VERDRINE N'AYANT PU DEBLOQUER LE PROCESSUS DE PAIX AU P.-O.:
LE LIBAN FORMEL: NON A UN NOUVEAU "FATEH-LAND"

Forcing français ou simple visite d’évaluation des positions dans le contexte nouveau de la relance du processus de paix? Le fait est que la tournée que vient d’effectuer le chef de la diplomatie française, M. Hubert Védrine, successivement dans trois pays du Proche-Orient: la Syrie, le Liban et l’Egypte, marque tout l’intérêt que la France accorde à la reprise des pourparlers de paix, non seulement entre Palestiniens et Israéliens (actuellement en cours) mais, aussi, aux éventuels entretiens syro-israéliens (rompus depuis février 1996) et libano-israéliens, dans le cadre d’un accord global.
 

Au cours de sa visite, le ministre
français des Affaires étrangères, 
M. Hubert Védrine a été reçu en
audience par le président Emile Lahoud.

Le chef du Quai d’Orsay s’entretenant
avec le président Nabih Berri.
 
Il ne s’agit d’aucune rivalité entre l’Europe et l’Amérique, mais plutôt d’une complémentarité avec le rôle américain et M. Védrine a été clair à ce sujet: “Nous avons des relations avec tout le monde. Il n’y a pas de compétition, de concurrence ou de conflit entre les démarches américaine et française. Mais chaque diplomatie a son style, sa façon de procéder. En tout cas, nous sommes animés par l’idée de faire converger les positions des uns et des autres. Tout cela dans le respect de la souveraineté de chacun des partenaires. Il y a, aussi, une coordination avec les pays de l’Union Européenne: bien que ma tournée soit faite au nom de la France, j’informe mes collègues européens comme eux le font aussi afin que chacun tire profit des contacts des autres”.

UNE VISITE “RÉUSSIE” ET  “UTILE”
Sur le plan plus strictement libanais, le Premier ministre M. Salim Hoss a qualifié cette visite d’”importante”, de “réussie” et d’“utile”. D’ailleurs, aux yeux des responsables libanais, la venue du chef du Quai d’Orsay se présente comme le prolongement des entretiens Lahoud-Chirac à Moncton et Hoss-Jospin à New York. Elle a été considérée chez nous comme “l’événement politique” de la semaine écoulée. Pour la réalisation d’une paix juste et globale, les Libanais ont mis l’accent  sur plusieurs points primordiaux: la concomitance des volets libanais et syrien, l’attachement de Beyrouth à l’application de la résolution 425 ainsi qu’au retour des réfugiés palestiniens dans leur pays; la libération de tous les détenus libanais par Israël. De son côté, M. Védrine n’a cessé de répéter avant même son arrivée et tout au long de sa visite, que le dossier des réfugiés palestiniens ne devrait pas être réglé au détriment du Liban et que la France ne cautionnera pas un accord de paix au Proche-Orient dont le pays des Cèdres ferait les frais. “Nous ne croyons pas que l’on puisse obtenir un règlement israélo-syrien sans traiter de la question libanaise; je ne pense pas que l’on puisse parvenir à un règlement israélo-syro-libanais en faisant l’impasse sur la question des réfugiés palestiniens au Liban. On ne peut faire non plus un accord israélo-palestinien au détriment des Libanais”, a souligné avec conviction le ministre français.
 

Entretien avec le Premier ministre 
Salim Hoss qui a retenu M. Védrine
à un déjeuner de travail.

Signature de deux conventions
franco-libanaises de coopération à 
l’occasion de la visite de M. Hubert Védrine.
 
VÉDRINE À DAMAS
En Syrie, première étape de sa tournée, M. Hubert Védrine, au terme d’un entretien de deux heures avec le président Hafez Assad, a déclaré que “les conditions d’une reprise de négociations directes entre Israël et la Syrie ne sont pas encore réunies”. La raison? La Syrie affirme que le gouvernement du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, assassiné en 1995, avait promis explicitement de se retirer sur les lignes du 4 juin 1967, avant la rupture des négociations de 1996. Le gouvernement de Benjamin Netanyahu (1996-1999) et celui actuel d’Ehud Barak, au Pouvoir depuis mai dernier, n’ont jamais confirmé les prétentions syriennes. Les dirigeants israéliens se contentant de souligner que la seule promesse donnée aux Syriens est que l’étendue d’un retrait du Golan, des hauteurs stratégiques qui dominent la région nord d’Israël, sera en fonction de la nature de la paix devant être conclue entre les deux pays.
Venu de Damas par la route, accompagné d’une forte délégation de trente-trois membres, dont M. Xavier de Villepin, président de la commision des Affaires étrangères du Sénat, le chef de la diplomatie française a entamé sa visite d’une journée au Liban par un crochet à Baalbeck où il a inauguré le Centre culturel français de la ville. Après une brève sortie à la citadelle, M. Védrine s’est dit “impressionné par la beauté et la majesté du site”.
 


Des militants palestiniens: le Liban-Sud,
un front ouvert avec Israël?
 
VISITE-MARATHON
La journée-marathon se poursuivra par des visites officielles au président de la République, au Premier ministre (durant la matinée) et au président de la Chambre (l’après-midi). M. Védrine a tenu une conférence de presse au Centre culturel français de Beyrouth en fin d’après-midi. En début de soirée, le ministre français a rencontré plusieurs personnalités libanaises lors d’un cocktail à la Résidence des pins, avant de s’envoler dans la nuit pour Le Caire.
A Baabda, le président Lahoud a expliqué au chef du Quai d’Orsay que “la position du Liban à l’égard du processus de paix est très claire et basée sur des principes connus, dont l’essentiel est l’unité des volets libanais et syrien pour la réalisation d’une paix juste et globale”. Il a insisté sur le caractère “global” et “indivisible” que doit avoir, selon lui, la paix au Proche-Orient.
Au grand Sérail, le chef du gouvernement qui a longuement reçu M. Védrine, a indiqué ensuite aux journalistes que son entretien avec le chef de la diplomatie française était “très positif” et lui avait permis de réaffirmer “l’indissociabilité des volets libanais et syrien” du processus de paix. M. Hoss a ajouté avoir assuré à son hôte français qu’en cas de reprise prochaine des négociations, le Liban soulignera son attachement au contenu de la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations Unies, c’est-à-dire qu’il n’acceptera pas moins qu’un retrait israélien de tout le territoire libanais jusqu’aux frontières internationalement reconnues. Le Premier ministre a dit encore avoir écouté avec intérêt l’évaluation de M. Védrine relative aux efforts déployés pour la reprise des pourparlers de paix et les obstacles qui continuent d’empêcher leur reprise à ce jour.
Avant le déjeuner offert par le président Hoss au Sérail, M. Védrine a assisté à la signature de deux conventions franco-libanaises de coopération: la première portant sur l’établissement d’une antenne de l’Agence française de développement (AFD) au Liban, la Proparco; la seconde concernant le financement du réseau d’adduction d’eau potable de la région de Jezzine (Sud), évacuée au printemps dernier par l’Armée du Liban-Sud (ALS). Le Liban fait, désormais, partie des “zones de solidarité prioritaires” de la France (ZSP). Cette appartenance se faisant directement par l’Agence française de développement pour le soutien des projets de petite et moyenne dimension.
A Aïn el-Tiné, le dernier entretien officiel de M. Védrine a été avec le chef du Législatif. M. Nabih Berri lui a expliqué la position du Liban qui “ne voulait ni ne pouvait fournir des garanties à Israël que dans le cadre d’un accord de paix global et juste”. M. Berri devait souligner, aussi, que l’offre de retrait du Liban-Sud faite par Israël, ressemblait davantage à une “menace” qu’à un “cadeau”; que les implications de cette menace ont commencé à apparaître sur le terrain avec la multiplication des raids et des survols de l’aviation israélienne.

UN BILAN POSITIF
Le point de sa visite, le ministre français l’a fait devant les journalistes lors de sa conférence de presse donnée en fin d’après-midi au Centre culturel français de Beyrouth. Dans un exposé liminaire, M. Védrine a présenté les résultats de ses entretiens avec les autorités libanaises et syriennes, constatant une fois de plus que “les conditions pour une reprise des négociations syro et libano-israéliennes ne sont pas encore réunies et je dis bien encore, car je suis convaincu qu’elles le seront un jour.”
Il a, également, souligné que les deux aspects du problème qui préoccupent les autorités libanaises sont: les perspectives d’un retrait israélien unilatéral et un éventuel oubli de traiter le problème de la présence palestinienne au Liban. Sur ce point, il a déclaré avoir le sentiment que ses interlocuteurs libanais et syriens ne croyaient pas beaucoup à l’éventualité d’un retrait unilatéral et que la France a été le seul pays occidental à évoquer ce problème.
Questionné sur une éventuelle disposition de la France à offrir l’hospitalité au général Antoine Lahd et à ses officiers supérieurs dans la perspective d’un retrait de l’armée israélienne du Liban-Sud et d’un démantèlement de l’ALS, M. Védrine a répondu que la question est un peu prématurée et qu’il sera procédé, en temps opportun, à un arrangement, si les autorités libanaises en font la demande. “C’est un point très particulier de la négociation; il faut que celle-ci commence. Nous serons proches du Liban en cette phase, dans le cadre d’un accord”, a certifié le ministre français.
En réponse à une question, M.  Védrine a précisé que la France n’est ni négociateur, ni un protagoniste du conflit israélo-arabe. “Je ne suis porteur d’aucun message des uns aux autres. Mais chacune des parties est intéressée à écouter nos informations et nos analyses.” A son point de vue, le cas du Hezbollah ne peut être dissocié de la situation au Liban-Sud, de la présence de l’armée israélienne et de l’absence de l’armée libanaise. “Il faut avoir une idée d’ensemble de la solution”, a-t-il précisé. En conclusion, il a déclaré qu’il n’était pas vraiment pessimiste, car il ne faut pas oublier “que la situation n’est pas la même avec Barak qu’avec Netanyahu. Barak cherche une solution. Et il est normal que les parties en conflit aient des visions différentes. C’est pourquoi il y a des négociations. La marche vers la paix dans laquelle le Proche-Orient s’est engagé, doit aboutir coûte que coûte et dans l’intérêt de tous”.
Avant de prendre congé, le ministre français des Affaires étrangères a confié sa satisfaction de voir le prochain sommet de la francophonie en de bonnes mains au Liban. “Nous nous réjouissons de tout ce qui est déjà prévu et entamé pour sa préparation. Le Liban est conscient de l’importance de cette grande rencontre tant sur les plans linguistique, culturel qu’économique. Naturellement, nous espérons tous que ce sera un grand sommet de la francophonie dans un Proche-Orient en paix.”

UN PUZZLE INEXTRICABLE
Tel est aussi le vœu des Libanais. Mais cette paix est si tributaire d’un véritable puzzle de facteurs disparates et souvent inconciliables, qu’elle se présente comme un rêve difficile à réaliser.
Simple coïncidence ou suite logique à l’évolution de la situation et au blocage des tentatives du ministre français Hubert Védrine, le Jihad islamique palestinien, par la voix d’un de ses dirigeants, Ziad Abou Tarek, a déclaré dimanche soir à partir de Damas que le Liban-Sud est considéré par son organisation comme “un front ouvert avec Israël”. En clair, cela signifie que le Jihad s’approprie une partie de notre territoire national pour y pratiquer une liberté totale d’action militaire face à l’Etat hébreu, sous le prétexte de “mener la résistance contre Israël pour défendre le Liban”.
Un diktat palestinien inacceptable pour notre souveraineté. La réponse libanaise ne s’est pas fait attendre. Le Premier ministre Salim Hoss a fait publier, dès lundi, un communiqué enjoignant aux Palestiniens de s’abstenir de toute action armée contre Israël à partir du Liban-Sud. Dans son communiqué, M. Hoss a souligné qu’à la suite de déclarations faites au nom d’organisations palestiniennes selon lesquelles le Liban-Sud est un “front ouvert” pour leurs opérations militaires, “les autorités libanaises appellent les frères palestiniens à s’abstenir de mener des actions armées car elles nuiraient aux intérêts du Liban”.
“Au Liban-Sud, nous n’appuyons aucune action à l’exception de celle de la Résistance libanaise qui est à même de remplir parfaitement sa mission”, a tenu à préciser le Premier ministre.
Une analyse de la chronologie des faits de la semaine est assez significative. Vendredi, en exposant à la presse les résultats de ses entretiens au Liban et en Syrie, le chef du Quai d’Orsay avait souligné le danger réel d’un retrait-surprise et unilatéral d’Israël du Liban-Sud. Une éventualité à laquelle, avait-il dit, ses interlocuteurs syriens et libanais “avaient du mal à croire que ce retrait pouvait avoir lieu”. Samedi à Paris, le chef du gouvernement français, Lionel Jospin se disait “inquiet” du blocage du processus de paix entre Israël et ses voisins. Tandis qu’à Beyrouth, le président Hoss, au lendemain du départ de M. Védrine, s’est déclaré heureux que soit amorcé un rôle français et européen complémentaire de celui des Etats-Unis. Le lendemain, dimanche, le Jihad islamique palestinien - qui a revendiqué le bombardement de quatre positions israéliennes dans la zone occupée du Liban-Sud - lançait sa déclaration incendiaire à partir de Damas (un choix très significatif).
Parallèlement, avec la nouvelle escalade militaire sur le terrain, en Israël les renseignements militaires ont recommandé un retrait immédiat du Liban. Selon le “Jérusalem Post”, Barak pourrait être amené à avancer à avril la date du retrait unilatéral fixée à juillet prochain. A son tour, l’ancien Premier ministre Shimon Pérès préconise, lui aussi, d’avancer au plus tôt un retrait militaire unilatéral du Liban sans attendre juillet 2000.
Côté palestinien, M. Georges Habache, secrétaire général du FPLP, a appelé Palestiniens et Libanais à faire front commun contre l’implantation des réfugiés palestiniens dans les pays arabes. Il a accusé Yasser Arafat “de commettre un crime notamment contre 4 millions de réfugiés palestiniens en œuvrant pour la création d’un Etat palestinien caricatural” sans se soucier du sort des réfugiés et des droits des Palestiniens à l’autodétermination. Quant au Jihad islamique palestinien, après l’interdit décrété par le Premier ministre Hoss à son “front ouvert” au Sud, ses dirigeants ont demandé à le rencontrer à Beyrouth.
Côté libanais, aussi bien le président du parlement M. Nabih Berri que le vice-premier ministre M. Michel Murr ont déclaré que les prochains mois sont particulièrement dangereux pour le Liban et que la situation dans le pays resterait précaire jusqu’en juin 2000, soit un mois avant l’échéance fixée par Ehud Barak pour l’évacuation de ses troupes du Liban-Sud.
Enfin, devant la multiplication des signes avant-coureurs d’un retrait unilatéral, le secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan a décidé d’envoyer un émissaire à Beyrouth dès le mois prochain pour étudier avec les autorités libanaises l’avenir de la FINUL en cas de départ unilatéral des forces israéliennes du Sud.
Comme on le voit, tout cela est très imbriqué et crée une situation explosive, inquiétante et confuse, exacerbée par les rivalités inter-palestiniennes pour le contrôle des camps avant l’échéance du retrait israélien.
Une lutte sourde d’influences qui peut dégénérer, à tout moment, en une épreuve de force.

JEAN DIAB

Home
Home