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UNE VISION OPTIMISTE DE TAEF
La commémoration du 10ème anniversaire de l’accord de Taëf a été l’occasion, comme il se doit, de divers discours. Une séance oratoire très officielle, tenue dans l’enceinte de ce qu’on appelle “le palais de l’Unesco”, a donné le ton. Les deux interventions les plus remarquables y furent celle du chef du gouvernement, M. Salim Hoss qui était, il y a dix ans, à la tête de l’un des deux gouvernements entre lesquels le pays se trouvait partagé et celle de M. Hussein Husseini, ancien président de la Chambre et gardien jaloux des minutes des délibérations de Taëf.
En résumé, on peut dire que le discours de M. Hoss est un acte de foi dans la démocratie. Le chef du gouvernement y a repris cette idée, qu’il répète depuis quelque temps déjà, qu’au Liban, il y a beaucoup de liberté mais peu de démocratie et que l’accord de Taëf n’est pas un point d’arrivée mais de départ, un texte qui pose le cadre d’une nécessaire évolution; il indique la voie.
Quant à M. Husseini, plus littéraire, après avoir invité les Libanais à une lecture attentive de l’accord de Taëf, il les a pressés d’en saisir l’esprit qu’il a dégagé, pour sa part, en termes lyriques qu’on peut se permettre d’abréger ainsi: l’esprit de cet accord, c’est essentiellement, la pérennité du Liban, c’est la survie des Libanais, c’est le Liban pour tous ses citoyens, c’est le respect des droits de l’homme - l’introduction de l’accord reflète cet esprit comme le reflète, également, le texte liminaire de la nouvelle Constitution, c’est le sens du Liban, c’est l’âme de l’entente et de la cohésion. “Ma foi dans le Liban est sans limite”, a-t-il conclu.
Cette double vision, de M. Hoss et de M. Husseini, n’est compréhensible que si l’on se remet dans le contexte de l’époque où Taëf a eu lieu, 1989. Le discours prononcé ce 5 novembre par M. Boutros Harb s’est employé à nous le rappeler: le pays divisé, la jeunesse désemparée, l’horizon bouché, la fuite dans l’émigration devenue massive, etc...
Y avait-il dans ce dernier discours une idée de justification ou d’excuse pour avoir accepté ce que certains critiquent encore aujourd’hui?

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Comme pour bien situer le sens de cette commémoration, M. Salim Hoss n’a pas manqué de souligner les déviations, par rapport à cet accord de Taëf, qui ont marqué la pratique politique des dernières années, en particulier ce système de la “troïka” si souvent dénoncé.
Il est clair que les orateurs qui se sont exprimés ce 5 novembre veulent nous persuader que nous sommes entrés, désormais, dans une ère de redressement, pour ramener l’Etat et ses institutions à l’esprit de cet accord de 1989. La voie dans ce sens est-elle bien balisée? Il ne suffit pas qu’elle le soit dans le texte tel que nous le présentent M. Husseini dans son discours et M. Hoss dans le sien. La sincérité et les convictions de l’un et de l’autre ne sauraient faire l’objet du moindre doute. Encore faudrait-il que le texte et l’esprit du texte fassent l’objet de la même interprétation par la majorité des Libanais, sinon de tous, du moins de tous les piliers de l’Etat, hauts fonctionnaires, magistrats de l’ordre judiciaire, députés (“loyalistes” et “opposants”)...
Autrement dit, cette entente qu’est censé refléter ce document de Taëf, doit être renouvelée tous les jours, afin que son esprit, cet esprit auquel se réfère M. Husseini, pénètre la pratique quotidienne du politique, de l’administratif, du judiciaire, c’est-à-dire de toutes les institutions de l’Etat.
Si cet effort n’est pas accompli, comment espérer effacer les séquelles de quinze ans de guerre civile, de désordre et, ensuite, de six années de “troïka”?
Le chemin du redressement est difficile. C’est le mythe de Sisyphe. Nous sommes peut-être déjà sortis du tunnel et un horizon plus clair est en vue avec un chef de gouvernement capable d’une analyse intelligente des problèmes comme en témoigne son discours de ce 5 novembre.
Mais l’analyse ne suffit pas. Volontarisme et optimisme non plus, sauf à s’enferrer dans un système dirigiste qui ne correspondrait plus aux idées libérales et démocratiques de M. Hoss lui-même.

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L’action doit suivre la théorie. Et il faut se doter des moyens d’agir.
Parmi ces moyens qui se présentent dans l’immédiat: une nouvelle loi électorale susceptible de faire progresser la pratique démocratique, dont M. Hoss souligne constamment qu’elle fait défaut, alors que l’exercice des libertés est sans borne.
On devrait, aussi, encourager l’esprit démocratique, le sens civique et celui des libertés dans l’enseignement et l’éducation. L’étude du texte de Taëf est en soi un apprentissage; c’est après tout, un texte fondamental à l’égal de la Constitution qui en est issue. Il appelle étude et débats.
Produire un citoyen nouveau pour un Liban nouveau où l’exercice des libertés ne va pas sans la connaissance et le respect des obligations et des devoirs de chacun, tâche difficile et de longue haleine.
Mais a-t-on commencé à l’entreprendre? 


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