Aujourd’hui, une nouvelle page commence pour le Sud et la nation, plaçant
le pays et ses dirigeants face à leurs responsabilités et
de multiples défis. Le premier de ces défis étant
de ramener le Sud dans le giron de la légalité, d’y déployer
l’armée et les forces de sécurité intérieure
aux côtés de la FINUL pour éviter toute mainmise milicienne,
tout abus, tout dérapage. Certaines exactions (pillages, vols
de voitures, perquisitions, fanfaronnades armées...) ont déjà
été commises; il faut y mettre un terme, au plus vite. La
population aspire, d’ailleurs, à retourner pleinement dans le giron
de la légalité et l’a exprimé tout haut. Le second
défi est celui de la relève et de la reconstruction de tout
un secteur abandonné à lui-même depuis des décennies.
Il faut espérer que les frères arabes et la communauté
internationale apporteront leur contribution efficace à la reconstruction
d’une région qui a assumé si longtemps et pour tous le poids
du conflit israélo-arabe. Avec le Sud libéré, le Liban
a surtout un grand pari à gagner sur l’avenir. En occupant la zone
frontalière, Israël n’a absolument rien obtenu, n’a pu atteindre
ses objectifs et a connu, par contre, sa première défaite
depuis 1949. L’occupation israélienne aura, par contre, servi à
souder le peuple libanais et à sceller l’unité nationale.
Le pari du Liban sur l’avenir sera de consolider cette unité, de
l’édifier sur des bases solides et de s’acheminer vers sa pleine
indépendance et souveraineté nationale.
Amal et le Hezbollah se partagent la mainmise sur les régions libérées. |
Lahoud: Rassurer et soutenir les habitants. |
ÉPILOGUE AMER POUR L’ALS
Tout s’est déroulé en un temps record, comme dans un
rêve, bien plus vite que n’importe qui aurait pu le croire ou l’imaginer.
Le Sud est libre et, à l’aube du mercredi 24 mai 2000, le dernier
soldat israélien quittait le territoire libanais. La nouvelle s’est
répandue comme une traînée de poudre dans le pays et
à travers les médias internationaux, dont elle a fait la
une, mercredi matin. A Beyrouth, le “Hezbollah” réservait au même
moment, à trois heures du matin, un accueil délirant aux
prisonniers libérés de Khyam et le secrétaire général
du parti, cheikh Hassan Nasrallah, exprimait la joie de la victoire en
affirmant: “La résistance islamique a changé l’équation
et, depuis 1982, l’initiative est entre nos mains. Le temps des défaites
pour les Arabes est révolu”. Il faut reconnaître que le retrait
israélien du Sud, de la manière dont il s’est effectué,
est considéré comme la première victoire sur Israël
au cours de cinquante années de conflit israélo-arabe. Une
des pages de la guerre au Proche-Orient vient d’être tournée.
L’épilogue en est, sans doute, plutôt douloureux pour Israël,
qui n’a tiré aucun profit de ses vingt-deux ans d’occupation du
Sud et dont la seule consolation est de pouvoir, enfin, mettre ses soldats
à l’abri des attaques intégristes.
Epilogue amer pour l’Armée du Liban-Sud qui s’est trouvée
seule et désemparée. Epilogue glorieux pour le “Hezbollah”
qui, en un temps éclair, a su occuper toutes les positions évacuées
par “Tsahal” et sa milice auxiliaire pour se retrouver aux portes d’Israël.
Les Sudistes affluent vers leurs villages avant même d’attendre la fin de l’évacuation... |
...Et des centaines d’autres cherchent refuge en Israël. |
QUE VA-T-IL SE PASSER?
Mais il faut savoir, aussi, que le retrait final de “Tsahal” du Liban-Sud
a pris tout le monde de court et les milieux politiques, diplomatiques
autant que médiatiques s’interrogent: Que va-t-il se passer? Les
différents commentaires relèvent que l’évacuation
du Liban-Sud a créé une nouvelle donne, une redistribution
du rapport des forces dans la région. Le politologue libanais, Ghassan
Salamé, spécialiste des questions du Proche-Orient, affirme:
“Cette défaite israélienne implique un réajustement
de la stratégie des différents acteurs, y compris la Syrie.
Les Syriens n’ont pas cru à ce retrait et ont tenté de limiter
les dommages sur eux. Mais pour l’essentiel, il ne faut pas se leurrer:
c’est la première fois que, face à un mouvement populaire,
certes soutenu par des pays comme l’Iran et la Syrie, Israël est obligé
de se retirer d’un territoire arabe occupé”.
Dans la Presse allemande, on peut lire ce commentaire: “Israël
s’en va, le conflit reste. Le peuple jubile après l’évacuation
du Liban-Sud, le “Hezbollah” est au zénith de sa popularité,
mais les différents mouvements chiites vont maintenant se disputer
le pouvoir au besoin avec les armes. L’euphorie de la victoire occulte
le fait que beaucoup de querelles religieuses persistent au Liban”.
Quant au “Figaro”, il fait ce commentaire: “Au Proche-Orient, la stabilité
des compromis est précaire. Il suffit du retrait d’une seule planche
pour que tout l’échafaudage s’écroule”.
Dans ce contexte, évidemment, tous les regards sont tournés
vers l’ONU. Dès le lundi 22 mai et sous la pression des événements,
le Conseil de Sécurité avait déjà pris connaissance
du rapport préparé par le secrétaire général,
M. Kofi Annan concernant les modalités d’application des résolutions
425 et 426. Le mardi 23 mai, les quinze membres du Conseil de Sécurité
de l’ONU tenaient leur réunion consacrée à la situation
entre le Liban et Israël. Ils souscrivaient pleinement au rapport
de M. Annan et des conditions posées pour un renforcement des effectifs
de la FINUL les portant de 4.513 membres, actuellement, à 7.935.
Seuls quelques mètres et des fils barbelés séparent désormais les Israéliens et les résistants. |
Amal et le Hezbollah se partagent la mainmise sur les régions libérées. |
LES FERMES DE CHÉBAA
Le Conseil de Sécurité, a donc appelé “les Etats
et les autres parties concernés à faire preuve de retenue
et à coopérer pleinement” avec les Nations Unies. M. Annan
dépêchait, aussitôt, à Beyrouth le mercredi 24
mai, son envoyé spécial pour le Proche-Orient, M. Terjé
Roed-Larsen, qui précisait sa mission en ces termes: “Nous devons
nous occuper, immédiatement, de la confirmation du retrait. Ce sera
une des principales tâches de l’équipe qui m’accompagne dans
cette mission. Il s’agit de voir si le retrait israélien est conforme
à la résolution 425 et ensuite d’aider le gouvernement libanais
à restaurer son autorité”. Mais en dépit de la mission
du Norvégien Larsen, le sentiment qui prévalait au moment
du départ du dernier soldat israélien du Liban-Sud, est que
les Nations Unies, elles aussi, ont été prises de court.
Et le quotidien italien “Le Corriere delle Serra”, exprime ce sentiment
en écrivant: “L’ONU, pris à l’improviste”. “Personne, dit-il,
n’avait exclu que le retrait puisse avoir lieu avant la date prévue,
mais au lieu de se préparer, le gouvernement et l’ONU ont réagi
comme d’habitude par des appels sans efficacité et une diplomatie
trop lente”.
Dans “Le Figaro”, on peut lire de même: “La France cherche un
rôle au Liban, mais elle est partagée entre son désir
d’aider le Liban et la crainte de s’enfoncer dans un bourbier”.
Ce commentaire est confirmé par une déclaration de M.
Alain Richard, ministre français de la Défense, qui s’est
exprimé en ces termes sur la participation de la France à
un éventuel renforcement de la FINUL: “Si la France devait décider
une telle participation, ce serait, forcément, une mission dangereuse
à deux degrés: pour les hommes de cette force qui peut être
prise à partie par des gens extrêmement violents en plusieurs
endroits et pour la communauté internationale qui serait discréditée,
si cette force ne parvenait pas à faire avancer le processus de
paix dans la région”.
Par ailleurs, concernant les hameaux de Chébaa, le Liban n’a
pas manqué d’exprimer son mécontentement vis-à-vis
de la position adoptée par M. Kofi Annan dans son rapport où
il affirme que ces fermes relèvent de la 242. Dans une déclaration,
le Premier ministre, Salim Hoss exprime l’intransigeance libanaise concernant
Chébaa, tout en affirmant la volonté de coopérer avec
l’ONU. Mais les hameaux de Chébaa peuvent constituer un nouveau
détonateur dans la région, dans la mesure où le “Hezbollah”
s’obstine à vouloir poursuivre la résistance jusqu’à
la récupération de cette partie du territoire libanais. Le
“parti de Dieu” menace, aussi, de poursuivre la résistance tant
qu’il y aura un seul détenu libanais dans les prisons israéliennes.
Larsen: Pour de nouvelles modalités
de déploiement de la FINUL.
OPÉRATION-SURPRISE
Prévu, en principe, pour le 7 juillet, le retrait israélien
de la zone de sécurité du Liban-Sud s’est déroulé
avec quarante jours d’avance, en un temps record (moins de 72 heures),
dans un climat de débâcle et de débandade totale pour
“Tsahal” et pour l’ALS. Il est certain que, ni le Premier ministre israélien,
Ehud Barak, ni l’état-major de son armée, ni le général
Antoine Lahd et les hauts cadres de l’Armée du Liban-Sud n’ont pu
imaginer un seul instant que l’évacuation des 850 km2 de territoire
libanais occupés par Israël depuis vingt-deux ans et dénommés
“zone de sécurité”, se ferait dans une telle confusion. Tout
commence, en fait, par des informations contradictoires émanant
de l’Etat hébreu. M. Barak demande à l’armée de se
préparer à un retrait du Liban le premier juin. L’information
est, aussitôt, démentie par le ministre de la Défense
qui affirmait: “Il n’existe aucun plan pour un retrait le 1er juin”. Ces
informations contradictoires pouvaient révéler l’existence
d’un désaccord entre les dirigeants israéliens ou bien être
le fruit d’un plan tactique visant à prendre le Liban, la Syrie,
l’ONU et les différentes parties au grand dépourvu pour provoquer
une situation ambiguë et complexe sur le terrain. Ce n’est, toutefois,
pas l’avis du commentateur du quotidien français “Le Monde” qui
attribue ce retrait précipité et rapide à la désintégration
de l’ALS et sa débâcle. Reste à savoir qui en est responsable?
Mais quoi qu’il en soit, si les parties locales, régionales et internationales
ont été prises au dépourvu par ce retrait-surprise,
le “Hezbollah”, lui, a su fort bien tirer très rapidement profit
de la situation, combler sur-le-champ le vide, mettant tout le monde devant
un nouveau fait accompli. C’est le “parti de Dieu” qui a pris finalement
les autres au dépourvu.
LE FILM DES ÉVÉNEMENTS
Du dimanche 21 mai jusqu’à l’aube du mercredi 24 mai, les villages,
localités et villes du Sud frontalier ont, successivement, retrouvé
leur liberté. Les chaînes de télévision locales,
arabes et internationales ont retransmis au monde entier les heures historiques
de ce retrait de “Tsahal” et de la désintégration de l’ALS,
alors que dans une atmosphère de véritable liesse populaire,
les Sudistes retrouvaient leur terre et leur foyer. Tout a commencé
dimanche, comme par miracle. Encouragés par le “Hezbollah”, des
centaines de Libanais avaient regagné à pied ou en voiture,
dans une ambiance de fête, cinq villages du secteur central de la
zone occupée évacués par l’ALS. Le signal du retour
venait d’être donné; le mouvement fait boule de neige. Dans
la journée du lundi 22 mai, les unités à majorité
chiite de l’ALS, abandonnent leurs positions dans une quinzaine de villages
du secteur central. Leurs effectifs se rendent au “Hezbollah”, au mouvement
“Amal” ou à l’armée libanaise, pendant que les intégristes
investissent les lieux et se retrouvent, en quelque sorte, à la
frontière d’Israël. Pour dissuader la population qui, faisant
fi de tout danger ou crainte, avançait vers les villages évacués
et pour contrer la progression du “parti de Dieu”, “Tsahal” ouvre le feu,
faisant cinq tués parmi les civils et trente-et-un blessés.
Mais, le mouvement est en marche. Plus rien ne l’arrêtera. A l’issue
de cette journée mouvementée, la bande frontalière
paraît coupée en deux. Une quinzaine de villages, à
majorité chiite, échappent désormais, au contrôle
de “Tsahal” et de l’ALS mais, de part et d’autre de cette zone, l’armée
israélienne maintient son emprise dans deux secteurs à dominante
chrétienne et druze. L’Etat hébreu réalise, sans doute,
que le mouvement est, désormais, irréversible et le Cabinet
de sécurité de la Knesset habilite Ehud Barak à accélérer
le retrait des forces israéliennes du Sud. A l’ONU, on prend conscience,
aussi, de l’urgence de l’opération et M. Kofi Annan, secrétaire
général de l’Organisation, présente au Conseil de
Sécurité son rapport concernant les conditions du retrait
israélien du Liban-Sud et les modalités d’application des
résolutions 425 et 426.
JOURNÉE DÉCISIVE ET HISTORIQUE
La journée du mardi 23 mai sera décisive et historique.
Tout se passe très vite. L’évacuation se poursuit et s’achève
dans la confusion la plus totale. Les uns après les autres, les
villages et bourgs de l’ancienne “zone de sécurité” sont
évacués par “Tsahal” et par l’ALS qui se désintègre.
Encadrée par les intégristes, indifférente aux
raids effectués par Israël pour couvrir son retrait, la population
déferle vers les localités abandonnées par l’occupant
dans une atmosphère de fête et d’euphorie, retenant mal son
émotion. On croirait assister à un film surréaliste
tourné à grande vitesse tant les événements
se précipitent. Le “Hezbollah” étend à l’instant son
contrôle sur le Sud frontalier et s’empare de l’arsenal militaire
israélien abandonné. Un des moments forts de cette journée
historique, sera la libération des 140 détenus libanais de
la prison de Khyam qui seront accueillis en triomphateurs la nuit même
à Beyrouth. Au cours de cette même nuit du mardi 23 au mercredi
24 mai, les troupes israéliennes achèvent leur retrait des
dernières positions au Liban-Sud dont leur quartier général
à Marjeyoun et font exploser leurs ultimes postes fortifiés
dont celui du château de Beaufort. A l’aube, le dernier soldat israélien
franchit la porte frontalière entre les deux pays qu’il referme
après lui. Le Liban est, enfin, libre de l’occupation, alors que,
depuis sa création en 1948, l’Etat hébreu connaît pour
la première fois le goût amer de la défaite. Après
22 ans d’occupation de 850 km2 de territoire au Sud du Liban, Israël
s’en est allé par la petite porte, sans avoir absolument rien obtenu
en contrepartie. A quoi donc lui aura servi cette occupation?
QUID DE L’ALS?
Pour les 2.500 éléments et cadres de l’ALS, le poids
de ces années d’occupation est encore plus lourd et plus amer à
subir. Leur cas concerne chaque Libanais, puisqu’ils sont les fils de cette
terre, de cette patrie. Qu’ils aient été amenés, de
gré ou en vertu d’une situation de fait accompli, à collaborer
avec Israël, il faut tenir compte dans notre attitude à leur
égard des circonstances atténuantes qui les ont portés
à agir de la sorte. Et on est en droit d’espérer, tel que
l’a promis à maintes reprises le chef de l’Etat, qu’ils auront un
procès juste et équitable et qu’en dehors de la légalité,
nul n’a le droit de se poser en justicier vis-à-vis d’eux. Près
de 1.500 éléments de l’ALS se sont rendus à l’autorité
légale, soit directement ou via le “Hezbollah” ou Amal. Mille autres
ont choisi de se rendre en Israël avec leurs familles soit en tout,
5.000 personnes que Tel-Aviv est prêt à prendre en charge.
Quant à leur chef, le général Antoine Lahd qui se
trouvait à Paris lors du début du retrait, il est rentré
précipitamment, mardi soir en Israël, pour affirmer qu’il
n’est nullement prêt à se livrer aux autorités libanaises.
CÔTÉ ISRAÉLIEN
En Israël, le retrait du Liban est perçu comme un retour
à la normalité. Les habitants de la région Nord ont
été autorisés dès mercredi matin, à
quitter les abris où ils avaient été appelés
à se rendre au moment de l’évacuation par “Tsahal” de la
zone de sécurité, par crainte d’attaques du “Hezbollah”.
Pour les soldats israéliens et malgré leur défaite
face à la résistance intégriste, ce retrait est une
délivrance du bourbier libanais. “Maman, nous avons quitté
le Liban”. Ce cri de joie d’un soldat israélien fait, d’ailleurs,
la une du principal quotidien israélien le “Yediot Aharonot”.
De son côté, le Premier ministre israélien, Ehud
Barak, a promis que son pays respecterait la souveraineté libanaise.
“Nous n’avons aucune raison, a-t-il affirmé, de ne pas la respecter,
aussi longtemps que la frontière restera calme et que nous ne serons
pas attaqués. Mais dans le cas contraire, Israël pourrait s’en
prendre à des forces régulières et pas seulement du
Liban”, faisant ainsi allusion aux troupes syriennes déployées
au Liban. Barak ajoute: “Nous n’avons aucune revendication territoriale
au Liban”. L’essentiel est que le Sud est libre. Hier jeudi, 25 mai, le
Liban entier a célébré l’événement dans
le cadre d’une journée de fête nationale, celle de la “Libération
et de la Résistance”.
MELHEM KARAM: MERCI AU PRÉSIDENT,
À L’ARMÉE ET À LA RÉSISTANCE
M. Melhem Karam, président de l’Ordre des journalistes, a fait une déclaration dans laquelle il se réjouit “de voir le Sud revenir au Liban et le Liban au Sud... Le droit a triomphé, même tardivement, dans une région où régnait la négligence, d’une part, et qui vivait sous l’occupation, d’autre part”. Et d’ajouter: “La joie des journalistes est double: d’abord parce que
le retrait s’est produit sous la pression de la Résistance. Ensuite,
parce que pour la première fois, il a été réalisé
en application de deux résolutions internationales: 425 et 426.
UN ÉVÉNEMENT HISTORIQUE
M. Karam soutient que “la véritable victoire est la victoire
sur la griserie engendrée par la victoire. La victoire réalisée
par le Liban avec sa direction,
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