Il commence sa vie politique, lui le jeune héritier d’une famille de notables sunnites beyrouthins - son père Abou-Ali Salam ayant été député de Beyrouth en 1914 - dans le sillage des artisans de l’indépendance. Alors âgé de 38 ans, il est amené à jouer un rôle d’envergure nationale lors des tragiques événements de novembre 43, organisant des manifestations de rue pour obtenir la libération du président Béchara el-Khoury et de ses compagnons emprisonnés à la citadelle de Rachaya par les Français, pour avoir défié l’autorité du Haut-Commissaire en révisant la Constitution pour en éliminer les dispositions portant atteinte à la souveraineté nationale.
libanaise: Camille Chamoun, Saëb Salam et Pierre Gemayel. |
Salam et Fouad Boutros (G.D.). |
Au cours des événements de novembre 43, il forme avec
six autres membres de l’Assemblée, dont Henri Pharaon, un groupe
de choc ayant pris l’initiative de remplacer le drapeau libanais (tricolore
plus un cèdre), par les couleurs nationales actuelles, le rouge
représentant la lutte et, le blanc, la paix. (On lui a attribué,
parfois, cette réflexion qu’il a réfutée: Enlevons
ce chou-fleur (allusion au cèdre) du drapeau”.
Ce dernier a été dessiné (et confectionné)
avec les moyens de bord, au cours d’une réunion tenue par le “groupe
des sept”au siège de la Chambre où les parlementaires ont
pu s’infiltrer en dépit de la présence, place de l’Etoile,
d’une forte garde constituée de soldats sénégalais.
Il a aidé, alors, Habib Abou-Chahla et l’émir Arslan
à former un gouvernement transitoire à Bchémoun ayant
assumé les charges du Pouvoir jusqu’à sa reprise en main
par l’autorité légale.
Gemayel et Saëb Salam. |
Hafez Assad et Saëb Salam. |
Saëb Salam a toujours soutenu que l’indépendance a été
“le fruit d’une entente entre les chrétiens et les musulmans”, contrairement
à ceux qui prétendent que l’indépendance ne fut pas
leur œuvre et a été obtenue “grâce aux Britanniques
qui voulaient supplanter les Français dans nos murs”.
Ayant détenu le portefeuille de l’Intérieur dans le Cabinet
Saadi Mounla, il a donné la preuve de sa fermeté et de son
courage, comme de son souci de faire respecter la loi, à tel point
qu’il a été surnommé “l’homme d’acier”, après
la répression d’une manifestation de rue organisée par les
ouvriers de la Régie des tabacs.
Salam au Sérail, entouré de MM. Melhem Karam et Saïd Freiha. |
Saëb Salam en compagnie du roi Fayçal et de cheikh el-Husseini, ancien mufti de Palestine. |
Lors de la crise de 1952, le président Béchara el-Khoury
qui lui préférait des hommes plus accommodants fait appel
à lui pour former un nouveau Cabinet, tâche à laquelle
il a renoncé au terme de quatre jours de consultations.
Au lendemain de la révolution égyptienne, Saëb Salam
et Abdallah Yafi se brouillent avec le président Camille Chamoun,
lequel s’était opposé à leur proposition de rompre
avec l’Occident, après la nationalisation par Abdel-Nasser du canal
de Suez.
Les deux leaders sunnites devaient payer le prix de leur attitude aux
élections législatives de 1957, en même temps que Kamal
Joumblatt, l’ancien chef de l’Etat ayant usé de tous les moyens
pour provoquer leur échec, soutenant à leur place des éléments
inconnus et ne bénéficiant d’aucune assise populaire.
Cette récente photo représente le président
et Mme Saëb Salam, leur fils Tammam, en
conversation avec M. Daniel Jouanneau,
ambassadeur de France.
Les rapports entre Chamoun, d’une part, Yafi, Salam, Joumblatt, d’autre
part, n’ont cessé de s’envenimer.
Le mouvement insurrectionnel de 1958 a été déclenché
par l’assassinat de Nassib Metni, journaliste et l’opposition a proclamé
la désobéissance civile et refusé d’y mettre fin,
tant que Chamoun ne s’engageait pas à ne pas renouveler son mandat.
Ce dernier ayant répliqué qu’il ne prendrait aucune décision
sous la pression, la situation a failli se dégrader, dangereusement,
la radio du parti Najjadés ayant lancé des appels aux effectifs
(sunnites) de l’Armée leur demandant de rallier les rangs
des insurgés.
A ce moment, Saëb Salam a adopté une attitude donnant la
dimension de son patriotisme en fermant la station radiophonique. Puis,
dépassant le froid qui caractérisait, alors, ses rapports
avec Hamid Frangié, ancien ministre des Affaires étrangères,
il prit contact avec lui et avec d’autres personnalités chrétiennes
pour fonder le Front de l’union nationale dont l’objectif était
de déjouer la manœuvre de Chamoun qui tentait de “confessionnaliser”
la crise.
A la fin du mandat chamounien, Salam a été le premier
à avancer la candidature du général Fouad Chéhab
pour la magistrature suprême, le commandant en chef de l’Armée
ayant adopté une position neutre durant l’insurrection, tout en
promettant à Chamoun “de soutenir l’autorité légale
jusqu’au dernier jour de son sexennat”.
Le fameux slogan: “Ni vainqueur, ni vaincu”, avait été
lancé en ce temps par Salam pour dissiper la tension et ressouder
les fractions éparses d’un peuple déchiré par le conflit.
Aux législatives de 1957 et ayant été élu
à une écrasante majorité, le président Fouad
Chéhab a chargé Saëb bey de former le nouveau gouvernement.
Il a constitué son équipe ministérielle sous la devise:
“Un Liban et non deux”.
Cependant, étant donné la forte personnalité des
deux hommes, les divergences n’ont pas tardé à émerger
entre eux, une déclaration de Saëb bey par laquelle il se prononçait
en faveur de la création de l’Université arabe de Beyrouth
(pro-égyptienne), a été la goutte d’eau ayant fait
déborder le vase. D’autant que l’Ordre des avocats de Beyrouth a
observé une grève de plusieurs mois.
Un différend a, également, opposé Chéhab
à Salam à propos du “rapport Lebret”, doublé d’un
autre suscité, celui-là, par ce que Salam appelait “les immixtions
du Deuxième Bureau dans les affaires de l’Etat”.
Rachid Karamé, Kamal Joumblatt et d’autres hommes politiques
ayant pris le parti du chef de l’Etat, Saëb bey a présenté
sa démission.
Par la suite, il a échoué aux législatives, ses
relations avec le Pouvoir s’étant envenimées davantage, d’autant
qu’il ne cessait d’attaquer les “fantômes” (allusion aux membres
du Deuxième Bureau) et de dénoncer leur ingérence
dans les organismes étatiques.
Aux présidentielles de 1970, alors que les Chéhabistes
ont soutenu la candidature d’Elias Sarkis, Saëb Salam, réconcilié
avec Camille Chamoun, a avancé la candidature de Sleiman Frangié
avec l’appui de Kamel el-Assaad et Kamal Joumblatt.
Frangié a été élu à une voix d’écart
et Saëb Salam a constitué un “Cabinet de jeunes” dans l’intention
d’entreprendre une “révolution par le haut dans le cadre de la Constitution”.
“L’homme
à l’oeillet et au cigare” avait foi dans la jeunesse et on admirait
son esprit d’ouverture et son courage.
Poursuivant les Chéhabistes dans leurs derniers retranchements,
il a opéré une descente-éclair au siège des
Postes et Télécommunications où se trouvaient les
tables d’écoute téléphonique supposées être
sous le contrôle de membres du Deuxième Bureau.
Ces derniers ont été déférés devant
la juridiction qualifiée qui les a acquittés, partant du
fait que “ceux-ci avaient accompli leur devoir et exécuté
les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques”.
Le caractère impétueux de Saëb bey devait le brouiller
avec le président Frangié, son ami de toujours. L’étincelle
ayant mis le feu aux poudres a consisté en l’assassinat de trois
responsables palestiniens à Beyrouth, par un commando israélien
dirigé par Ehud Barak, actuel Premier ministre de l’Etat hébreu.
Saëb bey a réclamé la destitution du commandant
en chef de l’Armée - le général Iskandar Ghanem, à
l’époque - arguant que la troupe avait failli à son devoir,
sa réaction ayant été jugée “tardive et non
musclée”.
Les rapports se sont gâtés davantage quand le président
Frangié a utilisé l’aviation contre les camps palestiniens
dans la banlieue de Beyrouth pour mettre fin à leur rébellion.
Tout en mettant les “Abaouate” en garde contre “la création
d’un Etat dans l’Etat” et en blâmant Yasser Arafat de s’ingérer
dans les affaires libanaises, Saëb bey était d’avis qu’il ne
fallait pas user de la manière forte contre les Palestiniens, mais
d’un dialogue direct et franc, pour dissiper les malentendus.
Jouant au pompier, il s’est dépensé inlassablement aux
fins d’empêcher l’exacerbation du conflit, surtout après l’incident
de Aïn Remmaneh, le 13 avril 1975.
Maintes fois, il s’est rendu à Bickfaya ou au siège de
l’évêché grec-orthodoxe à Beyrouth-est, afin
d’y rencontrer Pierre Gemayel pour éviter le pire au début
de la guerre. “Le Liban ne peut survivre sans l’entente et la compréhension
entre ses fils”, ne cessait-il de répéter.
Saëb bey s’est opposé à la candidature de Bachir
Gemayel à la magistrature suprême. Mais après son élection
et dans un souci d’apaisement, il a accepté de le rencontrer au
palais de Baabda, en présence du président Sarkis. “Notre
entretien, devait-il déclarer par la suite, a été
franc”.
Puis, il a soutenu la candidature d’Amine Gemayel sur lequel il a fondé
beaucoup d’espoirs. “Mais ces espoirs devaient se volatiliser après
la conférence de Genève et de Lausanne”, devait confier M.
Salam. N’empêche qu’il a accepté de diriger la délégation
officielle chargée de rencontrer le président Ronald Reagan,
pour lui remettre un mémorandum exposant la crise libanaise et les
moyens de la résoudre.
Mais Saëb bey a été contraint de quitter Beyrouth
en 1985, non qu’il ait baissé les bras, mais à cause de la
maladie de son épouse Tamima, dont l’état de santé
exigeait des examens fréquents auprès de spécialistes
en Europe et aux Etats-Unis. Or, la situation du Liban, les risques que
présentaient nos routes et la précarité de la sécurité
aérienne rendaient les déplacements dangereux, voire impossibles.
A ceux qui lui rendaient visite à Genève, Saëb bey
disait toujours: “Je me trouve ici, mais mon cœur est au Liban, auprès
de mon peuple dont je partage les malheurs et les souffrances”.
Il retournera au pays natal en 1994, une fois la paix revenue, mais
affaibli par l’âge, l’homme d’acier a passé la main à
son fils Tammam qui a pris la relève avec autant de compétence
et de sagesse, soucieux comme son père de sauvegarder l’entente
sacrée entre ses concitoyens et la paix civile.
a été placé sur un affût de canon. |
entouré des présidents Husseini, Hoss, de cheikh Mohamed Kabbani, de l’imam Mohamed Mahdi Chamseddine, de MM. Rafic Hariri et Michel Pharaon. |
Les personnalités du monde politique, diplomatique, syndical,
militaire, religieux, ainsi qu’une foule compacte l’ont accompagné
jusqu’à sa dernière demeure, en dépit d’une pluie
battante. Les prières ont été récitées
à la mosquée de l’imam Ali Ben Abi-Taleb et l’inhumation
a eu lieu au cimetière des martyrs.
De la résidence des Salam, à Mousseitbé, jusqu’à
ce lieu de culte, des milliers de personnes étaient rangées
sur les trottoirs de part et d’autre de la rue. Des balcons des maisons,
des pétales de fleurs et du riz étaient jetés sur
le cercueil. Un immense cortège suivait à pied le véhicule
tirant un affût de canon sur lequel était posée la
dépouille de l’ancien président du Conseil recouverte des
couleurs nationales.
De Mousseitbé au stade municipal, en passant par la rue Mar
Elias, la corniche de Mazraa, les jeunes brandissaient des banderoles portant
des inscriptions tout à l’hommage du grand disparu.
A l’entrée de la mosquée de l’imam Ali, la fanfare des
FSI a exécuté la sonnerie aux morts et après les prières
rituelles, le cortège devait poursuivre sa marche, toujours sous
une pluie battante, vers le cimetière des martyrs jouxtant la mosquée
Kashokji.
présentant leurs condoléances à M. Tammam Salam. |
des présidents Omar Karamé, Salim Hoss, Hussein Husseini et Rafic Hariri. |
HOMMAGE DE HOSS
Avant la mise en terre, le président Salim Hoss a rendu hommage
en termes sentis à Saëb Salam, “le dernier des géants
à qui le Liban fait aujourd’hui d’émouvants adieux”.
“Ce militant hors pair, a ajouté le chef du gouvernement, qui
n’a jamais baissé les bras, a marqué le siècle dernier
par sa personnalité, son courage sans égal, ses grandes réalisations,
sa réputation irréprochable au triple plan local, régional
et international”.
M. Hoss a, également, mis l’accent sur le souci de M. Salam
de préserver l’unité nationale et de dissiper les germes
de la zizanie, pour instaurer la paix civile et ressouder les familles
libanaises, même aux pires moments de la guerre”.
Un flot ininterrompu de personnalités de tous bords et tendances,
ainsi que des délégations populaires ont défilé
à la résidence des Salam où sa famille a reçu
les condoléances durant trois jours.
“L’HOMME À L’ŒILLET ET AU CIGARE”
J’ai appris à mieux le connaître dans les années
soixante à Belgrade où je faisais partie de la délégation
(de journalistes) qui l’avait accompagné à la conférence
des non-alignés.
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