M.
Salim Hoss peut se flatter, à juste raison, d’avoir réuni
autour de lui, pendant 24 heures, tout ce que le monde arabe compte de
princes et de ministres en fonction et d’avoir obtenu de cet exceptionnel
aréopage un discours unanime d’appui et de solidarité face
à Israël.
Cette manifestation d’harmonie, rare au sein de la Ligue arabe, le
Liban seul pouvait en être l’objet, parce qu’il est le seul pays
arabe à n’avoir pas de conflit avec aucun de ses partenaires, à
n’avoir rien à se reprocher en matière de “fraternité”
et qui continue seul à faire face militairement à Israël
infiniment plus puissant, auquel il est pourtant lié par des accords
d’armistice depuis plus de cinquante ans, Israël qui, depuis plus
de vingt ans, multiplie les agressions sans épargner ni les populations,
ni les infrastructures, pratique toutes espèces d’actes d’hostilité
et de terreur.
Le Liban est la victime de la démission et de l’incohérence
des pays arabes. C’est le moins qu’ils viennent maintenant lui apporter
une compensation morale assortie de promesses de secours financiers.
C’est fait sans trop de discussion, sans histoire. Il n’y a pas eu
de fausse note.
***
Tout cela est parfait. Mais, curieusement, cette réunion solennelle
et réussie du Conseil de la Ligue arabe, les discours qui l’ont
émaillée, les résolutions votées, l’harmonie
qui a marqué cette journée exceptionnelle, tout cela laisse
un sentiment de vide.
Ils sont venus. Ils sont partis. Et nous revoici seuls avec nos problèmes.
Et de nouveau se développent les spéculations sur les perspectives
de reprise des négociations de paix, sur les divers scenarii de
retrait de l’armée israélienne, sur les conséquences.
Sur tous ces sujets, les discours se répètent sans jamais
se renouveler. L’événement qualifié d’historique que
constituait la réunion de la Ligue à Beyrouth, ne laisse
aucune trace dans ces discours et dans ces spéculations. C’est comme
s’il n’avait pas existé.
Et pourtant, le Liban aura été, en cette circonstance,
le catalyseur d’une renaissance du monde arabe.
Ce n’était qu’une mise en scène? Une sorte de faire valoir?
On nous dira bientôt que derrière la façade, un
travail de coulisse se poursuit et se développe. Il est bien évident
que les pays arabes qui ont conclu déjà la paix ou des arrangements
commerciaux avec Israël n’entendent pas revenir en arrière.
Leurs gouvernements, singulièrement l’égyptien, sont donc
intéressés à trouver une issue pacifique au conflit
sur le Golan et sur le Liban-Sud. De son côté, la diplomatie
américaine, pressée par les échéances électorales,
est anxieuse de pouvoir clôturer le mandat de M. Clinton par une
cérémonie triomphale de signature de nouveaux traités
de paix, dont le couronnement pourrait être ultérieurement
un Prix Nobel de la paix. Quelle revanche pour le héros du feuilleton
Monica Lewinsky!
Tous les espoirs sont donc permis.
***
En attendant ces perspectives heureuses, voici tout de même quelques-uns
de nos problèmes.
La commission issue des “arrangements d’avril” continue de ne pas se
réunir. Et le Sud est tous les jours bombardé.
Les menaces d’un David Lévy ne sont pas retirées. Au
contraire, elles se répètent.
Le sort des miliciens de l’ALS demeure indéterminé.
Et si le Hezbollah laisse prévoir que son rôle militaire
prendra fin avec la libération du territoire, il n’entend pas offrir
une trêve à l’armée israélienne durant son retrait.
Pour prendre le relais militairement de la résistance libanaise,
on redécouvre maintenant les réfugiés palestiniens
des environs de Saïda et de Tyr, dont les dirigeants n’ont rien retenu
des leçons d’un proche passé. Ils continuent de s’armer et
prétendront demain “libérer” la Palestine de l’occupant sioniste,
sans considération aucune pour la reconnaissance de l’Etat d’Israël
par l’Autorité palestinienne de M. Arafat dont, d’ailleurs, ils
contestent la légitimité. Sans considération non plus
pour la souveraineté de l’Etat libanais sur son territoire et de
sa volonté de mettre ses populations à l’abri des représailles
israéliennes.
Si le Liban n’est pas lié par un traité de paix avec
Israël, il n’en demeure pas moins tenu par ces accords d’armistice
de 1949 qu’il continue d’invoquer et qui lui imposent de veiller à
la tranquillité sur ses frontières.
A tous ces problèmes, le Conseil de la Ligue arabe a-t-il apporté
une réponse? Pouvait-il en offrir au moins une esquisse?
Mais il ne faut pas demander la Lune.
La seule perspective, pour l’instant, se résume en ce constat:
le Liban bénéficie d’une solidarité arabe unanime
face à Israël. C’est, exactement, comme si nous recevions mandat
de continuer un combat militairement inégal au nom du monde arabe.
Nous y sommes sans doute condamnés parce que notre territoire est
l’objet d’une agression. Cependant, si l’on veut remonter à l’origine
des responsabilités, ce serait un débat sans issue.
Qui a perdu la Palestine? Qui a fait la guerre de 1967? Qui a poussé
les “fidayin” de M. Arafat à se constituer au Liban une base d’opération
entraînant la première et la seconde occupation du Liban-Sud
par Israël? Quel a été le rôle du Liban en tant
qu’Etat dans cette succession de conséquences?
Cet Etat a-t-il retrouvé un rôle actif de décision
à la faveur de cette réunion de solidarité de la Ligue
arabe à Beyrouth?
Dans quel sens?
Autant de questions qu’il faudrait pouvoir aborder sans esprit de polémique.
C’est, apparemment, impossible et c’est pourquoi on préfère
les occulter au profit d’un discours qu’on est assuré de voir unanimement
applaudi, parce qu’il s’en tient à des principes généraux
de droit abstrait. |
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