M.
Clinton l’a dit lors de sa réunion, à Genève, avec
M. Hafez Assad: il faut aider M. Barak. Il ne s’agit plus de signer une
paix conforme aux principes de Madrid, mais du sauvetage de M. Barak.
Est-ce que cela revient au même? Est-ce que le sauvetage de l’un
conduit nécessairement à l’autre objectif? Ou l’inverse?
Rien n’est moins sûr.
***
Or, quel est le problème de M. Barak? La fragilité de
sa situation politique interne. En qualité de chef du Parti travailliste,
il réussissait déjà mal à s’imposer. Plutôt
que de s’appuyer sur la fraction libérale lors de la formation de
son gouvernement, il a préféré composer une large
coalition, dont il espérait une sorte de “catharsis”, selon sa propre
expression, pour dissiper les divergences sur le processus de paix. Le
résultat, on le constate maintenant: au lieu de faire naître
chez tous ses partenaires une tendance favorable à la paix, une
“culture de la paix”, ses tergiversations n’ont fait que développer
les tiraillements au sein de son gouvernement et dans l’opinion israélienne.
Il ne se sent plus en situation d’accepter les concessions sans lesquelles
la paix est impossible. Aussi bien avec les Syriens qu’avec les Palestiniens.
Tout se passe, désormais, comme s’il cherchait à isoler la
Syrie en pariant sur un changement de régime à Damas. Il
joue avec le feu.
On le voit, dès lors, se rabattre sur une stratégie qui
donne la priorité à la notion de sécurité,
plutôt qu’aux conditions de la paix qui suppose des relations de
confiance avec ses voisins et non pas de perpétuelle surveillance.
C’est un retour à cette politique traditionnelle qui fait d’Israël
une forteresse assiégée, un véritable ghetto. En dépit
de tous les témoignages de bonne volonté qui lui ont été
apportés par l’ensemble du monde arabe depuis la conférence
de Madrid, l’opinion israélienne n’a pas encore saisi (et on ne
l’aide pas dans ce sens) à quel point la stratégie de la
paix est devenue pour tous les Etats arabes, la seule voie acceptée,
à la seule condition que le plan convenu à Madrid soit respecté.
On va répétant au peuple d’Israël qu’il possède
la plus puissante force militaire du Proche-Orient et, en même temps,
on lui fait peur à l’idée de céder quelques kilomètres
carrés ou de renoncer à la confiscation des terres palestiniennes
pour construire des colonies de peuplement.
M. Barak a échoué. Sa “catharsis” ne s’est pas produite.
C’est lui qui fait le jeu de ses propres adversaires. Il n’y a qu’à
entendre les discours guerriers de son ministre des Affaires étrangères,
M. David Lévy, ou de son ministre de la Défense pendant que
M. Ariel Sharon se frotte les mains dans la coulisse. Ils n’ont à
la bouche que les mots de représailles et de sécurité
pour Israël. En définitive, M. Barak n’a pas cherché
à faire la paix, mais à être plus malin que son prédécesseur
pour atteindre les mêmes objectifs.
C’est pourquoi, M. Clinton n’a rien eu d’autre à proposer à
son interlocuteur syrien que de consentir des concessions pour consolider
la position de M. Barak. Apparemment, il ne se soucie guère de la
position du président syrien lui-même vis-à-vis de
son peuple. C’est qu’aux yeux du président américain, il
n’y a pas d’opinion publique arabe; il n’y a que des chefs d’Etat qui détiennent
tous les pouvoirs. Si tel est le cas, on se trouve devant une analyse bien
superficielle d’où peuvent résulter de dramatiques erreurs.
C’est à partir du même sentiment que le Premier ministre
français, M. Jospin, s’est complu à faire l’éloge
de la démocratie israélienne comme pour la comparer aux autres
régimes des pays du Proche-Orient.
***
Il s’agirait, maintenant, de sauver réellement ce qui devrait
pouvoir encore être sauvé: la paix, avec du même coup
M. Barak lui-même, s’il trouve le courage de faire face aux intrigues
de ses adversaires, lui qui se flatte d’être “le général
le plus décoré d’Israël”.
Mais il y a, par dessus tout ce monde, le “parrain”: M. Clinton. Qu’est-il
censé faire? Quelle est sa vision de son rôle, du rôle
des Etats-Unis, de leurs responsabilités vis-à-vis d’un monde
arabe toujours frustré et souvent trahi, vis-à-vis de leurs
propres alliés (Syriens, Egyptiens, Séoudites, etc...) qu’ils
ont embarqués, contre une promesse de justice en Palestine, dans
une guerre contre l’Irak qui n’en finit pas de décimer la population
de ce pays?
De telles questions sont destinées à demeurer sans réponse.
Elles donnent, en tout cas, la mesure de la confiance qu’on a mise dans
cette Amérique-là et des incroyables inconséquences
de sa direction politique laquelle, à l’instar de celle d’Israël,
paraît dominée par les services de sécurité,
les stratèges militaires et leurs priorités. |
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