Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
LES JEUNES, CES INCONNUS
Revenir sur les incidents qui ont récemment opposé les étudiants aux forces de l’ordre, serait aussi inconscient que dangereux, puisque cela risque d’entraîner des affrontements aux conséquences imprévisibles.
Notre propos aujourd’hui est d’essayer - dans une mesure bien modeste - de cerner un peu ces personnages qui ne craignent pas - contrairement à nous - de crier leur ras-le-bol et leur colère.
On les dit “sales” avec leurs cheveux qui tombent en désordre sur leurs épaules, leurs T-Shirts douteux qui pendent sur leurs jeans déchirés aux genoux, leurs baskets informes et leurs boucles d’oreilles. On les dit malsains, puisqu’ils prônent la liberté sexuelle et que certains sont amateurs de drogue. On les dit paresseux, puisqu’ils passent leur temps à manifester dans les rues. On les dit travaillés par la subversion et même agents - consciemment ou inconsciemment - de l’ennemi sioniste. On les qualifie de voyous sans foi ni loi.
Qui sont donc ces moins de 22 ans, sur lesquels se lèvent les matraques et contre lesquels s’élèvent les clameurs des gens en place? Sont-ils vraiment cet amalgame de violence et de crasse, de trahison et d’inconscience, ces nihilistes qu’on ne prend pas de gants pour clouer au pilori?
J’ai assisté, dernièrement, à une discussion entre l’un de ces “énergumènes” et un monsieur d’un certain âge, net, propre, amidonné, rasé de près et indigné.
- En somme, disait monsieur - amidon, ce que vous voulez c’est faire sauter la baraque et au diable le pays! C’est ça, hein?
- Non, pas au diable le pays. Au diable ces structures de m... qui ont fait faillite. Ce sont ces structures pourries que nous voulons faire sauter. C’est le mode de recrutement de notre direction politique et de nos cadres que nous voulons changer. Ce pays est à nous. Ce que nous rejetons, c’est le confessionnalisme sous toutes ses formes, le féodalisme, les zones d’influence, les priorités héréditaires, l’aplatissement devant les décideurs...
- Soit. Mais le pays traverse à l’heure actuelle des circonstances difficiles et des échéances dangereuses. Croyez-vous que c’est bien le moment d’envahir les rues pour manifester contre ceci ou cela?
- Et pourquoi pas? C’est toujours le moment. C’était déjà le moment, il y a un demi-siècle quand le Liban de l’indépendance se construisait sur le mensonge et la duperie. Nous sommes en retard de plus de 50 ans sur notre rendez-vous avec l’Histoire. Mais un retard peut se rattraper. Il y a toujours des trains en partance. Ce que nous voulons, c’est prendre le train qui part aujourd’hui. Il faut bien que quelqu’un finisse, un jour, par donner le signal de départ.
- Et pourquoi, tant que vous y êtes, ne prendriez-vous pas le pouvoir dès maintenant?
- Ce pouvoir que détient, actuellement, votre génération n’est pas encore à notre portée, ni dans nos cordes. Notre action ne tend pas à opérer un coup d’Etat. C’est une prise de conscience. Nous voulons poser des questions à ce pouvoir et à la génération qui le détient. Nous n’espérons pas obtenir de réponses, mais nous tentons de faire en sorte que ces questions demeurent posées...
- Et vous pensez y arriver en vous livrant à des affrontements stupides et à des sit-in ridicules? Mais ouvrez donc les yeux.
- Nous les avons ouverts, nos yeux. Grâce à vous, nous les avons ouverts sur des horizons bouchés où des aveugles essayent de vendre à d’autres aveugles des recettes contre la cécité.
- La cécité, hein? Et lorsque vous vous adonnez à la drogue jusqu’à ce que mort s’ensuive et lorsque vous vous cassez la figue au volant d’une voiture transformée en bolide, bêtement, gratuitement, d’une façon insensée, comment appelez-vous ça?
Et le jeune “chevelu”, à l’oreille percée:
- Ça monsieur, c’est l’appel du vide... 

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