvernement Barak passera au
pouvoir, avant que se termine le “délai de grâce”. Car par
la suite, celui-ci aura moins de possibilité de prendre de grandes
décisions. Puis, il ne faut pas permettre à Barak de tenir
de langage suivant: “Le mandat du président Clinton approchant de
son terme, je préfère opérer cette transaction avec
son successeur”...
L’Administration américaine actuelle est-elle sérieuse
dans sa tentative de relancer les négociations de paix en vue d’une
paix juste et globale?
Je crois qu’elle est sérieuse, mais cela n’a rien à voir
avec les intentions; le problème réside dans la capacité
à prendre les décisions adéquates. Mme Albright semble
avoir souscrit aux exigences de Barak, en retardant l’ouverture du dossier
libanais et syrien, partant du fait qu’Israël ne peut négocier
que sur un front à la fois qui est, actuellement, le volet palestinien.
De plus, le Premier ministre israélien a demandé et obtenu
des Etats-Unis d’atténuer leurs pressions sur Tel-Aviv. Ainsi, il
a pu obtenir le report, d’un mois, de la tournée de Mme Albright.
Barak reprend donc la même tactique que son prédécesseur,
en ce sens qu’il louvoie et manœuvre à l’effet de paralyser le rôle
du “parrain” américain. Ce sont autant d’indices inquiétants.
POUR UN MINISTÈRE DES A.E. ACTIF
Parlons des problèmes intérieurs: l’opposition fait
grief au “Cabinet des 16” de ne pas comprendre un ministre des Affaires
étrangères à plein temps, capable de se consacrer
aux négociations de paix au cas où elles seraient relancées.
Qu’en pensez-vous?
Les négociations ont besoin de trois instances: Primo, d’un
gouvernement et d’un Pouvoir définissant un plan stratégique
à travers le Conseil des ministres, sur la base de propositions
émanant du chef de la diplomatie.
Secundo, le ministère des Affaires étrangères
doit traduire et concrétiser la politique définie par le
Conseil des ministres, en vue de son application du point de vue tactique.
Tertio, la délégation chargée de mener les négociations
a pour mission d’appliquer la politique de son gouvernement, à travers
les directives qui lui parviennent, quotidiennement, du ministre des Affaires
étrangères.
Dès que le Liban entamera les négociations, il lui faudra
être représenté par un gouvernement devant décider
du cadre et des conditions conformément auxquels les pourparlers
seront engagés et poursuivis.
A ce moment, il faudrait y avoir un ministre et un ministère
des Affaires étrangères actifs, afin que les négociations
ne se déroulent pas, uniquement, au plan théorique, mais
prennent en considération les aspects tactiques et stratégiques
qui s’imposent.
LE LIBAN CONCERNÉ PAR LES RÉSOLUTIONS
425 ET 242
D’aucuns soutiennent que le Liban n’a rien à négocier
avec l’Etat hébreu, la résolution 425 n’étant pas
sujette à la négociation et devant être appliquée
sans condition?
J’ignore qui a tenu ces propos qui, s’ils ont été proférés,
constituent le plus grand crime contre le Liban, autant qu’une grande trahison.
Le Liban a pris part aux négociations à la suite d’une
invitation claire et franche. Il y a participé à l’instar
d’autres pays arabes, dans le cadre de la conférence de paix, en
vue d’appliquer la résolution 242.
Nous nous y sommes, alors, opposés avec d’autres collègues,
en disant que la résolution 425 distingue le dossier libanais, cette
dernière exigeant le retrait immédiat et inconditionnel d’Israël
de notre territoire. Nous sommes allés à Madrid à
l’effet de négocier l’application des résolutions 425 et
242, car sans la seconde résolution, nous ne pouvons discuter de
la paix à laquelle la 425 ne fait pas allusion. Le Liban pourra-t-il
rester en dehors de ce cadre? Puis, nous devons discuter de problèmes
régionaux, tel celui des réfugiés palestiniens. Comment
pouvons-nous combattre leur implantation sans nous intéresser à
la résolution 242?
Nous devons, également, examiner les systèmes économique
et sécuritaire dans la région; ainsi que nos droits dans
les eaux du Wazzani et du Hasbani - qui vont actuellement en Israël
- en plus du cas des détenus, comme des droits des Libanais en Palestine
et de leur dédommagement.
Le Liban est donc concerné par les résolutions 425 et
242 à la fois.
COMMENT EMPÊCHER L’IMPLANTATION?
Le rejet de l’implantation par le Liban suffit-il à l’empêcher
et la crainte de sa concrétisation est-elle justifiée?
Cette crainte est très justifiée car, jusqu’ici, aucun
projet de solution n’a été envisagé au cas des réfugiés
établis en territoire libanais. Le problème reste donc entier
et non résolu; c’est un fait accompli. Il ne nous suffit pas de
rejeter l’implantation, bien qu’un consensus à ce sujet ait été
réalisé, le rejet étant consigné dans le préambule
de la Constitution libanaise. Le problème exige plus que cela. Il
a besoin non d’un congrès national, mais d’une action extérieure
qu’entreprendrait l’Etat, à travers une dynamique exceptionnelle
et historique, en plus d’un plan destiné à réactiver
la recherche d’une solution. Je crois que la mobilisation intérieure
est infructueuse, surtout si elle se fait à travers les déclarations
quotidiennes, les congrès et les rencontres stériles, du
moment que nous rejetons, unanimement, l’implantation.
Nous devons remuer les instances internationales où se prennent
les décisions, l’action devant être entreprise par le président
de la République et l’Etat, ainsi que par les instances politiques
et communautaires.
On a besoin d’une démarche historique, pareille à celle
que le patriarche Elias Hoyek fit, en son temps à Paris, pour plaider
la cause du Liban, cette affaire (l’implantation) étant dangereuse
autant pour l’unité nationale que pour l’avenir du pays.
Elle a besoin d’un déplacement du chef de l’Etat et des dignitaires
de la République dans les Etats frères et amis, à
commencer par la Syrie, pour finir par les Etats-Unis - où se trouve
une grande partie de la solution - en passant par la France et le Vatican.
Et ce, dans le but de relancer la résolution 194 reconnaissant le
droit du retour aux Palestiniens à leurs terres pour rassembler
les familles éparses depuis tant d’années ou, aussi, d’obtenir
l’agrément de certains pays à accorder l’hospitalité
à ceux parmi les réfugiés qui voudraient s’y établir.
LE CABINET N’A PAS TENU SES PROMESSES
Quelle est votre position vis-à-vis du gouvernement et de
l’opposition?
S’il s’agit de l’opposition représentée par le président
Hariri et M. Walid Joumblatt, je n’en fais pas partie. En ce qui concerne
le gouvernement, celui-ci n’a pas satisfait les demandes jusqu’à
présent. Nous souhaitions le voir présenter un projet de
réforme économique qui rendrait l’économie libanaise
“productive”, à l’abri des variations des marchés extérieurs.
Nous avons accepté un gouvernement de technocrates - contrairement
à ce que prévoit Taëf, malgré le fait que la
Constitution libanaise ne tolère la présence que de quelques
technocrates au sein du Cabinet - dans l’espoir qu’il présente un
projet financier scientifique. Mais la réforme financière
n’est que “super classique” et je doute de son efficacité.
Sur le plan fiscal, le gouvernement n’a rien apporté de nouveau,
ni des réformes exceptionnelles bien étudiées. Nous
avons mis en garde contre la taxe sur le tabac, celle-ci encourageant la
contrebande. Les recettes de la Régie sont, en fait, aujourd’hui
inférieures à ce qu’elles étaient avant l’institution
de la taxe. De même, la taxe sur les boissons alcoolisées
est fictive, puisqu’elle encourage la contrebande. L’augmentation de l’impôt
sur le revenu, en l’absence d’une administration financière capable
de le percevoir, est fictive.
Quant à la réforme administrative, nous avons toujours
dit qu’elle doit être globale. Pas de politique saine, sans une administration
valable. La réforme administrative devait être le plus important
objectif de ce Cabinet constitué de non politiciens, doté
de prérogatives presque exceptionnelles, dans un régime jouissant
d’un grand crédit. Mais jusqu’à présent - et je répète
les propos du Premier ministre - certaines mesures de la réforme
n’ont pas réussi. Qu’a réalisé ce gouvernement dans
les domaines économique, financier et administratif? Cela dit sans
parler de son absence à l’échelle extérieure et du
manque de dialogue au niveau national.Nous cherchons au sein du Cabinet
un interlocuteur que nous ne trouvons pas.
PAS DE CHANGEMENT AU PLAN POLITIQUE
D’aucuns accusent le précédent régime d’avoir
légué des problèmes auxquels fait face le Pouvoir
actuel. Qu’en pensez-vous?
Je ne crois pas qu’il y ait une ancienne et une nouvelle équipe.
Le Pouvoir suit la même ligne politique adoptée précédemment.
La plupart de ses éléments appartiennent à l’ancien
régime. Le chef de l’Etat était commandant en chef de l’Armée;
le vice-président du Conseil, ministre de l’Intérieur est
toujours le même; le ministre Sleimane Frangié détenait,
aussi, un portefeuille au sein du précédent Cabinet; M. Joseph
Chaoul, ministre de la Justice, était président du Conseil
d’Etat; le ministre des Ressources électriques et hydrauliques était
procureur général près la Cour des Comptes; le ministre
Anouar el-Khalil a détenu des portefeuilles au sein des ministères
précédents. Le fait d’accuser l’ancien régime n’est
pas logique.
Au lieu de rejeter la responsabilité de la situation sur les
autres, le gouvernement doit reconnaître qu’il a pris en charge un
Etat où la plupart des questions essentielles ont été
réglées, à savoir: la dissolution des milices, la
réalisation des projets d’infrastructure. Jusqu’à présent,
le gouvernement n’a pas assumé ses responsabilités, se contentant
de relever les erreurs des Cabinets précédents. En tout cas,
aucun Pouvoir n’est exempt d’erreurs.
Qui est responsable de ce legs? Le président Hariri, à
lui seul, ou les membres des Cabinets qu’il a formés?
Ce gouvernement n’a rien accompli jusqu’à maintenant. C’est
un gouvernement-fantôme. Sans parler des particularités de
chaque ministère, l’absence du gouvernement se fait remarquer dans
les décisions fondamentales, ce qui a provoqué des crises.
POUR UNE CIRCONSCRIPTION ÉLECTORALE
MÉDIANE
Le gouvernement est-il en mesure d’élaborer un projet de
loi électorale?
Partant de ce que nous avons dit, le gouvernement est incapable de
régler cette question. Il proposerait, probablement, un projet,
qui serait discuté à l’Assemblée nationale. Ce gouvernement
use du crédit dont jouissent le chef de l’Etat et le président
Hoss.
En ce qui concerne la loi électorale, il faut éviter
de commettre les mêmes erreurs du passé. Je préconise
une loi unique pour tout le pays, représentative et loin de servir
certains intérêts politiques.
J’appuie les propos du président Lahoud qui prône une
loi unique et juste. C’est une ligne rouge qu’il ne faut pas dépasser.
L’adoption du mohafazat, du caza ou de la circonscription médiane
doit concerner toutes les régions. De tout temps, Beyrouth était
divisée en trois circonscriptions. Toutes les capitales du monde
sont découpées en circonscriptions électorales. Aussi,
l’idée du non découpage de la capitale et de certaines régions
relève-t-elle de l’hérésie. L’adoption du mohafazat
est impossible actuellement, en l’absence des partis et des fronts politiques
élargis, l’électeur n’y étant pas préparé.
Le maintien du caza limiterait le rôle du député, effacerait
son rôle politique et législatif. Dans une première
étape, l’adoption de la circonscription médiane composée
de deux cazas est possible et convient à la théorie de la
loi unique, juste et à la conjoncture locale.