JIHANE SADATE: TEMOIN PRIVILEFIE D'UNE TRANCHE D'HISTOIRE

Les militants qui ont abattu à bout portant le président égyptien Anwar Sadate, sous ses propres yeux, le 6 octobre 1981, l’appelaient la “femme du tyran”. Sadate, lui, l’appelait simplement Jihane. Pour le pays tout entier, elle était la Première Dame de l’Egypte. Aujourd’hui, Jihane Sadate est une mère attentionnée, une grand-mère aimante et l’indéniable témoin d’un demi-siècle de l’Histoire de l’Egypte. “Je me suis toujours arrangée pour gérer mes multiples responsabilités, déclare-t-elle. “Aucune humeur versatile dans mon caractère. J’ai toujours fait face à toutes mes responsabilités sans exception. Peu de gens m’imaginent sous les traits d’une mère ou d’une grand-mère. Pourtant, je suis une gardienne vigilante de ma famille. Et en guise de témoignage: “Nous attendions mon petit-fils Anwar impatiemment... et maintenant, il remplit ma vie de joie”... Et Jihane Sadate se souvient...
 

Mme Jihane Sadate tenant dans 
ses bras son petit-fils Anwar.

Mme Jihane Sadate entourée de sa famille: 
G.-D.: Hassan Marei avec sa femme Noha, 
la puînée du président; Sherin Zein Sadate
tenant son fils Anwar dans ses bras; son 
époux Gamal Sadate (lunettes et chemise 
bleues) le fils d’Anwar et de Jihane Sadate;
Mme Jihane Sadate; Lubna Sadate, la fille
aînée du président; la cadette de ses filles
dénommée, aussi, Jihane et Mahmoud Osman,
son époux.
 
Mme Sadate est l’un des quatre enfants issus du mariage d’un père musulman et d’une mère anglaise chrétienne. “C’est de tous les deux que j’ai hérité l’amour de la famille. J’ai vu ma mère quitter son pays pour vivre avec mon père. Elle l’a aimé, comme aussi j’ai aimé Sadate. Elle a pris soin de sa famille, moi de même. C’est la vie de famille qui nivelle les différences.” Mme Sadate avait un grand respect et un réel amour filial pour sa mère, laquelle en dépit du fait qu’elle était de confession chrétienne, soutint toujours ses enfants et son mari dans leur foi islamique, allant jusqu’à participer au jeûne du Ramadan. Elle se plaît à décrire le soin qu’elle prenait de sa maison et de sa famille, afin de créer une équipe d’entente et de travail, quelque chose qui n’est pas répandue en Egypte, mais espère que cela puisse servir d’exemple et d’émulation. “Le président Sadate et moi étions des partenaires. Il n’y a pas un autre mot pour définir nos relations, même avant qu’il ne fut devenu président.
Lorsque Sadate succéda à Gamal Abdel-Nasser, c’était un inconnu. Onze années de Pouvoir ont suffi pour établir son leadership. Sa première épreuve sur la scène internationale se situe après la défaite de 1967. Sadate offrit, alors, aux Israéliens un traité de paix en échange du retour du Sinaï. A ce moment, la crise intérieure et les problèmes internationaux paraissaient insurmontables. L’économie du pays subissait les effets de la défaite, alors que les Soviets se révélaient être des alliés peu sûrs et que nos relations se détérioraient. Pressés d’apporter à l’Egypte un soutien accru pour remplacer les pertes de la Guerre des Six Jours, ils ignorèrent les appels pressants de mon époux. Ce qui le décida à prendre des mesures extrêmes: rompre! Plus tard, il expliqua sa volte-face: “Ils m’ont littéralement trahi!” Entre-temps, il préparait en douce la guerre de la revanche, celle du 6 octobre, avec un tel soin que les Israéliens furent littéralement pris de surprise et que cette guerre menaça à un certain moment l’existence même de l’Etat hébreu. Sadate et le cercle étroit qui l’entourait étaient réellement efficaces. Moi-même je n’ai rien su de ce qui se préparait jusqu’à la dernière minute, malgré le fait que je me doutais de quelque chose! En coulisse, cependant, Sadate entreprenait de reprendre le Sinaï, puisque les Israéliens continuaient à refuser les initiatives de paix égyptiennes. Alors le 6 octobre 73, il frappa et ce fut un coup de maître! Avec une précision exceptionnelle, l’armée égyptienne franchissait le canal de Suez et pénétrait dans le Sinaï, bousculant les troupes ennemies... Ce qui allait donner un coup de pouce inattendu en faveur de la paix, aussi bien en Israël qu’en Egypte.
 
“Tout était prêt pour la victoire, raconte Mme Jihane Sadate. Après la catastrophe de 1967, les soldats étaient tellement assoiffés de vaincre! Peut-être les choses auraient-elles gagné à être encore plus minutieusement organisées? Les mêmes soldats, battus en 67 sont en 73 ceux qui ont gagné la guerre. Ce fut un moment unique pour le cœur de la nation...”
Et Mme Sadate de poursuivre: “Nos forces armées auraient pu s’avancer plus avant dans le désert, n’était-ce l’activité hostile des Nations Unies à notre égard. Les Israéliens disposent de médias puissants. Et ils inventèrent de toutes pièces la poche pratiquée par leurs troupes pour encercler les nôtres, comme une victoire. Eh! bien non! L’ex-président Carter et l’ex-secrétaire d’Etat Kissinger ont admis que l’ex-Premier ministre Golda Meir hurlait littéralement au téléphone, appelant les Américains à sauver Israël!” Ici, Mme Sadate admet, implicitement, que les USA ont secouru Israël en munitions et en volontaires pour combattre l’Egypte. Et que ce sont leurs satellites qui fournissaient aux Israéliens, les informations sur les mouvements de nos troupes. Et si Sadate a demandé, alors, un cessez-le-feu, c’est qu’il lui était impossible de combattre les USA, ce qui, du reste, était peu équitable de la part des Américains, si ce n’est carrément injuste. Pour ma part, j’ai toujours encouragé mon mari à entreprendre cette guerre pour reconquérir nos territoires. Je lui disais qu’il n’avait rien à perdre, mais qu’il avait tout à gagner! Malheureusement, le président Sadate avait à se battre sur plusieurs fronts, dont les problèmes domestiques. La situation économique allait se détériorant avec un fossé qui s’élargissait de plus en plus entre la classe des nantis et celle des pauvres. Ce qui devait conduire à des troubles: grèves, manifestations et autres conflits sociaux. Ces pressions internes exercées sur mon mari devaient attirer l’attention de la communauté internationale et en particulier des USA, concernés par le fait que ces conflits affaibliraient le président, dont la politique modérée n’était pas pour leur déplaire. Convaincu qu’une paix éventuelle avec Israël rapporterait à l’Egypte un énorme “dividende”, il prononça devant le parlement, le fameux discours de 1977 où il sollicitait de négocier, où et quand l’occasion s’en présenterait, avec Israël, même s’il lui fallait prendre la parole en pleine Knesset!
Proposition qu’Israël accepta au vol en invitant Sadate à venir le faire... Il accepta, ce qui constitua un irrésistible élan vers la paix... culminant en 1978 avec les accords préliminaires de Camp David, suivis du traité de paix de 1979. Mon époux était un authentique homme de paix... Et je ne l’en ai aimé que davantage! Une fois, il m’a dit: “Le communisme n’a pas la vie longue!...” Je ne l’ai pas cru. Et pourtant, deux décennies après, sa prédiction s’avérait exacte! Le Prix Nobel lui fut attribué pour les efforts qu’il a déployés en faveur de la paix. Mais à l’intérieur, il faisait face à une sourde opposition qui trouvait ses principaux supports parmi les groupes fondamentalistes, ce qui ne laissait pas de l’inquiéter pour la stabilité du pays...
Il devait tomber victime de ces mêmes fondamentalistes le 6 octobre 1981, durant une parade de l’armée commémorant la signature de la paix de 1973. Sadate payait ainsi de sa vie, la paix avec Israël. Ses assassins l’ont, d’ailleurs, reconnu devant les tribunaux. Ces événements étaient prévisibles... à cause de l’énorme opposition soulevée par sa visite en Israël, aussi bien à l’intérieur que dans le monde arabe. Il le savait... Moi aussi. Mais rien ne devait l’arrêter pour jeter les fondements définitifs de la paix! Pour justifier mes propos, qu’il vous suffise aujourd’hui de jeter un coup d’œil sur la carte; la Syrie empêtrée dans d’âpres négociations pour espérer parvenir à un accord; les Palestiniens, embourbés dans un nœud inextricable de propositions et de contre-propositions... Cela pour vous dire que Sadate a fait le bon choix...
Actuellement et depuis longtemps du reste, Mme Sadate a contribué et participé à la formation de plus de trente organisations à caractère social et humanitaire. Elle a, en particulier, contribué à l’amélioration du sort de la femme en Egypte... où elle a constitué un admirable exemple.
Après un moment de silence, elle a ajouté: “Le pire moment de ma vie fut celui où j’ai vu tomber l’homme que j’aimais et juste à quelques pas de moi! Je n’ai pas perdu la tête. Le ministre de l’Intérieur et son épouse hurlaient en poussant la troupe à abattre les assassins... Je leur ai demandé alors de mettre un terme à leurs vociférations, inutile d’ajouter le ridicule au drame! Ce qui est arrivé - on n’y peut rien! A part, garder son sang-froid et ne jamais le perdre. Je n’ai ni couru, ni crié! Je me suis soumise au destin!”. La noblesse et la force de caractère de Mme Sadate constituent peut-être les raisons majeures qui lui ont fait surmonter les vicissitudes de la vie et garder, dans le peuple, du noble comportement, de cette ancienne Première Dame d’Egypte la belle image d’une authentique grande dame!
C.E.H.

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