LE PIÈGE DU RETRAIT | ||
Quelqu’un
peut-il inciter le ministre Issam Naaman à méditer l’axiome
chinois qui conseille de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant
de parler? Probablement pas. M. Naaman semble souffrir d’une boulimie verbale
qui l’assourdit lui-même, au point où il n’entend plus ce
qu’il dit et, tous freins rompus, finit par dire n’importe quoi.
Ainsi, M. Naaman nous explique, à la télévision - devenue pour les infortunés Libanais un instrument de torture - que la Syrie, si elle intervient à nos côtés, risque une guerre avec Israël qu’elle n’est pas en mesure de faire, Israël étant plus fort que la Syrie et le Liban réunis. Ensuite, que le Liban peut faire face lui-même à Israël et que de toute façon un tel état de fait limite les dégâts. Ici, une ou deux questions se posent: si la Syrie est trop faible pour affronter Israël, le Liban est-il assez fort, à lui tout seul, de relever le gant, récupérer le Golan, renvoyer Barak chez lui à coups de pieds et se battre pour l’ensemble des Arabes, comme jadis les chevaliers du Moyen Age, en combat singulier, pour les beaux yeux de leur dame? Du point de vue romantique, l’idée est très belle, mais sur le plan militaire, c’est plutôt naïf, pour ne pas dire demeuré. Seconde question: “limite les dégâts” de qui? Surtout quand Tel-Aviv, nullement effrayé par l’éloquence de M. Naaman, promet pour chacun de ses soldats tués des infrastructures pulvérisées et pour un seul katioucha tombant sur la Galilée: “Nous brûlerons jusqu’à la terre du Liban” (Lévy dixit). M. Naaman envisage-t-il de troquer son portefeuille contre une voiture de pompier? D’un autre côté, notre taciturne Premier ministre sort de son silence traditionnel pour nous raconter que notre destin est de nous exposer aux coups d’Israël au nom de tous les Arabes. N’en déplaise au Dr Hoss, mais nous assigner le rôle d’une Iphigénie en sursis est-il vraiment de nature à nous remonter le moral? Quant aux Arabes - à part la Syrie - ils ne semblent pas particulièrement gênés par les entreprises d’Israël. Alors? C’est nous et nous seuls qui supportons le poids écrasant de l’Etat hébreu. Et à propos de poids écrasant, il n’y a pas longtemps encore on nous assommait avec la 425. C’était notre arme absolue, la seule dont nous disposions pour contraindre Tsahal à quitter notre sol. Puis, le refrain changea de paroles, d’air et de rythme. Nous parlons maintenant de la “concomitance des volets syrien et libanais”. Très bien. Une étroite solidarité syro-libanaise est nécessaire face à Barak, mais encore faut-il adapter une politique nouvelle à cette nouvelle donnée, surtout maintenant que les Israéliens parlent de se retirer d’une façon unilatérale. Comment allons-nous agir ou réagir? Allons-nous les prier de n’en rien faire? Qu’avons-nous prévu comme solution de remplacement pour combler un vide dangereux? Personne n’ignore qu’en l’absence de l’Etat, les différentes factions armées palestiniennes sortiront des camps pour tenter de réoccuper le terrain où elles régnaient jadis en maîtresses absolues. N’est-il pas à prévoir des actions irraisonnées et incontrôlables qui offriront à Israël un prétexte commode pour mettre ses menaces à exécution? Et la Résistance peut-elle se permettre de céder le terrain aux Palestiniens? Ou bien en arriverons-nous à voir à nouveau la terre libanaise mise à feu et à sang? Et, ainsi, le piège se refermerait petit à petit pour nous entraîner une fois de plus dans un cycle infernal. L’aide de qui peut-on espérer? Des Etats-Unis qui soutiennent Israël quoiqu’il entreprenne et nous considèrent comme un Etat croupion, indigne de recevoir la visite même d’un sous-Ross? De l’Europe - à part la France - qui ne parle des droits de l’Homme que par rapport à Pinochet? Ou bien de la diaspora libanaise à qui nous refusons la nationalité à laquelle elle a droit? Attendons-nous que les Arabes accourent en masse pour nous encadrer et nous épauler en rangs serrés? Et quels Arabes, à part la Syrie qui a ses propres chats à fouetter? En fait, depuis Oslo, les Arabes ont adopté dans ce domaine un profil si bas que ça finira par traîner par terre. Pendant ce temps, le gouvernement libanais, déboussolé, tourne en rond comme un chat qui essaye de se mordre la queue. Nous avons râté tellement d’occasions de redresser la barre que nous nous retrouvons aujourd’hui dans la situation de ce pauvre type à qui un gros malin offrait de jouer à pile ou face: “Pile, tu perds, face, je gagne”... Au cours de notre longue Histoire, nous avons été conquis et occupés dix-huit fois et chaque fois, nous sommes revenus de loin. Aujourd’hui, pour revenir au score - comme disent les sportifs - il nous faudrait des dirigeants qui ne soient pas chaussés de souliers de plomb, un ministre des Affaires étrangères qui ait du punch, une politique nettement articulée et dynamisée. Sinon, nous risquons d’atteindre le point de non-retour. Est-ce un pari impossible à tenir? |