Pour survivre à la guerre et à la récession économique,
l’industrie publicitaire s’est ouverte vers les pays du Golfe. “C’est justement
grâce à l’exportation des cerveaux libanais obligés
d’établir pignon sur rue à Dubaï, au Koweit et en Arabie
séoudite, que notre pays s’est imposé en tant que leader
de la publicité au Moyen-Orient,” précise Jean-Claude Boulos,
président-directeur général de l’agence de publicité
Inter-Régies/M&C Saatchi.
Marwan Najjar, qui a longtemps œuvré en tant que créatif
dans le domaine publicitaire, témoigne de la bonne réputation
des professionnels libanais travaillant pour le Golfe:
“A coup de labeur et de compétence, ils ont pu établir
des liens de confiance indéfectibles. Les dérapages de certains
d’entre eux, mus par un esprit mercantile, n’ont pu entacher cette crédibilité
et détrôner cette position pionnière dûment gagnée.
Nos compatriotes ont ainsi supplanté les autres publicitaires arabes,
notamment égyptiens, dont le style répétitif et l’attitude
très conciliante face au client, ne portent pas leurs fruits à
long terme”.
Dirigée par Jean Claude Boulos, Inter-Régies a été créée en 1973. Elle s’est affiliée en 1999 au réseau international M&C Saatchi. |
et producteur. Il dirige, actuellement, une maison de production pour théâtre. |
Malheureusement, en 1996, le marasme économique généralisé
envahit les pays arabes et atteint le Liban.
“Entre 1997 et 1998, l’augmentation des budgets investis dans la publicité
était de l’ordre de 8 à 9%, alors qu’une expansion de 15
à 20% aurait été souhaitable”.
Ainsi, 100 millions de dollars ont été dépensés
en publicité en 1998, ce qui équivaut à environ 30$/tête
d’habitant, beaucoup plus qu’en Egypte, il est vrai, (10$/tête d’habitant)
mais moins qu’à Chypre (60$/tête d’habitant).
Pour l’année 1999, certains optimistes estiment les investissements
à 110 millions de dollars, alors que d’autres, plus modérés,
avancent la somme de 85 millions, uniquement.
Les agences de publicité ne sont pas les seules concernées.
La survie de ce secteur dépend, également, des maisons de
production qui exécutent les spots publicitaires, ainsi que des
régies qui les distribuent aux médias. C’est donc toute une
chaîne industrielle qui s’organise et interagit pour promouvoir un
produit final.
PARCOURS D’UNE PUBLICITÉ
Tout commence et tout finit pour les annonceurs au sein de l’agence
de publicité. Elle est censée:
• bien étudier le produit qu’ils veulent publiciser;
• lui créer le concept de publicité le plus performant;
• exécuter ce concept elle-même ou par l’intermédiaire
d’une maison de production (pour les spots télé et radio);
• contacter les régies ou les médias afin de diffuser
la pub ainsi réalisée;
• optimiser le tout dans les limites du budget assuré par l’annonceur.
Barbra Streisand, le Golden Globe
Cecil B. DeMille pour l’ensemble de sa carrière.
Aussi, l’organisation d’une agence de publicité et ses multiples départements jouent-ils un grand rôle dans la réussite des spots publicitaires. Selon Maher Achi, directeur général de H&C Leo Burnett, “les agences sont généralement structurées en fonction de trois questions fondamentales relevant de l’art de la communication: quoi dire, comment et où le dire?”
QUOI DIRE?
A ce niveau, intervient le département service clientèle
appelé également “commerciaux”. Il entre en contact direct
avec l’annonceur (client) qui lui remet un compte rendu décrivant
le produit à publiciser. Un autre département, en jumelage
avec le premier dans certaines agences, entre alors en jeu: la planification
stratégique.
“Il établit, aux dires de Sélim Namour, vice-président
et directeur exécutif de Crayon Noir, un tableau marketing où
la marque et les besoins pour ce produit sont analysés à
partir de toutes ces données et en fonction des études du
marché, si disponibles”. Ainsi, toute une série de points
essentiels sont tirés au clair: Quel devrait être le positionnement
de ce produit et son image? Est-il adapté au marché libanais?
Répond-il aux attentes de la cible, du consommateur? Dans l’affirmative,
comment approcher ce dernier? Tout ce travail de réflexion et de
recherche aboutit donc à la mise au point d’une stratégie
publicitaire claire qui comprend, en définitive, comme le précise
Marwan Najjar, trois éléments fondamentaux:
1- La promesse.
2- La soutenance de cette promesse (le support).
3 - Le caractère du produit.
Lancée en janvier 1999, l’agence de publicité
Crayon
Noir est dirigée par ses fondateurs: Charles
Homsi,
PDG, et Sélim Namour, vice-président
et direvteur exécutif
La promesse, c’est tout simplement ce qu’offre le produit au consommateur.
Elle doit être adaptée à ses attentes pour l’amener
à réagir positivement. Ainsi, une marque de shampoing qui
table dans sa commercialisation en Europe et en Amérique sur le
concept du lavage rapide (Wash and go), ne peut en aucun cas utiliser le
même slogan dans les pays du Golfe. Dans ces pays, les femmes sortent
rarement et disposent de plus de temps pour leur toilette. Elles seraient
donc plus réceptives à une promesse de chevelure luxuriante.
Le support est le moyen par lequel on soutient la promesse. Est-ce
par la logique, la démonstration scientifique, la comparaison, l’expérience
simulée?
Le caractère, c’est l’image du produit. Si certains produits
sont performants, comme les détergents et les savons, d’autres tablent
surtout sur l’image qu’ils véhiculent, à l’instar des cigarettes
et des boissons.
“Que peuvent vous dire les marques de cigarettes, ironise Marwan Najjar,
développez le meilleur cancer avec nous?”
Telle cigarette mise sur l’image du cow-boy ou de l’Américain
contemporain, tel whisky sur le rejet des traditions et l’adoption d’attitudes
permissives...
Ces trois étapes de réflexion revêtent, par conséquent,
une importance primordiale. Elles se jouent de l’avenir même du produit.
COMMENT LE DIRE?
Le département créatif prend, alors, le relais. Son rôle
est de concevoir une pub exprimant la stratégie prédéfinie.
Des séances de travail, appelées à juste titre
“Brain Storming” (tempête de cerveau) groupent les créatifs
qui proposent leurs idées et les commerciaux qui décident
de leur faisabilité dans les limites d’un budget de base, établi
avec le client.
Une fois l’accord du client obtenu, place au département de
production, appelé également “studio” dans certaines agences.
Il exécute sur ordinateur le travail créatif, destiné
aux supports publicitaires imprimés (presse, panneaux d’affichage...).
La réalisation des spots télé et radio, conçus
également par les créatifs (scénarios de films et
chansons publicitaires), est, quant à elle, confiée aux maisons
de production spécialisées dans ce domaine.
Directeur exécutif de la création pour
l’Egypte et le
Levant chez H&C Leo Burnett, Béchara Mouzannar
a,
également, exercé le métier de
réalisateur.
Béchara Mouzannar, directeur exécutif de création
chez H&C Leo Burnett, précise: “Le département de création
est appelé à superviser le travail exécutionnel du
studio (à l’agence même) et de la maison de production. Il
s’assure ainsi que la réalisation des idées est conforme
aux objectifs prédéfinis”.
L’agence de publicité contacte plusieurs maisons de production
en ville, leur soumet son projet créatif et sollicite un devis sur
le coût de réalisation. Le devis comporte les frais d’exécution
du spot, plus la marge de bénéfice de la maison qui varie
entre 15 et 20%.
L’agence compare les devis et opte pour l’un d’eux. Gaby Chamoun, producteur
et directeur général de Talkies (maison de production), confie:
“Le prix avancé joue beaucoup dans le choix de la maison de production,
surtout en ce temps de crise. En Europe, poursuit-il, une maison de production
est jugée selon le style du réalisateur qui travaille pour
elle en exclusivité. Alors qu’au Liban, le choix table sur l’accessibilité
de ses prix, son respect des dates de livraison et sa bonne gérance,
les réalisateurs étant généralement des pigistes.”
La réalisation des spots radio représente une part minime
de l’activité et du chiffre d’affaires de Talkies. Ce type de spot
se limite souvent à une reprise de la bande sonore du film publicitaire.
Gaby Chamoun insiste donc sur l’exécution des films. Plusieurs réunions
de travail regroupent le client, l’agence de publicité et la maison
de production afin de discuter des détails du film: choix des acteurs,
le lieu du tournage, le décor, les habits, la bande sonore...
La décision finale prise, le tournage peut alors commencer.
La maison de production livre le film à l’agence qui s’entend avec
les médias pour sa diffusion.
OÙ LE DIRE?
Les publicités pour TV, radio, presse, panneau d’affichage étant
fin prêtes, le département de planification médias
s’occupe de l’achat des espaces publicitaires pour les diffuser. Cette
transaction s’effectue, également, par l’intermédiaire
de régies publicitaires qui passent des accords avec certains médias
afin de leur fournir en exclusivité des publicités.
“Chaque média a ses règles, estime Maher Achi. Publier
une annonce de presse permet d’y inclure beaucoup de détails difficiles
à faire passer en 30 secondes dans un spot télévisé.”
La télévision se démarque par sa vocation nationale
très large, idéale pour une bonne présentation, explication
et démonstration des bienfaits d’un produit.
En 1990, Gaby Chamoun entre chez Talkies,
maison de production fondée en 1988. Il en
devient
le directeur après avoir acheté les
parts des associés.
La radio est un moyen de message direct à ciblage très
pointu.
Selon Marwan Najjar, les panneaux d’affichage sont utilisés
dans deux buts précis:
• Piquer la curiosité du consommateur (teasing).
• Le rappeler au souvenir d’une pub passée à la TV ou
dans la presse...
Lors de cette première vision, il n’était pas en position
d’achat, confortablement installé à son domicile. Une fois
sorti de chez lui, le panneau l’interpelle en route pour le pousser à
l’action. C’est le “call for action”, le “do it now”.
Dans cette perspective, Nagi Boulos, directeur général
et directeur créatif d’Inter-Régies / M&C Saatchi, précise
l’importance “d’un visuel très fort et d’une accroche percutante
dans les panneaux d’affichage. Il est inutile, dit-il, de vouloir ajouter
des mots et phrases supplémentaires au message essentiel. Les citoyens
qui passent en toute vitesse n’ont pas le temps de les lire”.
Une bonne connaissance de tous ces principes évite de commettre
des erreurs dans la planification média. “Par exemple, une pub pour
coiffeur, explique Béchara Mouzannar, n’est pas censée passer
à la télévision, car elle n’a pas de vocation nationale.
Il est préférable, dans ce cas, de faire du direct mailing
(brochures envoyées aux consommatrices de la région), des
spots radio ou des annonces de presse publiées dans les magazines
de mondanité pour femmes”.
Inter-Régies / M&C Saatchi et réalisé par Filmworks, vante le produit “Presept” (désinfectant). Les publicitaires ont tablé sur une salade nationale (tabboulé) à base de crudités et sur la convivialité d’un repas à la libanaise. Selon Nagi Boulos, directeur créatif, le produit a vu ses ventes multipliées par dix. |
dans un parkingpour publiciser le produit “Teleno” (sous-vêtements féminins). Une camérade surveillance se trouble et explose enétincelles. (Film Inter-Régies / M&C Saatchi, direction créative Mario Agostine, production Filmworks). |
À COUPS DE RABAIS ET DE CONCURRENCE
Le budget du client est régi par l’agence dont la rémunération
se compose essentiellement de commissions. Ainsi, la facturation média
(pour l’achat d’espaces publicitaires) et la facturation production (relative
aux fournisseurs de clichés et au travail des maisons de production)
se voient majorées d’une commission d’agence qui varie entre 15
et 20%. Cependant, un troisième genre de facturation pour les publicités
non diffusées dans les médias (logo, brochures...) s’effectue
sur base d’honoraires de création couvrant le temps et le travail
des concepteurs.
La hausse des taxes financières et douanières, ainsi
que la crise économique dans le pays ont amené les patrons
d’entreprise et les importateurs à diminuer leurs frais généraux.
Première victime: la publicité. “En 1999, constate Jean Claude
Boulos, d’importantes marques de boissons alcoolisées ont dû
renoncer à faire de la publicité. Elles ont préféré
baisser le prix de vente et ont diminué, par conséquent,
leur marge d’investissement publicitaire. Elles n’avaient pas hésité,
en 1998, à dépenser 300.000 à 400.000 dollars pour
publiciser leurs produits”.
Les budgets publicitaires baissent, les clients se font rares, la concurrence
entre les diverses agences s’annonce donc féroce. “Pas tout à
fait cordiale, du genre: fais bien pour que je fasse mieux, dit Marwan
Najjar le regard rieur, mais plutôt: souhaitons ta mort! Pourquoi
es-tu là?”
Certes, les agences sérieuses et professionnelles essayent de
respecter des règles de jeu loyales et civiques. Elles maintiennent
leur service de qualité à des prix étudiés.
Mais, tenir le coup relève de l’exploit dans cette guerre acharnée
où prouesses techniques et créativité font figure
d’arme légère face aux déferlantes représailles
des coups de rabais.
|
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“Proposer au client un pourcentage de ristourne sur la commission d’agence
est une pratique, en principe, bannie. Mais le fait est là. Les
annonceurs sont sensibles à l’argument du prix et prêts à
réduire leurs dépenses en récupérant une partie
de leur argent”, soulignent Maher Achi et Béchara Mouzannar.
“Le client qui opte pour une agence lui offrant des prix bradés
met son produit en danger, renchérit Sélim Namour, car le
niveau et la qualité du service proposé par l’agence sont
étroitement liés au budget (de l’annonceur) destiné
à l’étude du produit”.
Un assainissement du marché est donc souhaité par les
publicitaires pour mettre un terme à cette concurrence jugée
déloyale et nuisible à la profession.
QUALITÉ DU PERSONNEL ET AGENCES COURT-CIRCUITÉES
Certaines agences professionnelles misent plutôt dans leur politique
concurrentielle sur la qualité de leur personnel. Elles investissent
dans le recrutement et la formation de leurs cadres.
Mais par crainte de perdre à leur tour, pour un meilleur salaire,
un personnel soigneusement formé, certaines agences optent
pour une alternative moins risquée. Elles embauchent de préférence
de jeunes diplômés, dépourvus d’expérience,
pour des salaires moins onéreux (crise économique aidant),
sans se soucier de les soumettre à des séminaires de formation.
Silence, on tourne! A l’Aéroport international
de Beyrouth,
l’équipe technique de Talkies (réalisateurs,
caméramans
et assistants) s’affaire.
Se voyant supplantés par de jeunes premiers, ou curieusement
remplacés par des personnes en manque de culture publicitaire, certains
professionnels expérimentés, au potentiel ignoré,
devront se décider: quitter le pays à la recherche de meilleurs
horizons, se résigner et accepter le compromis actuel au risque
de se démotiver, ou bien opter pour un métier voisin à
la publicité, la production à titre d’exemple.
Parfois, les agences voient leur rôle de planificateur et de
coordonnateur court-circuité par des clients préférant
traiter directement avec les maisons de production et les médias,
afin d’exécuter et de distribuer des publicités, dont ils
sont eux-mêmes les auteurs.
“Je suis souvent méfiant à l’égard des annonceurs
qui s’adressent, directement, à nous (maison de production) sans
passer par une agence publicitaire”, déclare Gaby Chamoun. Nous
ne sommes pas un marché d’occasion. Il est cependant vrai que certains
clients ont eu maille à partir avec des agences, dont la crédibilité
en matière de gestion du budget et travail publicitaire laisse à
désirer”.
“Le client commet une erreur en s’adressant, directement, aux médias
pour diffuser sa publicité sans prendre conseil auprès de
l’agence, souligne Sélim Namour. Il ignore quel média et
quel programme conviennent le mieux à la publication de sa pub”.
CONCEPT EN DANGER?
Si la pub libanaise est mondialement reconnue et appréciée,
il n’empêche qu’au niveau national des voix s’élèvent
dans le milieu professionnel, exprimant des réserves et dénonçant
certains dérapages. Pour elles, relever les lacunes n’est pas déprécier
mais plutôt refuser la politique de l’autruche, par crainte de voir
cette prometteuse industrie glisser, dangereusement, dans les méandres
de la perdition.
“Sur plus d’une centaine d’agences de pub répertoriées
au Liban, estime Maher Achi, seulement une minorité exerce véritablement
leur métier. Le reste, opportuniste et sans background, manque de
professionnalisme et de sérieux.
“Le métier est envahi par des boutiquiers, affirme Jean-Claude
Boulos, se réduisant à de simples sociétés
commerciales sans bases professionnelles. L’agence de pub est en quelque
sorte le conseiller et le partenaire du client, dès l’instant où
il décide d’importer un produit, de lancer une marque, de la positionner
sur le marché et de l’entretenir. L’agence ne peut donc mériter
son nom si elle se ramène à un simple acheteur d’espace publicitaire”.
L’art de la table est un art communiqué de
génération
en génération. Ceci ne l’empêche
pas de se moderniser
pour franchir les “millénaires” sans une ride.
D’aucuns expriment alors leurs inquiétudes de voir la qualité
de la pub libanaise en pâtir du point de vue conception et réalisation.
Mais pour d’autres, le danger menaçant le concept publicitaire plonge
ses racines dans la crise économique du pays et la réduction
des budgets publicitaires. Moins rétribuées, les agences
sont moins motivées et la qualité de leurs services s’en
ressent.
Selon Gaby Chamoun, certaines agences sont amenées à
concevoir des publicités répondant uniquement au goût
de leurs clients pour les garder.
C’est miser sur la quantité et non sur la qualité.
Mais, tout le monde n’est pas d’accord pour lier qualité créative
et sommes investies.
“Le niveau budgétaire n’a aucun rapport avec la créativité,
objecte Nagi Boulos. Les publicitaires sont acculés, face aux exigences
des annonceurs et aux moyens limités, dont ils disposent, à
trouver un concept moins cher à réaliser mais tout aussi
efficace et percutant. De toute façon, lorsqu’on a une belle idée,
on l’a, quel que soit le budget”.
RÉCLAME ET PUB MENSONGÈRE
Précisément, les idées sont-elles toujours belles?
Les avis sont partagés. Pour certains, il est difficile de porter
un jugement catégorique, car les goûts et les couleurs ne
se discutent pas. Pour d’autres, toute idée est bonne, tant qu’elle
ne se résume pas à une simple réclame: achetez le
produit X, au prix Y, chez Z. Ainsi, pour Charles Homsi, seule la pub avec
sa valeur ajoutée peut être efficace.
Toute idée est, également, bonne tant qu’elle n’est pas
mensongère et qu’elle n’induit pas en erreur. “L’honnêteté
fait partie de la communication et de la survie d’un produit”, déclare
Marwan Najjar. Elle est, aussi, importante que l’originalité du
concept. Si la pub avance une grande promesse mensongère, le produit
perdra du terrain”.
Ce fut le cas, dans le temps, d’une marque de jus de citron qui prétendait
dans sa pub vendre du citron naturel, alors qu’elle offrait de l’acide
citrique. Le slogan publicitaire avait remporté un grand succès.
Comment évoquer les troubles de la prostate
et leurs retombées
sans montrer un homme en train d’uriner? Réponse:
par l’humour,
cette baguette magique qui fait sortir le téléspectateur
de sa
torpeur et le pousse à réagir positivement.
Un arrosoir, très suggestif,
à jets intermittants, lui joue des tours...
Une solution adéquate
rétablit le cours normal des choses... (Film
conçu par H&C Leo Burnett,
pour le ministère de la Santé, à
l’occasion d’une campagne d’éveil lancée en 1999).
“Tout le monde a voulu essayer ce produit, se rappelle Marwan Najjar,
et ce fut leur dernier achat, la fin du produit. Un message plus authentique
du genre: le produit X n’accepterait pas que vous tombiez dans le besoin,
aurait probablement sauvé la marque.”
“Normalement, dans un pays civilisé, il est interdit d’avancer
des allégations mensongères”, objecte Maher Achi.
Ceci s’applique d’autant plus à la “pub comparative”. Deux marques
de jus de fruits se sont dernièrement livré une bataille
publicitaire acharnée. Chacune clamait à qui voulait bien
l’entendre, la qualité du jus naturel qu’elle seule offrait. Dans
leur fièvre concurrentielle, ces deux marques ont réussi
à confondre le consommateur et à se décrédibiliser
réciproquement.
Dans un autre registre, une marque de produits lessiviels s’est vu
intenter un procès pour avoir prétendu dans sa pub surpasser
l’efficacité jumelée de deux autres produits connus en ville.
Elle a été obligée de modifier le concept de sa pub.
Au Liban, aucune loi n’oblige à soumettre de fausses allégations
à des vérifications scientifiques. “Aux E.U., commente Sélim
Namour, la pub comparative est tolérée à condition
de prouver scientifiquement les affirmations avancées. En France,
elle est interdite”.
CONSOM-MATEUR DÉROUTÉ ET SYN-DROME
“PHÉNI-XABLE”
Certains critiques dénoncent les plagiaires qui n’hésitent
pas à s’attribuer des concepts de pub copiés en réalité
de l’étranger. Charles Homsi déplore, quant à lui,
le manque de cohérence de certains messages publicitaires:
“En quoi est-ce qu’une marque qui axe sa communication sur le rejet
des traditions, trouve sa pertinence en prolongeant sa campagne d’une promotion
dont le but est de reboiser le Liban?, se demande-t-il avant d’ajouter:
“L’écologie, à ce qu’on sache est pourtant par essence, partie
intégrante de la tradition.”
Quel meilleur symbole pour l’attachement qu’un bracelet
de haute joaillerie.
Le consommateur a besoin de cohérence et de clarté.
Mais les professionnels se refusent à croire que les dérapages,
jugés ponctuels en matière de concept, nuisent à la
publicité libanaise en tant que telle. Bien au contraire, depuis
la création des Phenix de la Pub (TV) en 1993 et des Print Awards
(presse) en 1998, assurent-ils, une émulation s’est instaurée
entre les agences, déclenchant une amélioration remarquable
dans la créativité.
Le revers de la médaille? On parle de lutte d’influence et de
troc de trophées (cadeau contre cadeau) entre les membres du jury.
Pour couper court à toute rumeur malveillante ou justifiée,
des professionnels internationaux au jugement impartial, ont été
injectés au jury libanais dans une tentative et volonté d’équité.
Autre problème: certains publicitaires surmotivés dans
leur fièvre créative, en oublient le produit à vanter.
“C’est comme si les créatifs, qui se penchent aujourd’hui sur un
nouveau scénario, constate Charles Homsi, se demandent si leur œuvre
sera “phenixable”, avant de se préoccuper de savoir si leur publicité
remplira son rôle, c’est-à-dire, vendre le produit qu’elle
est censée véhiculer. Or, pour paraphraser Montaigne, disons
que “publicité sans concept n’est que vaine acrobatie”.
Les résultats d’une étude étalée sur six
ans et entreprise par Leo Burnett confirment, d’ailleurs, ces dires.
Maher Achi nous en fait part: “Il est apparu que les publicités
les plus primées internationalement (Cannes, New York, Londres)
étaient toutes liées à des succès commerciaux
évidents et que création ne veut pas dire l’art pour l’art,
mais l’art de la conviction.”
DÉRÉGULATION DES TARIFS D’ESPACES
PUBLICITAIRES
Pour Charles Homsi, le véritable problème dont souffre
actuellement l’industrie publicitaire ne peut s’expliquer simplement par
le marasme économique généralisé. Car un des
rôles essentiels de la pub a toujours été de réamorcer
la pompe économique.
Le responsable de tous les maux, serait selon lui la dérégulation
des tarifs de publicité et notamment dans l’audiovisuel.
“Nous notons un manque de transparence dans les pratiques commerciales
relatives à l’achat d’espaces publicitaires”, explique Maher Achi.
“Les rate cards (tarifs d’achat) dépendant de chaque média
et représentant en principe des taux fixes, ne sont pas respectés”,
commente Sélim Namour.
Les médias et régies s’arrachent les annonceurs en leur
offrant des encouragements, “des cadeaux” sous forme de passages “gratuits”
et de “rabais”.
Résultat? L’industrie publicitaire se retrouve enlisée
dans un horrible cercle vicieux: les tarifs de diffusion bradés
provoquent la pollution extrême de l’espace audiovisuel, la saturation
du téléspectateur et du zapping à outrance. Donc,
le message est tronqué, les ventes du produit baissent, entraînant
la diminution des budgets publicitaires et des achats d’espaces médias.
Les régies et médias, voyant leurs revenus baisser, offrent
des rabais encore plus importants.
Spirale infernale servant le désintérêt de tout
le monde.
Solution? L’Etat peut légiférer sur le temps publicitaire,
par heure d’antenne, imparti aux chaînes (12mn/h au lieu de 20mn/h
actuellement). En imposant une taxe par passage de publicité, il
mettrait un frein à l’octroi excessif de diffusions gratuites.
Les agences de pub peuvent refuser de céder aux pressions des
annonceurs (qui chicanent la rétribution de leurs services) et des
régisseurs (qui bradent leur prix). Décemment rétribuées,
elles fourniront le maximum de professionnalisme dont elles sont capables.
Face au paysage médiatique pollué, à la dérégulation
des tarifs, aux difficultés économiques, au manque de planification
étatique et à la mondialisation galopante, l’industrie publicitaire
libanaise serait-elle en mesure de relever le défi?
Le potentiel est là, répondent les publicitaires; il
suffit de le canaliser pour en tirer le meilleur. “D’ailleurs, Gide l’a
bien dit, conclut Marwan Najjar: J’ai toujours préféré
le bouton plein de promesses, à l’épanouissement de la fleur!”
Comment fonctionne une maison de production?
Elle s’organise autour de deux grands axes: la production et la post-production
qui englobent à leur tour plusieurs départements.
La production comprend:
- le casting, chargé du recrutement des acteurs qui ne sont
pas toujours professionnels;
- le repérage des lieux de tournage pour les films publicitaires;
- le département artistique qui s’occupe de la tenue vestimentaire
(choix ou confection) et du décor dans le studio (modèles,
couleurs, matériaux...);
- le département technique (directeur de photographie, cameraman
et éclairagiste);
- le département financier qui contrôle le budget.
La post-production s’occupe plutôt du montage, de l’image de
synthèse, du son...
tourné par Talkies à Jbeil dans le souk, avec pour thème: life in real situations. |
marque de bière sans alcool, réalisé par Talkies pour l’Arabie séoudite. On reconnaît sur la photo l’acteur libanais Majdi Machmouchi. La caméra se déplace sur rails à l’aide d’un chariot à roues. L’écran blanc réflecteur des rayons du soleil assure une plus grande luminosité. |
Quels sont, à votre avis, les critères de succès
d’une maison de production?
Le rôle du producteur est très important. Il doit savoir
minimiser le temps, les dépenses et les problèmes. Ce n’est
pas toujours évident. Savoir conseiller, diriger toute une équipe,
recruter un personnel talentueux... L’expérience est un atout. Le
Liban n’offre aucune spécialisation en production, mais seulement
en audiovisuel ou en science de la communication. L’apprentissage du métier
se fait donc généralement sur le tas. Je suis moi-même
autodidacte en production, mes études en business administration
et management m’ayant beaucoup aidé.
Combien y a-t-il de maisons de production au Liban?
Toutes ne méritent pas ce nom. A mon avis, on peut dénombrer
six ou sept boîtes sérieuses capables de livrer des films
de bonne qualité.
La concurrence est féroce entre les agences de publicité;
en est-il de même pour les maisons de production?
Il ne s’agit pas simplement d’une concurrence, mais plutôt d’une
guerre avec espionnage et détournement de personnel (sourire malicieux).
La rivalité entre maisons de production existe partout dans le monde,
mais elle est exacerbée au Liban où le marché est
restreint. On se retrouve pratiquement les mêmes à se faire
la concurrence sur un scénario. Mêmes contacts, mêmes
clients.
Quels sont les problèmes auxquels vous faites face?
Deux de ces problèmes sont directement liés à
la politique de l’Etat. D’une part, les taxes douanières sont très
élevées sur le matériel de production importé.
Elles atteignent 25% pour certains articles. D’autre part, l’absence d’une
politique de protection au Liban désavantage la production nationale
de films publicitaires. En effet, certaines agences locales réalisent
leurs spots à l’étranger et les diffusent dans les médias
libanais, sans pour autant payer la moindre taxe.
J’insisterais, cependant, sur un problème relatif à la
crise économique du pays. Il est difficile d’obtenir une très
bonne qualité de film à bas prix. Je déplore, enfin,
le manque de loyauté des agences publicitaires: il nous est arrivé
de leur produire des films de très bonne qualité à
des prix compétitifs, afin d’encourager une collaboration future
entre nous. Peine perdue. A chaque nouveau scénario, nous sommes
mis sur le même pied d’égalité que les autres maisons
de production. Seul le prix du devis fait pencher la balance. Nous avons
le sentiment d’investir à vide, sans pouvoir récolter les
fruits.
Produisez-vous des films publicitaires pour l’étranger?
Le Liban réalise une bonne partie des spots publicitaires diffusés
dans les médias arabes. Les multinationales s’adressent de préférence
aux Libanais qui sont experts dans les mentalités orientales. D’ailleurs,
60 à 70% du chiffre d’affaires de “Talkies” proviennent, essentiellement,
de la production de films publicitaires pour les pays du Golfe.
Le travail créatif des agences de pub est récompensé
par les “Phénix”; qu’en est-il du vôtre?
Notre travail n’a jamais été primé. Nous sommes
les soldats inconnus! C’est bien dommage, car le niveau de la production
au Liban s’est nettement amélioré ces dernières années
pour atteindre un niveau international. Nous recevons souvent des scénarios
insignifiants mais qui finissent par être valorisés dans de
bons films.
Arab Bank Au service de la Famille Les photographies publicitaires se basent souvent sur des images fictionnelles, présentant un sujet construit de toute pièce avec l’aide de figurants. Elles sont généralement conçues selon des critères de communication qui résument le message publicitaire. La pub d’Arab Bank en est une parfaite illustration. Elle inclut des conventions qui régissent la lecture d’une photographie ou d’une peinture: les effets de réel (un semblant de naturel), les rhétoriques (comparaison et antithèse), les reconnaissances culturelles (image déjà connue du lecteur) et la symbolique (idée induite par l’image). Le résultat est là et pour mieux le comprendre, analysons-le! EFFETS DE RÉEL
RHÉTORIQUE
RECONNAISSANCE CULTURELLE
SYMBOLIQUE
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Des noyaux de résistance à l’agression publicitaire
se constituent un peu partout dans le monde. Fruit d’initiatives privées,
ils partent en guerre contre les effets néfastes de la pub et les
dérives de la consommation.
Un article, paru dans “Libération” le 24 novembre 1999 et signé
par
notre confrère Yann-Patrick Bazire, raconte la croisade du Comité
des créatifs contre la Pub qui a préparé un
spot télé de 30 secondes dénonçant l’excès
de consommation:
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La femme est omniprésente dans la publicité libanaise. Si elle n’est pas toujours la cible, elle est plus souvent un moyen. “Son corps, ses charmes, son sex-appeal, ça fait vendre!”, entend-on répéter. Les ligues féministes et les puristes s’indignent. Les publicitaires s’expliquent.
Sélim Namour: Tout dépend de la manière dont la
femme est exploitée dans la publicité. Il est évident
qu’une femme bien galbée est jolie à voir. Attirés,
les consommateurs sont, plus ou moins, motivés pour l’achat du produit.
Toutefois, l’utilisation “pornographique” de la femme dans le but de faire
du “punch” (de l’impact) peut être négativement perçue.
Vouloir choquer gratuitement peut se retourner contre la publicité.
Se noyer dans le mauvais goût est très facile.
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