DES COMPTES DE FÉES | ||
Qui
ne connaissait ou ne connaît l’histoire de Golconde? Eh! bien, moi
en premier. Je pensais - c’était du temps de mon certificat
d’études - que Golconde était une reine mérovingienne,
pour la simple raison que son nom rimait avec Frédegonde (vous savez,
cette charmante nature qui fit assassiner son roi fainéant de beau-frère
pour prendre sa place). Ce n’est qu’en farfouillant dans un dictionnaire
que j’appris plus tard que c’était une des plus prestigieuses villes
du monde. Une ville de rêve, capitale (1518) du sultanat du Deccan,
en Inde, aux trésors légendaires qu’on prétendait
inépuisables. Pourtant, elle fut prise, pillée et détruite
par Aurangzeb, empereur de la dynastie des Grands Moghols. Mais sa réputation
est passée depuis dans le langage courant. En effet, pour parler
de richesses fabuleuses, on évoque volontiers “les trésors
de Golconde”.
Que ce soit de la prétention, de l’exagération ou de ce que vous voulez, mais je ne suis pas loin de croire que le Liban d’avant-guerre était une sorte de Golconde qui contenait autant de richesses, sinon d’avantages, puisque malgré tous les petits Aurangzebs et les grands moghols qui se sont succédé au Pouvoir, à l’administration, aux affaires, qui l’ont systématiquement pillé durant plus d’un demi-siècle (et 20 milliards de dollars de dettes), il se trouve toujours des Etats et des banques pour le considérer comme solvable et lui prêter encore de l’argent. Reste à savoir à qui va-t-on refiler la facture? Car, il ne s’agit pas de “la piastre du pauvre”, mais de sommes tellement faramineuses qu’on en perd à la fois le souffle et la monnaie qui restait dans nos portefeuilles. Et à propos de souffle, il faut avouer que nos pilleurs en ont toujours eu et ce, depuis l’ère de l’indépendance. A la différence que jadis, on volait avec moins de culot ou - pour ne vexer personne - moins de panache. En fait, c’était - par comparaison avec les temps que nous avons récemment vécus - plutôt des larcins qui pouvaient passer à la rigueur pour un genre “d’honnête” courtage. Puis, petit à petit on devint plus gourmands. Ensuite, vinrent les milices et avec elles des torrents de dollars en trafic d’armes, en drogue, en trahisons, en vente et achat de tout et de tous y compris de cadavres. On passa, alors, à la vitesse supérieure et ce fut, dans les années 90, l’hémorragie des milliards. Tel est accusé d’avoir volé 150 millions de dollars. Certains gentlemen auraient ratissé les timbres fiscaux du ministère des Finances. Un loustic peu malin, s’est laissé prendre, les mains plongées jusqu’aux épaules dans les milliards des carburants. D’autres ont ratissé la caisse des municipalités. D’autres encore se sont sucrés aux médicaments. Sans compter les autostrades, la MEA, la Intra, le casino; enfin, partout où il restait encore un sou à glaner. Et puisque nous avons commencé en parlant de l’Inde, il existe une inscription hindoue que les Américains ont empruntée et que cite Allen Drury dans son livre: “Advise and consent” (traduit en français sous le titre de Titans): “Celui qui veut emmener les richesses des Indes doit porter les richesses des Indes avec lui”. Or, depuis l’indépendance, nous avons vu arriver beaucoup ne portant rien, ni avec eux ni en eux et nous les avons vu repartir en emmenant tout ce que leurs prédécesseurs avaient oublié d’emporter. Qui est en train de passer à la caisse et à la casse? Nous, les sans-grade, les sans-bulletins-de-vote, les sans-mot-à-dire, plus précisément cette classe moyenne qui avait réussi à faire du Liban un nouveau Golconde, cette classe vache laitière qu’on accable d’impôts et de taxes et qu’on oblige aujourd’hui non seulement à payer ce qui lui a été volé, à elle, mais en plus une amende pour la pénaliser de s’être laissé voler. C’est là le seul apport dont peuvent se vanter nos dirigeants depuis dix ans. Le Code pénal n’en est pas revenu. Le seul point positif que nous puissions évoquer, c’est que nos dirigeants actuels ne sont pas des voleurs. Ce sont, dans l’ensemble, des hommes de bonne volonté. Nous savons qu’ils ont hérité d’une situation catastrophique. Mais nous savons aussi qu’ils n’ont rien apporté avec eux, ni en eux. C’est un gouvernement gris, morose, frileux, dont la devise semble être: “Ne faisons rien pour ne pas faire des bêtises” et la seule excuse: “Nous ne possédons pas une baguette magique”. Ça, nous ne le savons que trop. Mais ce que nous ne savons pas, c’est comment il se fait que les baguettes magiques ayant disparu, il nous reste sur les bras tant de fées Carabosse? |