QUE VAUT L’UNIVERSALITÉ D’UN CRIME?
“Qui parle encore aujourd’hui de l’extermination des Arméniens”,
déclarait Hitler quand, en 1939, il donnait l’ordre à ses
unités de se rendre sur le front polonais pour tuer sans pitié
hommes, femmes et enfants...?
Que vaut l’universalité d’un crime contre l’Humanité,
quand cette Humanité est réduite au cas d’un peuple?
Cette réduction comporte en elle-même sa propre contradiction:
elle est la négation indirecte des autres génocides. Et se
trouve perdue ainsi la charge d’universalité.
Tout génocide est une preuve indicible, le génocide du
Rwanda, du Kosovo, comme celui des Arméniens.
Et parce qu’il est indicible, sa tentative d’explication reste délicate
et ne souffre pas l’erreur.
Quel Arménien aujourd’hui confronté à la violence
de l’épuration ethnique qui sévit dans plusieurs points du
globe, n’est pas renvoyé à sa propre Histoire?
Comment peut-il faire pour ne pas porter son regard au-delà
des images d’horreur qui crèvent tous les écrans des télévisions
et font la manchette des médias internationaux?
Comment peut-il faire pour ne pas écouter ces témoignages
d’exactions... Des mots qu’il a déjà entendus...?
AVRIL, MOIS DE LA MÉMOIRE
Ce mois d’avril qui hésite entre hiver et printemps, restera
à jamais pour chaque Arménien où qu’il se trouve,
le mois de la Mémoire.
85 ans se sont écoulés et pourtant les fils des rescapés
du Génocide sont encore là pour témoigner des récits
de leurs pères...
Qui oserait leur demander, l’oubli et le pardon?
Marqué au fer rouge de l’injustice et de la douleur, ce drame
a donné à tout un chacun la rage de vivre pour exorciser
sa douleur.
La Diaspora au seuil de ce troisième millénaire est rivée
au génocide et le recul du temps devrait lui permettre de mesurer
la portée universelle de l’un, comme l’actualité nous le
montre, des idées dangereuses, telle l’idée terrifiante de
purification ethnique acceptée aujourd’hui, ici ou là, comme
un moindre mal ou encore le mirage absurde d’une nation rêvant d’être
entièrement homogène par sa race, par sa religion ou par
son idéologie.
Le génocide assassine les peuples dans leur corps, mais l’ethnocide
des Etats-nations qui ont une vision négative de “l’autre”, les
assassine dans leur esprit et leur mémoire.
Aujourd’hui, certaines confrontations majeures relèvent d’une
dette de justice envers les victimes et leurs descendants des génocides
du XXème siècle.
S’acquitter de cette dette implique, paradoxalement, de penser l’impensable,
représenter l’irreprésentable, punir l’impunissable.
La nécessité de la reconnaissance et les problèmes
ontologiques, liés à l’essence de l’homme, des descendants
de victimes de génocides non reconnus, rwandais ou bosniaque, arménien
ou cambodgien, pèsent aujourd’hui sur l’avenir d’une humanité
atteinte dans son essence même.
ON A VOLÉ LA VIE À UN MILLION
ET DEMI DE PERSONNES MAIS ON NE LEUR VOLERA PAS LEUR MORT
La commémoration du 85ème anniversaire des martyrs arméniens
pose toujours avec la même acuité le problème de la
justice et de la réflexion.
Il s’agit aujourd’hui de redonner tout son sens à cette date.
Le souvenir, loin de s’estomper, resurgit comme à la faveur d’un
étonnant problème de rétroactivité.
L’épuisement, l’horreur auront eu raison d’un million et demi
d’hommes, de femmes et d’enfants...
Mais nous nous dispenserons de formules de deuil.
Notre survivance et notre existence ne sont-elles pas un flagrant démenti
à la mort programmée?
Il faut entreprendre un travail de mémoire,
un travail nécessaire mené dans la conscience et surtout
en fonction des ouvertures qu’il peut apporter. Témoigner, fouiller
le passé sont autant de gestes indispensables à la Mémoire,
racine de notre pensée présente.
C’est pourquoi, chaque Arménien où qu’il se trouve, mû
par la volonté de justice, a le devoir de préserver la vérité
et si elle est altérée, de la restituer.
Evoquer avec respect les victimes de cette tragédie, réduire
la distance qui les en sépare et parler d’eux comme s’ils étaient
encore tombés hier...
Dr NAZIM BEY: “DÉBARRASSER LA PATRIE
DE LA CONVOITISE DE CETTE RACE MAUDITE”
Le général Abdullahad Nouri, sous-directeur général
des déportés à Alep, répondant à Nazim
Bey qui lui demandait de ralentir l’envoi des déportés, “car
la mort menaçait toute la Mésopotamie” s’est vu répondre
par celui-ci: “De cette façon, nous exterminerons à la fois
deux éléments dangereux. Ceux qui crèvent avec les
Arméniens ne sont-ils pas des Arabes...? Ils nivellent le chemin
du turquisme...”
Au seuil d’un XXIème siècle, les grandes puissances ne
veulent pas encore croire à ces faits accablants.
Ils ne veulent pas lire tous ces documents de sources américaines,
britanniques, françaises ou allemandes qui corroborent ces faits.
La liquidation organisée des populations arméniennes d’Anatolie
à la faveur d’une déportation générale est
patente. Cela s’appelle un génocide. Les grandes puissances tergiversent,
calculent les intérêts en jeu...
Comment des démocraties, peuvent-elles encore occulter ce crime
qui reste le plus terrible de l’Histoire des civilisations?
Ces plaies indescriptibles ont marqué tout ce siècle
et ne peuvent pas se cicatriser. Surtout que rien n’a été
entrepris pour la prévention des comportements génocidaires.
Les Arméniens disséminés un peu partout dans le monde
se souviennent...
Citoyens à part entière de leur terre d’accueil, exemple
d’intégration, ils sont aussi restés fidèles à
leurs origines, à leurs traditions, à leur Histoire et, en
particulier, à leur devoir de mémoire envers le Génocide.
Tous réclament que justice soit faite.
Nombre d’entre nous sont les héritiers des rescapés de
Cilicie, des enfants de Marache, de Sassoun, de Van, d’Adana, d’Erzouroum,
d’Ourfa...
Comment situer encore les massacres de Sumgaït en 1988, sous la
direction du Front populaire d’Azerbaïdjan, téléguidés
par un Etat qui, jusqu’à présent, a joui de l’impunité
de tous?
La Turquie, affirment les grands de ce monde, est une grande nation!
Qu’elle le prouve et ses amis, aussi.
Une grande Nation reconnaît son passé. Elle ne le falsifie
pas!
L’avènement de l’indépendance de l’Arménie, le
conflit du Karabagh semblaient, pensait-on, avoir quelque peu atténué
la permanence brûlante de la Cause arménienne. Qu’on s’en
détrompe!
Car celle-ci demeure.