UN GRAND TEMOIN POLITIQUE DE NOTRE TEMPS DISPARAIT
KHATCHIG BABIKIAN A QUITTE L'HEMICYCLE

On le savait malade depuis quelque temps déjà, mais on ne voulait pas croire qu’un homme de cette envergure serait terrassé par la maladie.
 

Me Babikian et S.S. Aram I lors d’une
rencontre avec S.S. Jean-Paul II.

Avec le président Elias Hraoui.

 
 
On le savait rongé par ce mal qui ne pardonne pas, mais on essayait d’éluder ce fait, en le voyant entrer d’un pas déterminé dans l’hémicycle, ou quand il prenait fait et cause, luttant contre une injustice.
La nouvelle de sa mort est tombée comme un couperet jetant la consternation parmi la classe politique, l’Eglise et la communauté arméniennes dont il fut toute sa vie le fidèle serviteur, le corps diplomatique, les membres de l’Association des parlementaires francophones et ses amis.
Me Khatchig Babikian était une figure marquante de la scène libanaise, un éminent juriste, un passionné de la vérité.
Cet homme engagé dans l’arène politique fut, également, l’un des artisans majeurs de la francophonie au Liban et dans le monde.
Une figure de proue de ce Liban qu’il a servi toute sa vie. Il serait difficile de résumer en quelques mots une vie comme la sienne.
Me Babikian, c’était cette carrière politique étonnante, la longévité d’une action au sein du parlement ou du gouvernement libanais. Ténor du Barreau, il avait fait sienne cette phrase de Proudhon: “La justice est le respect, spontanément éprouvé et réciproquement garanti de la dignité humaine, en quelque personne et dans quelque circonstance qu’elle se trouve compromise et à quelque risque que nous impose sa défense.”
Un vétéran du prétoire, un grand au Palais, un réformateur dont la haute intelligence et la profondeur de vues avaient plusieurs fois servi la patrie.
Me Babikian avait été élu député la première fois en 1957. Constamment réélu à ce titre en 1960, 1964, 1968, 1972, il avait occupé diverses fonctions jusqu’à son élection en tant que ministre d’Etat pour la Réforme en 1960-61, ministre de la Santé en 1969, ministre du Tourisme en 1970, représentant personnel du chef de l’Etat au Sommet des pays non alignés qui s’était tenu en Afrique en 1970, ministre de l’Information en 1972, ministre du Plan en 1973, ministre de la Justice en 1990-92.
Député de Beyrouth, membre du parti Tachnag, il était également le vice-président de l’Association mondiale des parlementaires francophones, président de la “Lebanese Management Association...”
Cette éminente figure publique était aussi un homme engagé au service de son Eglise.
Président depuis 1976 du conseil central du catholicossat de Cilicie, il était également le président de l’Association arménienne de l’Habitat relevant de l’Eglise arménienne, assurant des centaines de logements à des familles à revenu limité.
 

En compagnie du roi Hussein de Jordanie.
Avec le président Elias Hraoui.

Avec le président Jacques Chirac.
 
UNE VIE ENTIÈRE AU SERVICE DE LA NATION ET DE SA COMMUNAUTÉ
Né le 5 octobre 1924 à Larnaca, Khatchig Babikian avait poursuivi des études secondaires au Collège italien de Beyrouth pour ensuite se diriger à l’Université Saint Joseph où il décroche une licence en droit et un Diplôme d’Etudes Supérieures en Droit public (DES).
Il a ensuite étudié l’économie à la “London School of Economics” de Londres.
Outre ses multiples fonctions au parlement et au gouvernement, Me Babikian était l’auteur de nombreux ouvrages de références et de plusieurs articles dans les domaines administratif, social et parlementaire.
Les plus hautes distinctions honorifiques, lui ont été décernées, parmi lesquelles le Mérite libanais, la Légion d’Honneur (officier), le Mérite italien (officier), l’Ordre de la Pléiade, chevalier de l’Association “Protégeons les enfants”, la médaille de la “Lebanese American Student Association”, l’ordre militaire de la Croix de Nuremberg...
Membre éminent de la communauté arménienne, il fut le grand défenseur de la politique du parti Tachnag, l’ardent porte-parole de la cause arménienne.
Ce politicien qui était, aussi, un grand mécène, créa plusieurs fondations comme la Fondation du “Concours Margot Babikian”, la fondation Khatchig Babikian qui vient en aide aux personnes nécessiteuses et aux cas sociaux, les quelques étages d’une bibliothèque, située au sein même du Musée du catholicossat de Cilicie, portant son nom.
Me Babikian fut l’avocat au verbe prenant des droits légitimes du Liban et du peuple libanais n’ayant de cesse à œuvrer à l’entente et au dialogue national durant les années noires de notre Histoire. Dans une interview à “La Revue du Liban”, il confiait: “ Si les Libanais ne vont pas prendre leur sort en main, personne ne le fera”.
“La question d’allégeance au Liban est acquise par tous. Evidemment, chacun comprend cette allégeance à sa façon, mais il n’y a plus de région qui puisse être accusée de vouloir, à Dieu ne plaise, se détacher de cette grande famille libanaise pour s’identifier à n’importe quelle autre entité...
“Toutes les crises qui ont secoué le Liban ne peuvent que servir à renforcer notre intégration nationale. Nous devons tendre vers une entente nationale qui consiste à se regrouper autour de l’Etat en la personne du président de la République...”
Cet homme épris de justice avait toujours plaidé la cause du Liban. On se souvient, encore, de son allocution devant des parlementaires étrangers réunis à Montréal: “C’est un grand Libanais, le Dr Charles Malek qui, à la signature de la charte de l’ONU, en 1947, présidait avec le président René Cassin, aux destinées de la commission des droits de l’homme où fut adoptée la déclaration universelle de même nom dont nous continuons à nous prévaloir encore à ce jour...
“Des années de vicissitudes, de confrontations, de privations n’ont en rien entamé la foi des Libanais en la priorité du droit, ni leur détermination à remettre en œuvre l’ensemble de procédures et mécanismes qui constituèrent et continueront à constituer la garantie la plus sûre d’un Liban, patrie de la liberté et de la démocratie.”
En économiste averti, Me Babikian savait donner une impulsion nouvelle à l’industrie nationale, en encourageant la production et l’exportation vers le monde arabe, mettant l’accent sur le rôle prépondérant du Liban: “porte du monde arabe”.
Jusqu’au soir de sa vie, ses interventions furent applaudies par ses collègues dans l’enceinte parlementaire.
Cet homme qui avait contribué à l’élaboration des amendements des accords de Taëf, fut l’un des premiers à appeler au dialogue entre les partis en conflits durant la guerre, appelant sans cesse au dialogue islamo-chrétien et à la coexistence pacifique entre les communautés libanaises.
 

Me Khatchig Babikian, un géant de la politique libanaise.

LES HOMMAGES...
L’une des premières personnalités à rendre hommage au politicien disparu fut l’ancien président de l’Assemblée nationale M. Hussein Husseini: “Les interventions de Me Khatchig Babikian ont toujours été dictées par son amour de la patrie. Me Babikian était un homme de gouvernement de premier ordre. Je perds en lui un ami très cher... On ne saurait oublier sa contribution à la conclusion d’un nouveau pacte d’entente nationale et à son succès”.
Le parti Tachnag, dans un communiqué, a estimé que “M. Babikian était un homme d’Etat libanais dont étaient fiers la communauté arménienne et le parti Tachnag qu’il avait représenté depuis 1957 au parlement et au sein des gouvernements successifs depuis le mandat du président Chéhab.
“Le comité central du parti Tachnag, conclut le communiqué, considère son départ comme une grande perte nationale pour le Liban et la communauté arménienne”.
Le député Sebouh Hovnanian a confié: “Jusqu’à son dernier souffle, entre deux séances de thérapie douloureuse, notre grand disparu n’a renoncé ni à son sens des responsabilités, ni à son courage...”
Me Jacques Tchokhadarian, député de Beyrouth, a dit: “Un géant de la politique nous a quittés. Le parlement ne sera plus le même...”.
L’ancien Premier ministre, M. Rafic Hariri a rendu hommage à la loyauté, la sincérité et le patriotisme du grand disparu.
J’ai eu le privilège d’avoir accès, pour la rédaction de cet article, de pénétrer, en compagnie de sa fille Carole, dans le bureau privé de Me Babikian afin de choisir les photos illustrant ces pages. C’est là, dans un tiroir qu’on a trouvé des agendas dans lesquels il notait les passages des lectures qui l’avaient le plus marqué. Nous y avons trouvé cette pensée de Jean Guitton: “La culture est ce qui nous reste quand on a tout oublié”, cette phrase d’Oppenheimer:” Les pages sur lesquelles s’écrira l’histoire de notre avenir ne sont pas blanches, car le futur est déterminé par le passé déjà écrit. Nous ne pouvons effacer aucune d’elles...”
Les obsèques de Khatchig Babikian ont été célébrées au catholicossat d’Antélias par S.S. le catholicos Aram I, en présence d’une foule de personnalités du monde politique et culturel. Un homme de réflexion un sage nous a quittés. Un homme qui avait fait sienne cette pensée de Montesquieu: “La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent....”
“La Revue du Liban” présente à sa famille et à la communauté arménienne ses condoléances émues.

SONIA NIGOLIAN

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