Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
UNE CIBLE À DEUX FACES
Nos poètes du zajal avaient chanté bien avant Prévert ce “vent du nord (qui) les emporte”, mais cette fois-ci la romance s’est transformée en carnage et ce ne sont pas des feuilles mortes, mais nous qu’il a failli emporter.
Juste à l’aube d’un nouveau siècle - comme pour mieux frapper les imaginations -, des milices intégristes ont entrepris de semer la mort et l’épouvante dans une région que quinze ans d’une sale guerre avaient relativement épargnée. Quatorze militaires assassinés, un lieutenant-colonel égorgé, une jeune femme enceinte découpée en quatre morceaux, sans compter d’autres civils massacrés sans merci. En même temps, se déroulaient à Beyrouth, à Saïda, à Kfarchima d’autres actes de violence: à Beyrouth, l’ambassade russe attaquée aux rockets; à Kfarchima, une religieuse agressée sauvagement et étranglée, à Saïda, une grenade lancée sur un barrage militaire...
Pourquoi ce luxe de férocité et pourquoi maintenant? Cette rage meurtrière est-elle vraiment aveugle? Est-elle de même inspiration que celle qui a commencé un 13 avril 1975?
On est en droit d’en douter. D’abord, parce que les données ne sont plus les mêmes; ensuite, parce que les maîtres du jeu, en l’occurrence, ont changé de visage; enfin, parce qu’il n’existe plus  sur le terrain de Forces libanaises à qui attribuer tous les crimes et toutes les “trahisons”. Quant à brader la Palestine, il serait plutôt malaisé d’accuser n’importe quel Libanais de le faire, vu que les Palestiniens s’en chargent eux-mêmes et avec brio.
Ici, une question se pose: d’où sortent toutes ces armes avec lesquelles on assassine des soldats et des civils libanais? Ne nous a-t-on pas affirmé, après Taëf, que toutes les armes avaient été ramassées? Que les seules qui restaient étaient celles de la légalité et de la résistance qui faisait front à Israël? Une question idiote j’en conviens, nos gouvernants n’étant plus à un mensonge près.
Une autre question probablement aussi stupide: comment ces armes sont-elles entrées au Liban et comment se fait-il que personne n’en ait jamais rien su? C’est d’autant plus étrange qu’à part le fait que les troubles se passent chez nous, nous ne sommes pas les seuls sans doute à être visés. Mais comme toujours, le Liban est bien commode pour servir de caisse de résonance à une région que balaient en permanence le bruit et la fureur. Il semble, cependant, que cette fois les Syriens soient eux aussi (eux surtout peut-être bien) dans l’œil du cyclone.
Si le président Hafez Assad n’avait pas pris la décision de tenir la parole donnée à Madrid et de négocier avec Israël une paix honorable, ce n’est sûrement pas le Liban qui aurait imposé son diktat à Damas. Nous serons - chacun le sait - les derniers à signer la paix, mais nous serons, comme toujours, les premiers à passer à la casserole.
Semer la discorde confessionnelle au Liban, bouleverser l’ordre public, désagréger l’armée, rallumer la guerre civile (avec qui?), transformer le pays en chaos et, du même coup, disloquer la concomitance des volets syrien et libanais, c’est disqualifier la Syrie à laquelle le Liban est lié par un traité de “Fraternité, de coopération et de coordination”, en lui ôtant toute crédibilité face à un Barak, à la table de négociations.
Est-ce à dire que ce qui se passe aujourd’hui chez nous est l’œuvre des Israéliens? C’est bien possible, mais cela peut aussi venir de ceux qui ne veulent de la paix à aucun prix. Ceux qui rêvent encore de jeter 5 millions de Juifs à la mer et ceux qui s’imaginent encore pouvoir rétablir le royaume de David de l’Euphrate au Sinaï. En somme, une sorte de concordance virtuelle et contre nature entre les extrémistes des deux bords, décidés pour des motifs diamétralement opposés à faire foirer les pourparlers de Virginie.
Nous sommes, depuis Taëf, embarqués avec les Syriens sur le même rafiot, une sorte de radeau de la méduse qu’un impondérable peut faire chavirer. Et cet impondérable peut être cette poussée d’intégrisme qu’il convient de stopper avant qu’il n’y ait des dégâts peut-être irréparables. 

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