ANCIEN CHEF DU LEGISLATIF HUSSEIN HUSSEINI:
"TOUT GOUVERNEMENT LIBANAIS DOIT REPONDRE AU CRITERE DE L'ENETENT NATIONALE"

Il est connu pour être le “parrain de Taëf”, dont il détient les procès-verbaux qu’il s’abstient, jusqu’ici, de publier. “Je n’en suis pas le propriétaire, dit-il, mais ceux qui ont élaboré l’accord de Taëf ont convenu de le maintenir sous le sceau du secret”.
Dix ans après l’adoption de cet accord, le président Hussein Husseini le juge valable et apte à préparer la voie, à travers une loi électorale équitable, à une législature représentative, digne du IIIème millénaire.
Il continue à soutenir que “le Liban doit être géré par des Cabinets d’entente nationale jusqu’à la fin des temps, l’actuel gouvernement étant appelé à en préparer l’avènement”.
 

PACTE NATIONAL ÉCRIT
L’ancien chef du Législatif commence par préciser que l’accord de Taëf, appelé par la suite, “document d’entente nationale”, est devenu le Pacte national écrit ayant remplacé celui de 1943, lequel n’avait pas été consigné sur le papier, “parce qu’il n’apportait pas de solutions aux questions vitales engageant l’avenir de la nation, en particulier celles en rapport avec son environnement arabe”.
De fait, les amendements apportés à la Constitution à cette date, modifiaient uniquement les dispositions de la loi fondamentale relatives au mandat français. Cela a débouché sur un régime présidentiel camouflé, preuve en est que les clauses constitutionnelles conféraient au président de la République de larges prérogatives qui n’ont pas été appliquées depuis la proclamation de la Constitution en 1926.
Puis, le Pouvoir judiciaire ne jouissait pas de son indépendance totale et a été rattaché au Pouvoir exécutif... Nous vivions, jusqu’en 1980, dans un “état de trêve continuelle”, ce qui était la cause de crises et de conflits.
Aussi, l’accord de Taëf a-t-il pris en considération tous les développements historiques qui se sont produits dans notre pays. Il vise à favoriser l’édification de l’Etat des institutions et a permis de transposer le Liban de l’état de guerre à l’état de paix civile.

SÉPARATION DES POUVOIRS ET DIALOGUE PERMANENT
D’aucuns affirment que l’accord de Taëf n’a été appliqué que partiellement?
Le document d’entente nationale se base sur l’unité nationale, la vie en commun entre chrétiens et musulmans et le dialogue permanent à travers les institutions. Il suppose la séparation des Pouvoirs, leur coopération et leur équilibre, ces derniers ayant à leur tête le chef de l’Etat qui est le président de la République.
A présent, les attributions du Pouvoir législatif sont clairement définies et il importe d’en faire évoluer l’action, à travers une loi électorale équitable, affranchie des exceptions.
De même, le Pouvoir exécutif a besoin d’un règlement intérieur pour organiser les rapports entre le chef du gouvernement et les ministres, comme entre les Pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ce dernier devant jouir de l’indépendance totale. De cette manière, on assure l’unité de l’Etat en dépit de la diversité des Pouvoirs  et ceci ne s’est pas réalisé jusqu’ici d’une façon parfaite.

Qu’en est-il de l’abolition du confessionnalisme politique?
Le document d’entente nationale prévoit une telle opération par étapes et d’une manière progressive. On ne peut mettre fin à ce mal qui n’est pas chronique, mais d’origine religieuse, qu’à travers le renforcement des institutions étatiques, d’autant qu’il est favorisé par ceux qui croient pouvoir en tirer quelque profit.

QUID DU PACTE NATIONAL?
Dans vos fréquentes interventions à la Chambre, vous établissez une distinction entre les clauses du pacte national et celles de la Constitution, les secondes étant à votre avis, sujettes à révision, mais non les premières...
C’est une bonne question à laquelle je réponds en précisant que le Pacte national vise à consacrer l’unité de la nation et la vie en commun. Tout ce qui peut contribuer à atteindre cet objectif relève du pacte; le reste n’est que détails. Quand ces derniers sont en contradiction avec l’esprit du Pacte, il faut y mettre fin.
Le Pacte définit la nature du système: est-il présidentiel ou parlementaire et démocratique permettant la participation de toutes les communautés et les franges de notre société? Ainsi, au lieu de ramener la patrie aux communautés, nous avons ramené les communautés à la patrie. D’où l’interdiction de toucher au texte du pacte, parce qu’on l’exposerait au danger, tel de modifier la clause relative à l’unité nationale.

Quand envisagez-vous de placer les procès-verbaux de Taëf, dont vous êtes le dépositaire, à la disposition de la Chambre des députés?
L’accord de Taëf a été ratifié par l’Assemblée nationale le 5 novembre 1989, siégeant à l’aéroport de Kleyate (Liban-Nord).
Or, les procès-verbaux de Taëf appartiennent à ceux qui ont participé à la conférence ayant tenu ses assises dans cette ville séoudite. Les députés présents ont convenu de les maintenir sous le sceau du secret.
Ces procès-verbaux sont donc la propriété des membres de l’Assemblée et leur publication ne profite en rien, car les Libanais n’y trouveront aucun détail, dont ils ne sont pas informés.

LE “CABINET DES 16” ET SA MISSION
Le document d’entente nationale stipule que le gouvernement doit répondre à ce critère; l’actuel “Cabinet des 16” remplit-il cette condition?
Les gouvernements libanais doivent répondre à ce critère jusqu’à la fin des temps, ce qui n’était pas le cas des précédents Cabinets.
L’actuelle équipe ministérielle a pour tâche d’élaborer des projets en rapport avec le Pouvoir judiciaire, la loi électorale, le règlement intérieur du Conseil des ministres; elle prépare donc la voie au gouvernement d’union nationale.

L’actuel gouvernement est-il un Cabinet politique ou technocrate?
Tout gouvernement est de caractère politique, car il jouit de la confiance de la Chambre. Même si certains ministres sont qualifiés de technocrates, notre système ne reconnaît pas une telle appellation.

On dit que le “Cabinet des 16” supervisera les prochaines législatives, mais le président Hoss est favorable à un Cabinet neutre; qu’en pensez-vous?
Le chef de l’Etat se doit de soutenir le gouvernement, tant qu’il jouit de la confiance de l’Assemblée.
En ce qui concerne la neutralité du Cabinet chargé de superviser les élections générales, mon expérience me permet de dire que les pires gouvernements ayant été chargés d’organiser les législatives, sont ceux qui étaient neutres, pour la raison qu’ils ne jouissent, pratiquement, d’aucune autorité.
La consultation populaire la plus réussie a été celle de 1972; elle avait été supervisée par un gouvernement présidé par M. Saëb Salam et ce Cabinet n’était pas neutre.

AUTOUR DU DÉCOUPAGE DES CIRCONSCRIPTIONS
Le découpage des circonscriptions semble retarder l’élaboration de la nouvelle loi électorale. Etes-vous pour le caza ou le mohafazat?
Je suis d’avis qu’il faut éviter de découper les circonscriptions de manière à en faire autant de cantons ayant une couleur déterminée ou d’entités confessionnelles.
Il importe de s’en tenir à l’esprit du document d’entente qui vise à assurer une représentation authentique de la volonté populaire et l’intégration nationale. J’admets toute proposition ou formule pouvant atteindre ce double objectif; qu’il s’agisse du caza ou du mohafazat.

Comment expliquez-vous le retard à élaborer la nouvelle loi électorale?
Comme il s’agit d’un projet important, il faut se hâter de le mettre au point, mais sans précipitation.

Le nouveau rapprochement entre les présidents Hoss et Karamé signifie-t-il une alliance sunnite face au président Rafic Hariri, à l’approche des législatives?
Les présidents Hoss et Karamé ne travaillent pas sur une base confessionnelle. Tous deux ont fait partie de la “Rencontre parlementaire nationale”, dont j’étais membre; tout les incite à coopérer et leur coopération est nécessaire. Moi-même, je coordonne mon action avec le président Hoss et hier j’ai rendu visite au président Karamé, mais à aucun moment les calculs de caractère confessionnel ou sectaire n’entrent en compte.

RAPPROCHEMENT NORMAL
Que pensez-vous de la reprise du dialogue entre M. Walid Joumblatt et le chef de l’Etat? Ceci entre-t-il dans le cadre des préparatifs aux prochaines élections législatives?
Ce rapprochement est normal. Symbole de l’unité nationale, le chef de l’Etat est à égale distance de tout le monde.
Quant au gouvernement, il faut reconnaître qu’il a obtenu la confiance du parlement. Aussi, le boycottage du gouvernement de la part de certains opposants n’est pas bénéfique à la vie politique. Le Pouvoir a ses limites, ainsi que l’opposition qui doit se faire selon des règles.

Cette ouverture de M. Joumblatt se manifeste dans plus d’un sens: Baabda et les Ordres des moines, notamment.
Ceci est bénéfique, puisque M. Joumblatt jouit d’une position remarquable dans la vie politique, d’autant plus qu’il appartient à une famille qui n’a pas fait de politique sur une base partisane ou communautaire.

Pourquoi n’a-t-il pas encore visité Bkerké? Le siège patriarcal serait-il réticent à toute ouverture au seuil des élections législatives?
De par sa position nationale, Bkerké ne ferme jamais ses portes. Il en est de même pour les autres instances religieuses. D’ailleurs, le siège patriarcal ne boycotte personne.

ENRICHISSEMENT ILLICITE
Vous aviez une attitude à l’égard du projet de loi sur l’enrichissement illicite...
Cette loi existe depuis 1953 et a été amendée en 1954. Cependant, un organisme judiciaire n’a pas été formé pour la mettre en application. Après toute cette période, il faudrait l’amender, afin qu’elle soit applicable. Même le “amid” Raymond Eddé qui avait présenté ce projet de loi en 1953, demande l’amendement de certains articles.
Je ne vois aucune raison pour retarder la ratification de cette loi.
J’ai participé à l’amendement de certains articles, bien que j’aurais préféré que cela fût effectué en session ordinaire, non dans les commissions parlementaires.

L’article 4 de cette loi, menace-t-il, le secret bancaire?
Le secret bancaire est intouchable. La loi y relative stipule que le juge d’instruction peut, automatiquement, demander la levée du secret bancaire sur tout responsable du secteur public poursuivi par la loi.
Ainsi, la loi sur l’enrichissement illicite n’apporte rien de nouveau dans ce sens. Cependant, le fait d’élargir la marge des personnes appelées à déclarer leur fortune, peut faire croire à une atteinte au secret bancaire.

Approuvez-vous l’exemption des présidents de la République, de la Chambre et du Conseil de cette clause?
Personne ne doit être exempté. J’ai proposé la reprise de ce qui a été dicté dans le projet du Cabinet précédent, concernant les fonctionnaires de la 3ème catégorie et les cadres supérieurs, ainsi que ceux des douanes et les inspecteurs fiscaux, de façon à obliger les responsables assumant des charges publiques à déclarer leur patrimoine. Les autres seront exempts de le déclarer, mais ne le seront pas de la loi sur l’enrichissement illicite.

CONFIANCE EN L’AVENIR
Vous avez rencontré, récemment, M. Georges Corm, ministre des Finances. Partant de ce que vous l’avez entendu dire, êtes-vous optimiste quant à l’avenir et à la situation socio-économique?
Evidemment. J’ai confiance dans le ministre Corm et j’apprécie sa vision économique et financière.

Malgré la crise socio-économique, comment expliquez-vous votre optimisme?
Nous vivons une crise socio-économico-financière dont la solution ne peut être obtenue facilement ou à court terme. Nous devons reconnaître que nous avons accumulé des dettes de 1975 à 1998. Nous avons prôné une politique pour l’acquittement de la dette publique, le renforcement de la confiance dans le gouvernement et les institutions, afin d’attirer les capitaux et d’encourager les investissements.
Cette politique a été dictée par le document de l’entente nationale, à travers un programme de développement global. Malheureusement, c’est une politique contraire qui a été appliquée depuis 1992. Notre dette a atteint environ 20 milliards de dollars, soit 120% du revenu national. Ordinairement, si ce taux atteint 150%, cela signifie que nous avons dépassé la ligne rouge. 90% ou plus de nos recettes ne suffisent pas pour acquitter l’intérêt de la dette publique.

Qu’aimeriez-vous dire au terme de la première année du mandat présidentiel?
Nous avons grand espoir de voir se réaliser l’Etat des lois et des institutions tel que l’a promis le président Lahoud dans son discours d’investiture. Cela consolidera la paix civile et fera regagner la confiance dans l’Etat.

Propos recueillis par
HODA CHEDID

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