KHATCHIG BABIKIAN
L'HOMME D'ETAT QUI NE SAVAIT QUE DONNER...

Nous étions quatre, comme les trois mousquetaires: Roger Karim qui est mort à Nice, il y a douze ans, Khatchig Babikian, qui vient de nous quitter, Fereydoun Hoveyda, qui s’est installé aux Etats-Unis et moi-même... Et nos autres condisciples, Pédro Dib, Abdel-Basset Ghandour, Jawad Osseiran..
 

L’une de ses dernières photos
(déjà atteint par la maladie) portant
la médaille du Mérite Libanais que
lui a décernée le président Hraoui.
 
Tous les jours sans exception, nous nous retrouvions chez les Hoveyda à la rue Nasra, pour repasser et résumer nos cours de droit, durant quatre ans, jusqu’aux diplômes du doctorat, sous l’œil bienveillant d’une “Khanoum” très maternelle. Puis, comme c’est la règle, chacun est parti de son côté à la rencontre de son destin.
Khatchig (dont le nom signifie petite croix) a fait une carrière exceptionnelle. En voici quelques étapes.
Il est né à Larnaca, dans l’île de Chypre le 5 octobre 1924.
Le milieu au sein duquel se déroule son enfance est imprégné d’une tradition de juristes. Son grand-père, Khatcher, est un avocat renommé à Adana et à Istanbul. Son père Diran est, également, avocat, formé à la Faculté de Droit de Genève; puis, à la Faculté d’Istanbul, dont le diplôme est obligatoire pour pouvoir plaider devant les tribunaux de l’Empire ottoman.
A la faveur des déplacements de sa famille, le jeune Khatchig fait ses études primaires à Paris; puis, chez les Frères des Ecoles Chrétiennes à Beyrouth; enfin à l’Ecole Italienne, il y reste jusqu’à l’obtention du baccalauréat.
Les langues qu’il pratique sont l’arabe, l’italien, le français, l’arménien, le turc, l’anglais et le latin.
Il obtient le baccalauréat italien, le 3 juin 1940. Le 5 juin, l’Italie se déclare en état de guerre... C’est pour lui le camp de concentration. Après diverses péripéties, il entre finalement en novembre à la Faculté de Droit de l’Université Saint Joseph (à l’époque filiale de la Faculté de Droit de Lyon) et décide de devenir avocat, malgré le conseil de son père de faire un ingénieur.
 

Avec les membres de sa famille,
lors de la remise des prix du concours
Margot Babikian pour la musique.
 
Lorsqu’il termine ses études de Droit en 1943, la langue arabe est proclamée langue officielle.
Il s’enferme durant six mois et crée sa propre méthode en lisant les journaux pour se familiariser avec l’arabe littéraire. Le Dr Khattar Chébli lui consacre, gratuitement, une vingtaine de séances pour le renforcer dans la syntaxe et les exercices de style. Mais il ne peut pénétrer le génie de la langue qu’en connaissant le Coran. C’est son collègue Fayçal Tabbara qui se charge de cette tâche.
Voilà qui explique, en plus d’un perfectionnement continu, comment Khatchig Babikian, un des leaders de la communauté arménienne, est devenu l’un des orateurs les plus éloquents de la Chambre des députés et l’un des juristes les plus rigoureux de la langue arabe.
Il effectue son stage à l’étude du bâtonnier Déaïbes el-Murr.
Il est chargé au début de 1947 de se rendre à Londres pour y suivre un procès de la Banque Sabbagh contre le War Office. Il passe en Angleterre six mois qui vont marquer sa vie.
De retour à Beyrouth, il se fait connaître comme avocat d’assises, en obtenant la condamnation à mort des quatre meurtriers d’un jeune Arménien qui étaient défendus par des ténors du Barreau.
C’est surtout comme avocat d’affaires qu’il est le plus célèbre. Il devient membre du conseil d’administration de banques, de sociétés industrielles et commerciales.
Il est élu député en 1957 et reste membre du parlement d’une manière ininterrompue jusqu’à la date de son décès.
Il fait partie de tous les ministères qui se constituent sous les mandats des divers présidents de la République depuis 1960.
Il est ministre de la Réforme en 1960, de la Santé en 1969, du Tourisme en 1970, de l’Information en 1972, du Plan en 1973, de la Justice en 1980 et, de nouveau, de la Justice en 1990.
Pour compléter ce portrait, rappelons qu’il épouse en 1956 Marguerite Hajjar qui sera, malheureusement, enlevée à l’affection des siens en 1985.
Le nom de Khatchig Babikian est intimement lié entre autres à trois titres principaux:
- La communauté arménienne: il faudrait tout un volume pour exposer ses activités, mais je voudrais simplement rappeler qu’il a consacré chaque jour au moins une heure, durant 25 ans, à son grand projet d’habitations populaires. Avec l’aide d’une bienfaitrice, Mlle Leila Karagueuzian et du catholicossat, il est parvenu à assurer des maisons d’habitations confortables à trois cents familles de sous-prolétaires arméniens.
- La francophonie: il a joué en son sein un rôle considérable comme vice-président de l’Association internationale des parlementaires francophones et avec le président Charles Hélou, il a su faire profiter le Liban des avantages considérables moraux et matériels qu’elle représente pour notre pays.
- L’Association libanaise de Management: il en a été l’un des fondateurs et le président pour de nombreuses années.
Telles sont quelques-unes des principales étapes du parcours de Khatchig Babikian qui a été en tous points exemplaire.
Il s’est battu comme un lion contre un ennemi implacable: le cancer. Il a réglé son départ pour l’autre monde comme toutes les entreprises de son génie organisateur. Respectant la part des héritiers réservatoires, il a légué toute sa fortune aux nécessiteux et une immense bibliothèque au catholicossat. Et il est parti avec l’élégance des grands hommes d’Etat.
Adieu “petite croix”...
Ou plutôt à bientôt, puisque nous croyons tous deux à l’au-delà...
HENRI MOUKHEIBER

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