"AUTOUR DE LA MAISON ROSE"
LE BALANCEMENT DU SORT ENTRE PASSE ET AVENIR

Beyrouth après-guerre. Dans le quartier fictif et populaire de Matba’a, deux familles, les Nawfal et les Adaïmi, devront vider dans dix jours, l’ancienne demeure de lady Fortuna dans laquelle elles se sont réfugiées il y a onze ans six mois. Reconstruction oblige!
Durant une heure 32 minutes, le spectateur assistera aux tribulations des habitants du quartier qui, divisés entre eux vont, partisans du développement économique, d’une part, les deux familles et leurs alliés de l’autre, monter leurs propres camps.
“Autour de la maison rose”, premier long métrage de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige, a reçu une mention spéciale durant le Festival du film international de Beyrouth.
“La Revue du Liban” a rencontré les deux jeunes réalisateurs.
 
 
RÉFLEXION D’APRÈS-GUERRE
Pourquoi “Autour de la maison rose” et comment est née l’idée de ce film?
J.H.: Ce film est né à travers une réflexion d’après-guerre au Liban. En se promenant dans le centre-ville, des questions nous tracassaient et on avait besoin d’en parler. On a, alors, choisi le biais de la fiction. La maison est une métaphore du Liban, de la mémoire, un peu de la guerre, des années trente, aussi. Vieillie par le temps, défigurée par les obus, c’est une maison mystérieuse qui a tout un passé et recèle beaucoup de secrets, de mystères.
K.J.: Au début, il y avait un autre film à l’origine où chaque personne aurait pu être une fiction à elle seule; puis, les biographies et les histoires se sont imbriquées les unes dans les autres.

Avez-vous eu des difficultés avec les acteurs?
J.H.: Trouver les acteurs a été difficile, car on avait vingt-trois rôles principaux et le casting a été long. Notre choix fait, le travail a été assez agréable. Pendant plusieurs semaines, on faisait des répétitions ensemble, chacun retravaillant son personnage. Tout le monde était à l’aise.
K.J.: Durant les répétitions, les acteurs ont donné beaucoup d’eux-mêmes. Les dialogues étaient très bien écrits dès le début, alors chaque acteur comme Hassan Farhat a apporté des expressions à lui que je ne connaissais pas et qui ont donné de la matière. Tous ont travaillé véritablement leurs personnages. C’était génial!

Combien vous ont pris de temps la préparation et la réalisation du film?
J.H.: Trois mois pour le script; puis, quand on a fini par trouver notre producteur, Edouard Mauréat, on a recherché pendant six ou neuf mois le financement. Et on est revenu en mars à Beyrouth pour faire le décor, le repérage des lieux, le casting et l’équipe technique. Le tournage a débuté en août.

Où vous avez tourné?
K.J.: On a tourné presque un mois à Wadi Abou-Jmil dans le quartier de SOLIDERE. Toute notre décoration, tout notre travail ont été montés dans un endroit non habité. On a fait tout un studio, puisqu’on voulait faire un quartier populaire vivant avec une maison rose.

Pourquoi “rose”?
J.H.: D’abord, parce qu’il y avait une petite ironie dans le titre; les couleurs aussi sont un peu bleues, jaunes pour trancher avec ce qui se passe, en général, dans le cinéma ici, sombre et panoramique. On voulait rattraper un peu la situation d’après-guerre à Beyrouth où tout le monde dit que tout va bien.
 
 
FINANCEMENT ET COPRODUCTION
Comment avez-vous fait pour financer votre film?
K.J.: Financer un film libanais est quasiment impossible. Ce sont toujours des coproductions. Dans un film comme le nôtre, la part est minime entre 15 et 20%. Notre producteur l’a présenté comme scénario. On a gagné le prix de Fonds Suds. A l’étranger, le jury est composé de professionnels, de gens de la télévision. Le directeur de Canal+ a lu le scénario et décidé de nous financer. De même, avec “Canal Horizon” et nos coproducteurs canadiens. Au Liban, la société DjinHouse a accepté la production exécutive. La société Infi-Gamma Holding est rentrée comme s’il s’agissait d’un projet commercial. Le ministère de la Culture et de l’Enseignement supérieur a donné quelque chose de très symbolique.

Il ne suffit pas qu’on ait l’histoire et le style pour faire un film quand on n’a pas les moyens. Est-ce que la coproduction est une solution?
J.H.: La coproduction impose des contraintes au niveau de la langue et de l’équipe. L’idéal serait de produire, à travers ce système, mais en ayant signé des accords de coopération avec ces pays-là.
K.J.: Nous, par exemple, étions obligés de sortir une autre version en France qui passera sur Canal+.

Votre budget s’élève à combien?
J.H.: Nous avons un budget d’un peu moins d’un million de dollars, ce qui est peu pour un film.

Que faire pour empêcher la disparition du cinéma national?
J.H.: Il existe beaucoup de solutions, comme le fond de soutien du ministère; ensuite, la participation des télévisions avec des montants qui encouragent les autres pays à mettre de l’argent.

Comment évaluez-vous le festival et vous attendiez-vous à beaucoup plus?
J.H.: On est déjà content qu’il y ait ce festival qui est un beau tremplin pour le film. Cependant, on le souhaitait plus compétitif, avec une plus grande présence étrangère, notamment des journalistes.

AVENIR DU CINÉMA INDÉPENDANT
Etes-vous pessimiste ou optimiste quant à l’avenir du cinéma libanais?
K.J.: Je suis pessimiste tout court. Aujourd’hui, l’industrie américaine gère le cinéma. Un type comme George Lucas veut changer même le support cinématographique. Il existe une concurrence au niveau du marketing et non de la qualité des  films. Il y a des productions américaines intéressantes, mais l’important est que d’autres productions puissent exister, surtout au niveau du territoire et du contexte. Le cinéma italien a presque disparu.
J.H.: Je pense qu’il faut absolument continuer à travailler dans la qualité, d’écrire de bons scénarios et d’encourager le cinéma libanais dans les pays arabes, en Europe, dans certains milieux américains.
D’abord, il faut lancer l’intérêt comme dans le cas du cinéma iranien. Autre chose qui va encourager les films d’auteurs: le digital qui permet de tourner un film avec beaucoup moins de moyens et beaucoup plus de liberté. Les cinéastes libanais doivent profiter de cette chance.

Comment défendre l’exception culturelle face à l’hégémonie américaine?
K.J.: L’exception culturelle est, d’abord, une décision politique. On pense, immédiatement, à la France qui travaille dans ce sens. Il faut essayer d’influencer un peu le goût du public qui, lui, tranche à la fin.

Préparez-vous, actuellement, un autre film?
J.H.: On prépare un long métrage. On est en phase finale de l’écriture; puis, on a aussi des films plus légers, ainsi que des documentaires.

Votre film est-il sorti à l’étranger?
K.J.: Il est en deuxième semaine au Canada. Il sortira en France le 15 décembre. Au Brésil, on discute encore avec un distributeur. Le film fait sa tournée, c’est déjà bien.

Et pour la télévision?
J.H.: En France, il passera à la télévision sur Canal+. Au Liban, on est encore en discussion, mais je pense que la LBCI aura les droits de diffusion.

L’Academy of Motion Pictures a invité 75 pays à présenter leur candidature pour l’Oscar du meilleur film étranger. Y participerez-vous?
K.J.: Oui. Notre producteur a envoyé notre demande il y a déjà un mois au ministère de la Culture et de l’Enseignement supérieur et au Centre national du Cinéma. Il faut aussi que la commission qui sélectionne les films aux Oscars se réunisse pour décider d’envoyer le film, mais c’est assez pressé, car il faut qu’elle donne sa réponse avant le premier novembre, dernier délai pour présenter sa candidature.

Propos recueillis par
EDDY ESTA et MICHELINE ABI-KHALIL

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