Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
LE SILENCE N’EST PAS TOUJOURS D’OR
Lorsque dans la nuit du 20 au 21 mars 1804, le duc d’Enghien - accusé par Napoléon de comploter contre lui pour restaurer la royauté - fut fusillé dans les fossés du château de Vincennes, Talleyrand - surnommé “le diable boîteux” - eut ce mot lapidaire: “C’est plus qu’un crime, c’est une faute”.*
Pourquoi ce rappel historique et à quel propos? Il n’est évidemment pas question d’établir un parallèle entre l’héritier des princes de Condé et le jeune Walid Achkar, arrêté récemment par la police militaire; puis, relâché par la suite. Il n’est pas non plus question de comparer nos autorités à Napoléon, ni de rattacher Michel Aoun à la légitimité des Bourbons. Ce que nous en disons, c’est qu’il y a des leçons de l’Histoire que personne ne semble avoir retenues, à supposer toutefois que quelqu’un parmi nos responsables s’en soit jamais souvenu ou les ai simplement apprises.
Alors, pourquoi en parler? Parce que persécuter un opposant est une grosse bourde, dans la mesure où ce genre de politique se retourne toujours contre le persécuteur et fait apparaître, par contrecoup, le persécuté comme un héros, voire un martyr. C’est maladroit et, à la limite, stupide.
On nous dit que le jeune Walid Achkar, membre du “Courant national libre” (comprendre aouniste) a été  soupçonné de possession et de falsification de billets de cent dollars et ce, parce qu’on aurait trouvé sur lui un billet vert falsifié, ce qui n’est nullement une preuve recevable, n’importe lequel d’entre nous - y compris un agent de l’ordre - pouvant avoir été payé par un billet de fausse monnaie sans s’en rendre compte. Telle a dû être, d’ailleurs, la conviction du Parquet financier qui a prononcé un non-lieu en faveur du jeune étudiant et l’a fait relaxer.
Dans ce cas, où réside le scandale? Le scandale réside dans le fait que ce sont toujours des étudiants de l’opposition qu’on arrête pour des raisons ridicules, qu’on passe à tabac et qu’on relâche, enfin, après leur avoir “administré une bonne leçon”. Le scandale c’est, aussi, la façon brutale dont furent traités les étudiants qui manifestaient en faveur de leur copain. Le scandale c’est, surtout, de découvrir qu’il existe un endroit dénommé “le palais Noura” où, raconte-t-on, se déroulent des interrogatoires musclés dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont à l’opposé des notions définies par la charte des droits de l’homme.
Et d’abord, qu’a à voir la police militaire avec ce genre de délit? Pourquoi a-t-il fallu quadriller la ville de treillis les armes aux poings? Et pourquoi les barrages pour vérification d’identité? Avait-on détecté, éparpillés dans la nature, des éventreurs, des violeurs psychopathes, des tueurs en série, des Mata Hari en manteau couleur de muraille, un commando israélien, des terroristes munis d’engins nucléaires? Et tout ce beau monde ne se recrute-t-il que dans les rangs des étudiants qui se réclament de tel ou tel courant de l’opposition?
Poser ces questions n’est pas une plaidoirie en faveur de l’opposition. Je ne suis ni loyaliste, ni opposante. Je n’ai jamais collé des affiches pour les uns, ni distribué des tracts pour les autres. Et je ne possède aucun billet falsifié de cent dollars, ni même de billets non falsifiés.
Je ne réclame que mes droits de citoyenne de ce pays. Une citoyenne qui entend tous les jours l’un ou l’autre des responsables parler de liberté. Et malgré le passage des ans et celui de tous les régimes qui se sont succédé au Pouvoir et ont traité cette liberté par-dessus la jambe, j’y crois toujours. C’est naïf? Sans doute. Stupide? Certainement.
Mais je ne suis pas la seule à l’être. Il est tout aussi, inintelligent de vouloir réduire l’adversaire au silence sous prétexte de raison d’Etat. “L’Etat,  a écrit Lacordaire, n’est ni la nation, ni la patrie”. On peut faire dire n’importe quoi à la raison d’Etat et commettre n’importe quelle injustice en son nom. La raison d’Etat ne saurait en aucun cas primer les droits reconnus par la Constitution. Sans compter qu’obliger l’adversaire à se taire n’est qu’une protection illusoire.
N’importe quelle cuisinière vous le dira: si dans une marmite sous pression, aucune ouverture n’est prévue pour laisser échapper un filet de vapeur - ce qu’on appelle la soupape de sûreté - cette vapeur finira par faire sauter le couvercle, la marmite et la cuisinière avec.
Le silence est d’or, dit-on, le silence par la contrainte est de dynamite.

* Ce mot qu’on pense avoir été dit par Boulay de la Meurthe, membre du Conseil d’Etat, ou par Fouché, le ministre de la Police, est généralement attribué à Talleyrand, alors ministre des Affaires étrangères de l’empereur. 


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