La prière l’accompagnait depuis son jeune âge. |
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D’autres se refusent à jouer le jeu confessionnel. Parmi eux,
les plus proches parents de Sœur Antoinette Zeidan qui, justement par éthique
pour elle et pour son exemple, ne veulent pas enflammer un feu qu’elle
s’est toujours acharnée à éteindre.
“Pardonnez-leur Seigneur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font”.
D’après les siens, c’est le message ultime que Sœur Antoinette Chucri
Zeidan aurait pu crier avant de rendre l’âme. Mort douloureuse, inexplicable
et surtout mystérieuse. Ce n’est que 48 heures après avoir
perdu sa trace, que la gendarmerie fait appel à la famille pour
identifier l’humble servante de Dieu qui s’apprêtait à aller
passer le nouvel an auprès des siens.
LE DERNIER BUS
“Comme d’habitude, elle avait refusé qu’on passe la prendre,
préférant emprunter le bus. Alertés par son retard;
puis, par sa disparition, nous avions imaginé même qu’elle
s’était rendue à Jérusalem, comme elle en avait exprimé
le désir. Nous ne pensions pas que nos prochaines retrouvailles
se dérouleraient ainsi. Elle gisait là, près de la
régie de Kfarchima, dans ses habits de religieuse, sa veste étalée
sur ses jambes, les cadeaux qu’elle destinait aux neveux et nièces
éparpillés autour d’elle, son peu d’argent dans la poche,
la tête fortement contusionnée, des marques de violence sur
le visage, une main cachée et une autre cyannosée ouverte
sur son crucifix et son chapelet.
“Nous ne montrons personne du doigt. C’est un meurtre que la justice
devra éclaircir. Elle-même n’aurait pas toléré
de le faire, car pour elle, tout homme avait le visage de Dieu. Dans son
quotidien, elle témoignait de l’amour du Père, luttait contre
la discorde et ne tolérait pas la ségrégation. Dévouée
au service des autres, sa vie s’égrénait dans les sacrifices
et la simplicité depuis son jeune âge”.
Lors du mariage récent d’une de ses nièces. |
Toute la famille est debout, Sœur Antoinette est à l’extrême gauche. |
L’APPEL DE LA VOCATION
Et c’est avec beaucoup d’émotion que le passé ressurgit.
“Antoinette est née à Beyrouth, en 1940. C’était une
enfant calme et paisible. Ses compagnons de jeux, ses deux frères
et sa sœur, ses cousins se rappellent d’une enfant posée qui se
sacrifiait toujours pour les autres. La famille tenait un petit négoce
de libraire à la maison. Elle s’occupait de repriser des bas avec
une petite machine, gratuitement, pour les plus démunis et distribuant
ce qui lui restait aux pauvres autour d’elle. Depuis toujours, l’argent
n’avait pas de valeur pour elle. Devenue jeune fille, sa vie secrète
et quelque peu contemplative laissait croire à une relation amoureuse
savamment cachée. Les garçons qui l’entouraient ne pouvaient
obtenir d’elle un intérêt suffisant, son regard, qui suscitait
tant d’interrogations, entrevoyait une vie qu’elle seule sentait venir.
Elève des Sœurs Lazaristes, elle était très intriguée
par la vie des religieuses. Elle posait, régulièrement, des
questions à propos de deux parentes: Sœurs Thérèse
et Hélène Zeidan. En 1958, une célébration
à l’occasion du retour de l’oncle paternel, Père Gebrayel
Zeidan, curé à Buenos Aires, l’impressionna beaucoup. Elle
se renseigna, longuement, sur la sœur de l’officiant, elle-même religieuse,
Sœur Afdoukia. A ce point, Antoinette avait déjà fait son
choix. Mais c’est en cachette qu’elle quitta la maison. Sa mère
en fut très bouleversée. Son père signifia non pas
sa peine de “perdre” une fille, mais le bonheur d’offrir une de ses enfants
à Dieu”.
Pour cette enfant élue de Dieu, commence alors une longue et
belle vie chez les Sœurs Antonines. Du couvent de Mar Doumit qui reçut
ses premiers ordres, elle s’envola bientôt à Rome pour poursuivre
ses études de théologie. Dès son retour, c’est la
tournée au service de la congrégation dans toutes les régions
du Liban et de Syrie. Son périple devait se terminer par trois derniers
mois à Kfarchima dans un petit couvent avec trois autres religieuses,
précédé auparavant d’un passage à Rmeich (au
Liban-Sud) et à Nabatiyeh où elle vécut sept ans.
“Les Sœurs Antonines et Sœur Antoinette, plus précisément,
ont beaucoup contribué à l’amélioration de la condition
féminine au Liban-Sud,” attestait aux condoléances, le député
Abdel-Latif el Zein.
“SI LE GRAIN NE MEURT…”
Mais celui qui lui demanda de lui consacrer sa vie, lui demanda aussi
de lui offrir sa mort. “C’est la volonté de Dieu et Antoinette l’a
toujours respectée. Nous n’y pouvons rien. Mais ce qui nous fait
mal, c’est de ne pas savoir quelles tortures elle a subies avant de mourir.
Car le rapport du médecin légiste atteste que le décès
ne remontait pas à plus de 12 heures. Quel enfer a-t-elle vécu,
nous l’ignorons”.
Découvrir la vérité sur sa mort tragique ferait
du bien à la grande communauté à laquelle elle appartient:
communautés religieuse, ecclésiastique, familiale et sociale.
Car à l’annonce de sa mort, un mouvement de protestation s’est élevé
dans toutes les localités de Hadeth, Kfarchima, Baabda et Achrafieh.
Des messes ont été célébrées partout
dans le pays, des heures de prières, des dénonciations ont
fusé d’un peu partout. “Pourquoi, ce crime odieux et gratuit?”
La question demeure, mais “C’est avec la spiritualité que nous
devons dépasser les problèmes au Liban. La mort d’Antoinette
est une mission et ne doit pas provoquer des dissensions politiques ou
religieuses. Nous n’acceptons pas de commercialiser sa mort. Elle a trop
vécu dans l’amour de Dieu pour que sa mort ne le serve pas”.
Le legs de Sœur Antoinette serait-il d’aimer au-delà de tout,
comme nous l’a appris le Sauveur? “Oui, indiscu-tablement. Sur ce plan,
nous sommes très sereins, quoique très déçus.
Nous aurions aimé qu’il y eût une dénonciation officielle
de ce crime atroce et qu’on n’eût pas tenté de l’occulter
en faisant croire au début à un accident. Mais cela c’est
de la politique et ce n’était pas la mission de Sœur Antoinette;
ce ne sera pas non plus le but de sa mort”.