AU MUSÉE SURSOCK
GEBRANE: LES SOURCES DE SON LANGAGE PICTURAL

L’exposition rétrospective que le musée Nicolas Sursock consacre à Gebrane Khalil Gebrane, réunit un ensemble d’œuvres réalisées de 1900 à 1930, ordonnées selon le fil du dialogue ininterrompu entre peinture et œuvre graphique, qui marque chacune des étapes du parcours de l’artiste.
 

 Composition. Un dessin reflétant une 
dimension à la fois poétique et spirituelle.

Esprit gardien de l’innocent.
 
Tout en réservant une place majeure à des œuvres connues du grand public, elle propose, aussi, des éclairages inédits sur d’autres œuvres peu ou non connues. Au-delà de l’effet d’exception inhérent à tout regroupement de cette nature et à la redécouverte qu’il suscite immanquablement, la difficulté à laquelle peut se heurter, tout commentaire résulte, en partie, de l’impression d’évidence qu’offre l’œuvre de Gebrane. Elle témoigne du rapport d’équilibre entre sensibilité, intelligence et modernité. Bien que Gebrane ait, dès son jeune âge, témoigné d’un certain penchant vers l’art du dessin et de la peinture, son développement d’artiste débute, relativement, vers 1909-1910, à l’époque où il s’est rendu à Paris pour suivre des études artistiques à l’Académie Julian.
 

 Le spectateur - (1912).

Trois femmes dans un paysage (1912).
 
Là il rentre en contact avec l’avant-garde de l’époque et est séduit par les “Nabis”, un groupe de peintres, ainsi nommés par le poète “Casalis”, à partir d’un terme hébreu signifiant les “prophètes” et est tout particulièrement attiré par l’œuvre de Puvis de Chavanne.
Avec les Nabis, l’impressionnisme devenait le synthétisme: formule décorative, hiéra-tique, de simplification et de déformation, qui aboutissait au symbolisme, c’est-à-dire à la transposition du modèle dans le domaine de l’intelligence et de l’imagi-nation.
Le séjour de Gebrane à l’Académie Julian, à Paris, représente donc, pour son art, une étape fondamentale, celle qui offre à ses aspirations, encore confuses, l’éclaircissement ou mieux “l’illumination” qui apporte une pensée et un langage nouveaux. Celle aussi qui lie son nom à ceux d’artistes qui, avec audace, transforment le langage de la figuration, traçant des voies dans lesquelles, l’art du XXème siècle reconnaîtra ses sources profondes.
 

 L’homme et la Symphonie
de la Nature - (1912).
 

Purification spirituelle et Temple Cosmique.
 
Ce que Gebrane nous propose, à partir de 1910, c’est une nouvelle approche de la peinture fondée sur une conception qui installe au premier plan, le “fait plastique”. Son nouveau langage pictural renverse les rapports traditionnels de l’œuvre à son espace et instaure un nouvel équilibre enrichi du jeu de permutation des référents. La notion de peinture s’en trouve à la fois bouleversée et renouvelée fixant les nouvelles bases de son art. Visiblement, Gebrane a cherché à conjuguer deux langages, plus exactement à vérifier, pour mieux les développer, toutes les ressources de celui qu’il s’est forgé en l’articulant à quelques-uns des principes de la doctrine des “Nabis” et du symbolisme. Ainsi, ses œuvres enregistrent les mouvements d’une conscience aiguisée par les événements qui marquent sa vie. Tension, sensualité, inquiétudes, fantasmes se lisent à travers les thèmes, les dessins, les peintures, les quadrages et dans la mise en page.
Ce qui sembe avoir occupé Gebrane, en premier lieu, ce fut de trouver une formule alliant, à la fois, l’usage des nouvelles possibilités d’expression à l’exactitude de la ligne. Mais dans toutes ses œuvres, l’apport personnel de l’artiste est bien plus important que ses emprunts. Chaque dessin, chaque peinture chante un langage pictural fait de force et de jeunesse. Et quel que soit le thème choisi, portrait, nu ou thème symbolique emprunté à la mythologie, etc... c’est la fixation d’un état d’âme qui est partout primaire.
Peindre un modèle ne revenait pas pour lui à démontrer la perfection de sa technique mais, plutôt, à exploiter un thème adapté à ses fantasmes.
 

 Femme centaure se penchant
vers un enfant  - (1916).

Solitude - (1914).
 
A une époque où le nu n’était rien moins que courant, Gebrane n’a pas fait fi de la beauté du corps humain. Avant-gardiste par rapport aux artistes libanais de sa génération, il a su sentir cette beauté avec intensité et la rendre d’une façon presque tangible, comme on peut le constater à travers les œuvres exposées au musée Sursock.
Les subtiles tensions réunissant les composantes de l’expression d’un visage, ou encore l’harmonieuse perfection des formes du corps humain pouvaient se trouver à la source d’une image de son propre univers. Il a su exprimer dans ses  compositions sa propre sensibilité, le modèle ou le thème choisi n’étant que prétexte d’une création très personnelle.
Chacune de ses œuvres est pour lui une unité rythmique s’établissant entre les plans colorés sur lesquels l’œil exercé peut errer en passant de l’un à l’autre sans être arrêté.
L’œuvre picturale de Gebrane, tout comme sa production littéraire, est à l’image de son maître.
Dans une certaine mesure, le spectateur cerne bien l’intension de l’artiste, y trouve un message. Ceci n’en épuise pas le contenu, car il y a relation esthétique et il n’y a pas de raison pour que le regard de l’un ne puisse pénétrer “l’espace intérieur de l’autre”, cet espace à travers lequel Gebrane a restitué une vision - la sienne - et la “Distance” vis-à-vis de la perception joue un rôle éminent dans le contexte objectif de l’œuvre.
Il ne s’agit pas pour Gebrane de dépasser simplement le réel, mais d’aboutir à une équivalence où n’entre plus en jeu que l’essentiel de l’idée devenant l’âme du tableau... du dessin, qui lie immédiatement l’observateur à une situation poétique.
L’œuvre picturale de Gebrane oblige à la réflexion, transporte dans une dimension spirituelle et esthétique où à la vibration, à l’intuition, à l’essence qui en sont la clef de voûte, s’ajoute l’appréhension de ce qui vient du dedans. Elle porte en elle signe et signification, sa vie propre, sa musique, son chant, sa mystérieuse mélodie.
Son pouvoir est langage, son germe est création. De la source pensée à l’exécution plastique, du physique à l’irréel, elle porte en elle toute la modernité.
PAR NICOLE MALHAMÉ HARFOUCHE

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