Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
CHARITE BIEN ORDONNEE...
Ay bien réfléchir, nous sommes, nous autres Libanais, un peuple charitable. Non de cette charité à fleur de peau qui pousse, de temps en temps, à faire l’aumône à un mendiant, mais celle universelle dont St-Paul disait: “Sans la charité, nous ne sommes que de l’airain qui résonne”. Que St-Paul nous pardonne, mais nous avons depuis amélioré la formule en pratiquant une charité qui résonne et de préférence à grand fracas.
Que ceux qui sont tentés de sourire - ou au mieux - de faire la grimace s’en abstiennent. Ne sommes-nous pas de tous les combats, quels que soient la cause pour laquelle on se bat et l’endroit où l’on s’entretue?
Ne sommes-nous pas descendus dans la rue pour saccager les magasins, brûler les voitures, transformer les chaussées en ornières en guise de soutien à l’Algérie, quand les Algériens se battaient pour leur indépendance? N’avons-nous pas récidivé lors du massacre de la famille royale d’Irak pour fêter une révolution qui nous a, finalement, laissé sur les bras un Saddam Hussein? Même saccage pour soutenir un Yasser Arafat qui nous a valu quinze ans de guerre et nous a laissé en héritage un demi-million de Palestiniens, dont il se moque depuis qu’il se promène bras-dessus bras-dessous avec Madeleine Albright et Ehud Barak?
N’avons-nous pas manifesté pour l’Erythrée, le Cachemire, l’Afghanistan, l’Iran, la Bosnie, le Kosovo, la Tchétchénie et même pour Ocalan?
Les gens bornés diraient: charité bien ordonnée commence par soi-même, ce qui est l’excuse plutôt mesquine du parfait égoïste. Et égoïstes, nous ne le sommes pas. Quelqu’un nous a-t-il jamais vus descendre dans la rue pour réclamer quelque chose pour nous-mêmes? Y sommes-nous descendus pour protester contre la hausse stupéfiante des scolarités de nos enfants, le manque de places dans les écoles et les universités? Avons-nous organisé des marches contre la hausse insensée des services publics, tels l’électricité, le téléphone, ce fléau qui s’appelle le cellulaire et, surtout, contre la lourdeur des impôts et la multiplicité des taxes?
Avons-nous brûlé des pneus pour exprimer notre indignation contre des salaires qui nous permettent à peine de mourir de faim, contre les fantaisies de la Sécurité sociale, l’escamotage des trois ans de majoration dans le secteur public, votée par le parlement mais jamais payée, sans compter le traitement inique réservé aux retraités?
Avons-nous manifesté contre l’usage généralisé de la torture, les arrestations arbitraires et les détentions illimitées sans instruction et sans avocat? Avons-nous fait campagne contre le viol systématique des droits de l’Homme? Avons-nous cherché à savoir où en sont les libertés et pour quelles raisons sévit chez nous une censure tatillonne et stupide?
Avons-nous simplement demandé, à travers ne serait-ce que des pétitions, pourquoi ces centrales électriques n’arrêtent pas de tomber en panne? On nous dit qu’elles sont vétustes. Dans ce cas, où est passé le milliard de dollars qu’elles nous ont coûtées sous les précédents gouvernements?
Nous sommes-nous élevés contre le maintien en exil des déplacés qui n’arrivent toujours pas à rentrer chez eux, malgré un autre milliard de dollars dépensé soi-disant pour leur permettre de réintégrer leurs foyers?
Avons-nous tenté de crier sous les fenêtres des responsables notre indignation contre la crise économique qui nous place bien au-dessous du seuil de la misère et dont personne ne semble se soucier outre mesure? Quelqu’un a-t-il eu l’idée de faire du sit-in devant le ministère des Finances pour faire comprendre à M. Georges Corm que s’il pense qu’on ne peut pas faire une omelette sans casser des œufs, nous refusons, désormais, de toujours jouer le rôle des œufs?
Avons-nous même essayé de faire pression sur ces messieurs du gouvernement pour les obliger à recycler leurs Mercedès à deux chiffres en gondoles pour traverser la mer de boue qui a, littéralement, noyé la banlieue-nord de la capitale, ruinant les commerces, engloutissant les passants, contraignant les gens les plus astucieux à se déplacer en radeaux de fortune pour rentrer chez eux?
Avons-nous exprimé notre colère quand ces messieurs du parlement ont voté une loi aberrante graciant d’un trait de plume plusieurs milliers de dealers et autres seigneurs de la drogue qui écoulent leurs marchandises de préférence à la porte des écoles et des universités?
La liste s’allonge tellement, que nous sommes aujourd’hui au bout du rouleau. Ce qui nous reste à faire, c’est nous battre enfin pour nous-mêmes. Ce qu’il nous faut, c’est sortir de la léthargie où nous a plongés Taëf, abandonner nos combats à la Don Quichotte pour tourner nos regards vers les pourparlers de paix qui se déroulent sans nous, revendiquer notre place et au soleil et à la table des négociations, sinon, nous risquons de ne figurer au bas d’un éventuel accord que comme de simples statistiques.. 

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