Mme
Albright, qui s’exprimait es-qualités, s’est livrée à
un exercice d’humilité sans précédent pour une grande
puissance. Son discours sur les responsabilités des Etats-Unis à
l’égard de l’Iran devrait faire date dans l’histoire des rapports
de forces en Orient, peut-être même dans l’histoire de l’humanité.
Certes, à Téhéran même, on garde une certaine
réserve vis-à-vis de ce brusque changement d’attitude des
Etats-Unis. On a des conditions et on veut des preuves concrètes
d’une nouvelle politique américaine qui dépasserait le cadre
du commerce des tapis et du caviar. Mais on ne saurait contester que cette
intervention publique de Mme Albright marque un tournant dans la diplomatie
de Washington. Il n’est pas commun d’entendre une grande puissance (la
première du monde) avouer ses fautes à l’égard d’un
pays de moindre poids et qui, jusqu’à peu, était encore un
territoire sous influence partagée entre l’Occident et l’Union soviétique,
en quelque sorte traité en pays colonisé depuis près
d’un siècle.
Il est vrai que nous sommes entrés dans l’ère de “la
repentance”. Quand la plus grande puissance spirituelle du monde, par la
voix de S.S. Jean-Paul II, distribue à droite et à gauche,
les excuses de l’Eglise catholique pour ses fautes passées, c’est
le moins qu’un Clinton prenne exemple.
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Mais il ne s’agit pas évidemment de la leçon donnée
au monde par le Pape aux puissances terrestres. Les Etats-Unis ont certainement
des motivations plus terre à terre pour chercher à gagner
la sympathie de l’Iran.
Un premier motif, on peut le trouver dans l’évolution des rapports
entre l’Iran et ses voisins de la presqu’île arabique, tous
proches des Etats-Unis. Malgré la querelle qui se perpétue
sur la possession de quelques îlots de l’Océan indien, les
principautés et les monarchies arabes du Golfe ont pris conscience
des intérêts qui les relient à l’Iran, ne serait-ce
que sur le plan pétrolier où, actuellement, un problème
se pose et qui intéresse au premier chef les Etats-Unis. On a besoin
de l’Iran pour résoudre ce problème de niveau de production
et de prix.
Un autre motif pour Washington de prendre langue avec l’Iran, réside
dans cette recherche anxieuse des conditions de la paix entre Israël
et la Syrie. Le rôle que joue l’Iran et son influence dans ce contexte
sont évidents. Tout se passe, désormais, comme si la diplomatie
américaine avait décidé de prendre en compte cette
influence pour élargir le champ de la pacification à tout
l’Orient, proche et moyen. Israël lui-même est directement concerné
par le rôle de l’Iran où il redoute le développement
d’une industrie atomique militaire. Pour réussir cette opération
par laquelle il veut couronner la fin de son mandat, M. Clinton ne dispose
plus de beaucoup de temps: une centaine de jours.
C’est peu pour amener Téhéran à se joindre au
processus et Washington à ne plus lancer des accusations de terrorisme.
En tout cas, c’est l’occasion de mesurer à quel point, dans
l’évolution de la situation dans cette région, c’est le panislamisme
qui a pris le relais du panarabisme d’antan. Et cela, grâce non seulement
à la révolution de l’Imam Khomeyni, mais aussi, grâce
à Israël lui-même, dont l’évolution interne est
marquée de plus en plus par l’influence, au détriment d’un
sionisme jadis laïc et socialiste, par les partis religieux.
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C’est un phénomène d’action et de réaction qui
remonte loin. L’émergence du mouvement sioniste revendiquant un
“foyer” en Palestine a correspondu au déclenchement de la révolte
arabe contre l’Empire ottoman, dans les deux cas, le nationalisme arabe
et le sionisme se développaient sous l’égide et avec les
encouragements de la Grande-Bretagne durant la guerre mondiale 14-18. Tous
les deux laïcs: le sionisme l’était avec un arrière-plan
religieux par référence à Jérusalem; mais le
nationalisme arabe l’était davantage puisqu’il s’agissait d’une
révolte contre un empire siège du Califat. Depuis, ces deux
mouvements se sont trouvés naturellement en opposition et en conflit
ouvert avec une Grande-Bretagne balançant entre ses deux protégés
qui l’accuseront, à tour de rôle, de les trahir.
Le premier terrorisme organisé ne le fut-il pas par les sionistes
contre la présence britannique en Palestine?
Ni M. Tony Blair, ni M. Menahim Begin et ses acolytes, ne songeraient
aujourd’hui à accomplir des actes de repentance. Et même,
si M. Clinton, dont le pays a pris le relais de la Grande-Bretagne dans
cette région, s’avisait de s’excuser auprès de l’Egypte,
par exemple, pour la faute initiale de Washington dans son évaluation
du haut barrage d’Assouan, d’où a résulté une série
de crises et de guerres régionales, comme Mme Albright vient de
le faire au sujet de Mossadegh et puis, de la guerre irako-iranienne, à
quoi cela servirait-il? L’Egypte n’en est plus à ses anciennes rancœurs
et le président Hosni Moubarak a, désormais, l’oreille de
M. Clinton.
Des excuses aux Arabes, ne feraient que dresser contre lui, à
la veille des élections présidentielles et au siège
sénatorial auquel aspire Mme Clinton à New York, toute la
puissance de la communauté juive de cette ville.
Il n’a vraiment pas besoin de cela et les Arabes ne lui demandent rien.
Ils l’ont accepté comme une fatalité de l’Histoire. |
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