L’ancien
ministre français des Affaires étrangères, M. Hervé
de Charette, à qui nous devons les fameux “arrangements d’avril”,
vient de passer quelques jours à Beyrouth où, en habile diplomate,
il a trouvé les mots les moins compromettants pour commenter la
situation actuelle au Liban-Sud. En fait, il n’a rien dit qui mérite
de retenir l’attention, si ce n’est cette petite phrase: “C’est au Liban
d’assurer la sécurité de son territoire et de décider
s’il a besoin d’y être aidé”.
Cette réflexion d’une parfaite banalité dès lors
qu’elle ne dit que l’évidence, apporte pourtant une réponse
lumineuse au problème dans lequel le gouvernement libanais donne
l’impression de patauger. Face à la perspective de l’évacuation
du Liban-Sud par l’armée israélienne, trop de discours, de
ridicules, rodomontades et de surenchères n’ont fait jusqu’ici que
masquer cette évidence que M. de Charette a opportunément
remise sous nos yeux: la décision nous appartient par droit d’Etat
souverain.
***
De quoi s’agit-il?
Tant que l’occupation d’une partie du territoire libanais se prolonge,
la résistance armée à cette occupation se justifie,
le gouvernement libanais est à l’aise pour l’approuver - et elle
trouve un large soutien moral, ici et même à l’étranger.
Une fois que cette occupation aura cessé entièrement
- et si effectivement elle cesse - les organisations de la résistance
armée sont logiquement appelées à se recycler dans
des activités pacifiques. Ce n’est pas impossible et, dans l’une
de ses déclarations, leur chef l’a déjà fait entrevoir.
Les vrais problèmes sont ailleurs: c’est, d’abord, celui des
populations du Liban-Sud auxquelles l’Etat est censé assurer une
protection contre les actions de représailles et de vengeance et
des désordres qui pourraient s’en suivre. Ce problème est
un problème de politique intérieure qui relève de
la seule responsabilité du gouvernement libanais. Il dispose de
forces armées suffisantes et bien encadrées pour y faire
face. Le maintien de l’ordre dans ce qu’on appellera “l’ancienne bande
de sécurité” est une priorité et le précédent
de Jezzine a déjà prouvé qu’il n’est pas hors de portée.
Il reste, ensuite, le cas des camps de réfugiés palestiniens
que le président de la République a soulevé dans sa
réponse au secrétaire général de l’ONU. Ce
problème est complexe et sa solution ne relève pas de la
seule compétence de l’Etat libanais.
Les réfugiés bénéficient, aux termes d’une
résolution de l’ONU, d’un “droit au retour”. Pour soutenir ce droit
qu’Israël ne veut pas leur reconnaître, ils sont armés
et, pendant longtemps, ils ont prétendu pouvoir libérer la
Palestine à partir du Liban. Leur concentration ici a été
favorisée par la politique des grandes puissances, singulièrement
à partir du fameux “Septembre noir”, de Jordanie en 1970. L’Etat
libanais, par les “accords du Caire” avait été déjà
forcé de s’impliquer dans cette politique que couvraient plusieurs
pays arabes. La guerre civile au Liban en avait été la conséquence
à partir de 1975, ainsi que l’occupation israélienne en 1978,
suivie de l’invasion de 1982. Aujourd’hui, les positions ont changé:
Arafat, qui est censé représenter ces réfugiés
et qui les menait au combat dans les années 70 et 80, négocie
maintenant avec Israël et, tout en réclamant pour eux le “droit
au retour”, a pratiquement désarmé. Il n’a pas, pour autant,
incité ses partisans au Liban, à suivre son exemple.
L’Egypte a fait la paix avec Israël et la Syrie ne demande pas
autre chose.
Par le truchement de ces réfugiés, le Liban demeure,
ainsi seul en première ligne face à Israël.
Qui peut empêcher les réfugiés des camps du Liban
d’employer leurs armes pour soutenir une nouvelle revendication de “libération
de la Palestine”?
Et de nous attirer de nouvelles agressions?
Dans son message à M. Kofi Annan, le président Lahoud
semble dire que ce sont les Nations Unies qui sont censées apporter
la réponse. En principe, cela est exact. En pratique, l’ONU ne peut
rien, c’est M. Arafat qui détient les clés.
***
M. de Charette nous a placés devant notre propre responsabilité
d’Etat souverain: la sécurité du territoire libanais relève
de la seule autorité des pouvoirs libanais. Qu’est-ce que cela signifie
pour nous résumer?
Que si le gouvernement libanais veut éviter une confrontation
armée avec Israël, une fois le Sud évacué, il
lui faut d’abord s’assurer du recyclage des résistants dans une
activité pacifique, maintenir l’ordre dans ce qu’on appellera l’ancienne
bande de sécurité, enfin contenir les velléités
aventurières des réfugiés palestiniens et, pour cela,
obtenir de M. Arafat d’être conséquent avec lui-même,
en ouvrant les camps de réfugiés aux forces de l’Etat libanais
pour y ramasser les armes et y assurer le règne de la loi.
Sommes-nous en situation de négocier et de nous entendre avec
M. Arafat? Et dans quelle mesure son autorité s’exerce-t-elle réellement
sur les camps?
En définitive, le problème n’est plus de donner à
Israël des garanties pour la sécurité de ses frontières
comme on le ressasse sans arrêt, mais d’assurer l’ordre sur notre
propre territoire dont nous sommes comptables envers nous-mêmes d’abord.
C’est, apparemment, ce qu’a voulu nous dire sous forme de truisme cet
ami du Liban: M. de Charette. |
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