CELUI DONT LES
SLOGANS ETAIENT PAREILSAUX PROVERBES A DISPARU
SAËB SALAM, LE DERNIER DES GEANTS
Abou-Tammam
est mort. Que la page soit tournée. Non, qu’elle reste ouverte et
éclatante sur la vie d’un homme qui était parmi les grands
hommes; une histoire radieuse. Il était ainsi dans la bataille de
l’indépendance. Ainsi que dans la politique, dans la députation,
le ministère et la présidence du Conseil. Il était
ainsi dans les propos qu’il a tenus et dans ses prises de position, comme
dans l’alliance et l’hostilité. Et le jour où il a pris sa
retraite bien avant l’âge de la retraite.
Il était ainsi même dans ses slogans,
au point qu’il a été appelé “l’homme des slogans”,
par ceux qui ont formulé des griefs à son encontre. Pour
les gens d’équité, ses slogans étaient pareils aux
proverbes, fruit de l’expérience, de la profondeur, de la compréhension
politique, populaire et nationale. “Un Liban et non deux” - “La rue que
j’ai élevée et m’a élevé, je ne l’oublierai
pas et elle ne m’oubliera pas”. Et au moment de la plaisanterie, il répétait
un proverbe dont il ressort que “lorsque vos discutez avec quelqu’un tout
en ayant raison, vous finissez par avoir tort”, comme dans le “compte de
Dreik”.
Ses paroles étaient des souhaits. Ah!
si le Liban était devenu unique. Il avait cessé de l’être
depuis les deux caïmacamats, l’émir Haidar Abillama étant
à la tête du caïmacamat maronite et l’émir Ahmed
Arslan, à la tête du caïmacamat druze. Depuis les deux
caïmacamats, c’est-à-dire depuis la fin de la principauté
de la montagne. Parce que l’unité de cette principauté était
devenue gênante pour ceux qui désiraient se jouer des destinées.
Etant entendu que celui qui se joue des destinées reste moins coupable
que celui qui confie son destin aux autres.
Depuis lors, nous sommes ainsi. Le Liban unique
est devenu un fardeau pour ceux qui considéraient la région
avec la vision des manipulateurs, amateurs et professionnels. C’est pour
cela que se sont produits les événements de 1842, en 1860
et au temps du moutassarifiat, même d’une manière non exacerbée,
parce qu’en ce temps, ce qui était demandé était la
sécurité, non la politique, ni la culture ou l’économie.
La situation s’est perpétuée de
la même façon avec le mandat qui commençait, pratiquement,
avec le général Gouraud en 1919, pour se poursuivre avec
les hauts commissaires militaires et civils jusqu’à de Martel et
Puaux avec le “Grand Liban” en 1920 et la Constitution en 1926. Même
avec l’indépendance en 1943, le rattachement des “quatre cazas”
a été refusé par des gens au Liban. De même
que le vilayet de Beyrouth, le sandjak de Tripoli et de Saïda. Et
la Constitution, celle de 1926, était refusée par les mêmes
gens, parce que dans leur optique, c’était une formule française
confectionnée à la mesure d’autres gens.
L’indépendance était rejetée
par ceux qui ont craint d’être privés de protection et, de
ce fait, perdraient le droit d’avant-garde. Pourtant, la véritable
protection, s’ils le savaient, avec les autres, est la protection autonome
consolidée par l’entente nationale. Une entente de conviction et
d’immunité. L’entente “d’un Liban et non de deux Liban”; l’entente
d’Abi-Tammam.
Et la rue? Qu’en est-il de la rue? La rue, ô
Saëb bey, que vous avez élevée et qui vous a élevé,
est une autre que celle où vous avez passé vos loisirs. Parce
qu’elle a cessé d’être le porte-parole de la pensée,
de la demande et de l’aspiration. Pour se transformer en petite rue, à
la vision bouchée et à la maigre aspiration. La rue, ô
Saëb bey, est devenue des rues se querellant et s’entretuant au moyen
des armes, à travers les blockhaus et placées sous la “souveraineté”
des francs-tireurs.
Ce n’est pas la rue que vous avez élevée
et qui vous a élevé. De votre temps, les gens avaient leur
mot à dire et, la patrie, une position à adopter. Elle est
devenue une place pour inquiéter les gens et les égorger,
en prévision du déchirement de la patrie, pour en faire plusieurs
Liban.
Le “amid” Raymond Eddé, que Dieu lui prête
vie, est habité par l’obsession de la sauvegarde du Liban. Il a
été le père de la loi sur le secret bancaire et a
beaucoup enduré en faveur de cette loi, surtout dans sa controverse
avec l’adversaire du secret bancaire, l’émir Jamil Chéhab.
Jusqu’à ce que l’émir en fut convaincu, sa conviction ayant
été consacrée sur le trottoir de la rue du patriarche
Hoyek, au cours d’une rencontre fortuite avec le “amid”. Celui-ci quittait
la librairie Antoine portant des livres traitant du secret bancaire.
Le “amid” Eddé est obsédé
par la nécessité de préserver le Liban unique. Il
en fut ainsi même dans les heures embarrassantes de novembre 1943
et les jours ayant suivi la séance du 9/11/43. Il a insisté
sur la nécessité d’instituer le secret bancaire au Liban
dans l’intérêt du Liban, parce qu’à ce moment, le Liban
deviendra la banque des Arabes et leur caisse. Aussi, les Arabes le protègeront-ils
dans les moments sombres, afin de préserver leur banque et leur
caisse, lorsque les autres considérations viendraient à tomber,
celles qui consistent à tenir compte de la situation du “petit frère”.
Raymond Eddé n’a pas réussi dans
sa prévision. Comme ne s’est pas réalisée, complètement,
votre vision stable sans laquelle une patrie ne peut durer. Et comme le
Liban n’a pas su comment être “un Liban et non deux”. Ainsi, les
Arabes n’ont pas préservé le Liban dans les jours ordinaires,
afin d’y conserver, au moins, leur banque et leur caisse.
Nous aurions voulu vous susurrer à l’oreille
sans faire montre de complaisance. Quand vous êtes revenu de Suisse,
les gens ont cru que quelque chose avait changé. Cependant, ils
savaient que le changement était, chez vous aussi, dans vos souhaits.
Même si, à votre connaissance, le changement est le fils d’un
autre jour, venant à eux à l’ombre d’une bataille de la paix,
revêtu de l’habit de la mondialisation. Les gens sont perplexes,
parce qu’ils ne parviennent pas à la comprendre en tant que suprématie
du fort sur le faible par le pouvoir de l’argent, mais en tant qu’ouverture
sur les autres. Les gens revenaient à Malthus dans son concept véritable,
non dénaturé par les pratiques des années trente du
siècle passé. Plus exactement, au milieu des années
trente.
Les gens pourraient, aussi, comprendre la mondialisation
en tant que recours aux biens de la terre, là où ils se trouvent.
Comme si le temps de la complémentarité était arrivé,
l’homme étant devenu le soutien de l’homme, au lieu d’être
un loup féroce, comme dans le concept de Thomas Hobbes.
O Saëb bey! Le cigare était beau
à voir entre vos doigts et l’œillet joli dans la boutonnière
de votre veston. J’étais et je reste l’un des vôtres, avec
fierté et gloire. Vous avez engagé en ma faveur bien des
batailles par fidélité et pour la confirmation de l’amitié.
J’ai grandi dans la résidence de Mousseitbé et dans cette
école nationale a commencé ma vie publique. Vous étiez
pour moi le père et le guide spirituel qui récompensait l’initiative
à titre de gratitude avec un taux usuraire.
La rencontre dans votre résidence dans
n’importe quel étage où elle avait lieu, se transformait
en un conseil sérieux et de sagesse, même dans sa partie plaisante
et en un conseil où les grands hommes échangeaient les opinions
et vous étiez l’un d’eux. L’histoire de la “patience de Job” est
l’une des belles anecdotes qui étaient évoquées lors
de vos réunions avec Béchara el-Khoury, Sami Solh et Alphonse
Ayoub.
En 1958, vous êtes revenu dans la tranchée
pour combattre l’autre tranchée, mais et cela est certain, pour
pouvoir éliminer les deux tranchées au moment opportun. Et
le jour où il sera possible pour les “quatre” de se retrouver: Saëb
Salam, Hajj Hussein, Raymond Eddé et Pierre Gemayel.
“Un Liban et non deux”. Nous sommes avec vous,
même si votre compte avec les autres est pareil au “compte de Dreik”.
Le droit, de l’avis des gens de raison, était avec vous et il s’est
retourné contre vous.
Reposez en paix, car votre fils aîné,
le jeune leader Tammam et nous sommes tous avec lui, est apte à
assumer le grand patrimoine.
Oui, l’homme qui a disparu, est l’un des principaux
piliers au Liban et dans le monde des Arabes. |
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