Saturnale


Par MARY  YAZBECK AZOURY

Prévoir, ce n’est pas provoquer!
Un mot d’ordre général devait être donné aux responsables: ne plus invoquer le lourd héritage actif et passif qu’ils ont reçu.
Evidemment, ce ne sont pas eux qui ont commis toutes les bourdes ayant amené le pays, âgé de 56 ans d’indépendance, dans l’état où il est.
Ceci est une vérité de La Palice... S’ils sont à ces postes de commande, c’est que les précédents n’ont pas donné satisfaction. Il ne s’agit pas pour eux d’expier les fautes de leurs pères; on n’est pas en religion, mais il leur faut bien réparer les dégâts cumulés. S’ils sentent qu’ils ne sont pas à la hauteur, qu’il rendent le tablier... ou le maroquin.
Il est aussi évident, que tout cela ne peut être réalisé en un mois ou un an. L’important est de changer les priorités.
La première des priorités, c’est que l’être humain l’emporte sur la pierre, aussi belle soit-elle.
Le responsable libanais doit comprendre, enfin, que le citoyen libanais doit vivre et non seulement survivre; il doit sourire et, surtout, espérer.
Espérer est le plus important.
Le premier orage est survenu et tout le Liban est noyé?
Ceci est un simple exemple de l’imprévoyance.
Qu’adviendrait-il si un tremblement de terre secouait le Liban?
“Qu’on ne parle surtout pas de ce malheur”, a-t-on rétorqué.
Il faut, pourtant, en parler et savoir ce qui adviendrait dans ce cas.
Ne pas parler d’une catastrophe, ce n’est pas l’éviter. En parler, ce n’est pas la provoquer.
Cessons ces superstitions et ces enfantillages.
Si la météo prévoit l’ouragan, elle ne le provoque pas.
Le gouvernement doit prévoir et agir.
Ou alors s’en aller!

***

À quand l’“ara”?
Il ne s’agit pas de l’ara, grand perroquet d’Amérique latine à longue queue et au plumage coloré.
On parle de l’“ARA”, le futur homologue de l’“EURO”...
La Ligue arabe est née une bonne dizaine d’années avant le Traité de Rome et comprend des pays qui ont une même langue en commun, à savoir: l’arabe.
Il n’en est pas de même de la Communauté européenne, issue du Traité de Rome, qui groupe une quinzaine de pays aux langues différentes. Parmi les membres de la CEE; des pays monarchistes, des républiques, des nordistes flegmatiques, des sudistes impétueux et, pourtant, ils sont arrivés à s’entendre et à fort bien s’entendre. L’Europe unie est une force mondiale avec laquelle il faut compter et qui fera certainement un contrepoids avec les Etats-Unis d’Amérique.
Qu’ont fait les Arabes depuis 55 ans?
Que font ces pays frères et sœurs dont les leaders savent très bien s’embrasser au cours de leurs fréquents entretiens, mais qui n’arrivent pas à déboucher sur la moindre politique économique commune. Que font-ils à part se faire élire, réélire, s’acclamer ou se faire acclamer?
Quelle est cette malédiction qui pèse sur le monde arabe et fait que, non seulement on n’a pas abattu des frontières, mais rendu l’obtention des visas encore plus difficile?
Nous connaissons la chanson: “C’est la faute d’Israël... et de ses agents stipendiés”.
En fait, de libre circulation entre les pays arabes frères et sœurs, il est peut-être plus facile d’entrer au ciel que dans un de ces pays.
En attendant l’“ARA” qui n’est même pas à l’état de gestation, il est à espérer que l’on pourra obtenir un visa!
Un peu plus rapidement et plus facilement!

***

Que de prétention!
Aimer son pays, c’est normal.
L’aimer tel qu’il est avec ses défauts et ses qualités, c’est encore mieux.
Vouloir l’améliorer, c’est idéal.
Mais que dire quand on prend ses rêves pour de la réalité?
L’autre soir, en assistant à l’élection de “Miss Liban 2000”, les téléspectateurs se sont demandé de quel pays parlaient animateurs et candidates?
S’agissait-il bien du Liban? De leur Liban?
Aucun superlatif, aucun terme dithyrambique, n’a été oublié pour parler du pays des Cèdres. A croire tous ces beaux parleurs, les Libanais vivaient dans le meilleur des mondes.
Que le Liban soit une des merveilles du monde! C’est possible s’il n’y avait pas hélas!... les Libanais.
Critiquer son pays n’était pas, certes, l’endroit idéal pour ce faire. Il aurait, pourtant, suffi de parler des merveilles ou des beautés naturelles du pays. Cela aurait largement suffi.
La fatuité et la prétention sont nos pires ennemis. Comment peut-on établir un diagnostic véritable et améliorer notre condition, si l’on ne constate pas les réalités quotidiennes?
Un peu de modestie, un peu de réalisme SVP. Les téléspectateurs libanais ou étrangers ne sont pas des imbéciles. Ce n’est pas trahir son pays que de constater ses imperfections. Bien au contraire.
Quelle meilleure preuve d’amour que d’aimer quelqu’un avec ses défauts, peut-être en dépit ou en raison de ses défauts?
Alors, de grâce, qu’on nous épargne ces envolées oratoires ridicules, dignes des tiers et quatrième mondes.

***

À la Suisse
Non pas surréaliste!
Un grand homme politique suisse vient de l’affirmer: “Si les cinq cents premières fortunes de la Suisse offrent, soit leurs salaires annuels, soit le bénéfice d’un an de leurs entreprises au Trésor de la Confédération helvétique, toute crise économique serait non seulement évitée, mais prévenue pour les dix prochaines années dans ce pays”.
Ceci a été approuvé par le plus grand nombre de ses compatriotes, y compris les plus nantis.
Ce n’est pas du surréalisme, ni de la démagogie ou de l’utopie. A savoir que les pays scandinaves et la Grande-Bretagne dans leurs systèmes fiscaux, appliquent quasiment ce principe. Dans ces pays, certaines grandes fortunes sont taxées jusqu’à 90%. Les responsables partent de ce principe que l’on peut vivre avec 100 millions de dollars, aussi bien qu’avec mille millions... Et la plupart des citoyens de ces pays, des contribuables, même s’ils protestent pour la forme, s’exécutent.
Bien sûr, il y a les “mauvais élèves” qui essaient de faire fuir leurs capitaux, mais ce ne sont que des exceptions.
Aux Etats-Unis, le système de la déduction des taxes est très opérant. La preuve? Le nombre incalculable de fondations, de bourses de toutes sortes offertes par les plus riches.
C’est ce qu’on appelle des pays civilisés!
Et si l’on demandait aux 500 plus grosses fortunes du Liban de faire le même geste, de renoncer pour un an à leurs bénéfices, quel résultat obtiendrait-on?
On le connaît: “Charité bien ordonnée commence par soi-même et finit comme elle a commencé”...


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