LE SUD: UN RICHE POTENTIEL ÉCONOMIQUE
ET TOURISTIQUE À DÉVELOPPER
D’une longue journée passée dans l’ex-zone de sécurité de Naqoura à Kfarkila, en passant par Rmeiche et Aïn-Ebel, jusqu’à Khyam, Kléia et Marjeyoun, un fait majeur s’impose: la nécessité de déployer l’Armée libanaise pour assurer la sécurité et permettre aux 6.000 Sudistes qui, par crainte de représailles, ont trouvé refuge en Israël, de réintégrer leurs foyers et préserver une vie conviviale. Même si les responsables du “Hezbollah” et du mouvement “Amal” ont multiplié les assurances, les Sudistes réclament la Légalité. Autre constatation: le Sud n’offre pas tant l’image d’une zone sinistrée, que celle d’un secteur laissé à lui-même, n’aspirant qu’à réintégrer le giron de l’Etat. La région est belle. Elle possède de vastes espaces verts, de grandes richesses économiques et touristiques à exploiter et à mettre en valeur. D’où la nécessité d’y assurer une sécurité maximale et d’empêcher toute provocation due à la proximité avec Israël. Après tant d’années d’épreuve, le Sud mérite de vivre en paix, de connaître un véritable essor économico-social bénéfique pour tout le pays.


A la “porte de Fatima”, ce dignitaire chiite observe aux jumelles l’autre côté de la frontière.

LIEU DE PÈLERINAGE
Après la marée humaine qui y a déferlé du jeudi 25 au dimanche 28 mai, la circulation est fluide en ce début de semaine. Partis tôt le matin de Beyrouth vers Naqoura, nous avons sillonné durant près de dix heures de temps “l’ex-zone de sécurité” devenue, pour les Sudistes en particulier et pour tout Libanais, un lieu de pèlerinage avec deux temps forts: “la porte de Fatima” à Kfarkila et la prison de Khyam.
De Tyr à Naqoura, la côte est de toute beauté, propre, à l’état naturel, bien découpée et, surtout, non encore galvaudée, ni défigurée par le béton. Combien de temps pourra-t-on la préserver d’un urbanisme sauvage qui envahit le reste du Liban?
A l’entrée de la zone libérée, un barrage des Forces de Sécurité intérieure filtre les visiteurs. Car passés les moments d’euphorie, l’Etat a adopté une mesure sage pour mettre un terme à tout débordement et aux fauteurs de troubles qui, par des actes irresponsables ou provocateurs, pourraient amener “Tsahal” à bombarder le Liban où à l’envahir de nouveau. Seuls, désormais, les fils de la zone frontalière pourront s’y rendre. Toute autre personne aura besoin d’un laisser-passer.
 

Des vêtements abandonnés sur les 
barbelés qui séparent le Liban d’Israël.

L’ancien Q.G. israélien à Bint Jbeil 
connu sous le nom de “poste 17”.

AVEC LA FINUL, NAQOURA A PROSPÉRÉ
Petit village paisible du bord de mer, Naqoura est devenu internationalement connu avec l’arrivée de la FINUL en 1978. Ses habitants ont su profiter de la conjoncture pour développer des activités commerciales ou culinaires. Au fil des années, des baraques ont poussé tout au long de la route face aux Q.G. français, italien, suédois et autres. Le spectacle est surréaliste. L’une de ces boutiques de fortune propose un matériel électronique sophistiqué, à la pointe de la technologie et à des prix imbattables. “Nous travaillons grâce à la présence de la FINUL, nous dit son propriétaire et nous espérons que leurs effectifs vont être renforcés, surtout par des nordiques qui sont nos meilleurs clients. Avec leurs salaires mensuels de cinq à six mille dollars, ils peuvent se permettre de faire de bons achats.”
Mon interlocuteur affirme que le matériel provient de Beyrouth. Avec des prix si bas, on est en droit d’en douter!
 

Des baraques ont poussé au fil des années 
dans ce village côtier à l’ambiance surréaliste.

L’affluence des premiers jours 
à la frontière libano-israélienne.

BICOQUES - RESTAURANTS
Quant aux bicoques transformées en restaurants de fortune, elles portent des noms très “inn”: “Hard Rock”, “Flamenco”, etc. Ils servent le mezzé et, surtout, du poisson et des fruits de mer dont des cigales fraîchement pêchées.
A la sortie de Naqoura, en direction de la frontière, un barrage des F.S.I. marque la fin  du parcours. Un groupe de reporters et de Sudistes attendent un éventuel retour des familles et des miliciens réfugiés en Israël. Au moment où “Tsahal” a évacué le territoire libanais et que l’ALS s’est désintégrée, près de 6000 personnes, dont un millier de miliciens lahdistes ont fui vers Israël. Malgré les appels des officiels et de leurs proches, le retour est encore très timide. Il est assuré par la Croix-Rouge internationale. Ceux qui reviennent sont surtout des chiites et des druzes. Les familles réintègrent les villages et les miliciens se rendent aux autorités légales. Les chrétiens ne se sentent toujours pas rassurés et ne le seront que lorsque l’armée libanaise sera déployée le long de la frontière.
 

L’intérieur de la maison du général Antoine 
Lahd à Marjeyoun et sa bibliothèque.

Un portrait déchiré du chef de l’ALS.

PROXIMITÉ INCROYABLE AVEC ISRAËL
Alma Chaëb, village chrétien, est calme, un peu trop calme même. Une partie de la population a trouvé refuge en Israël et les maisons entourées de petits jardins fleuris, attendent le retour des familles.
Nous poursuivons notre périple vers Dhaïré, Yarine et Ramieh, circulant sur une route qui longe, carrément le territoire israélien délimité, uniquement, par des barbelés, qui marquent la frontière. On réalise à quel point cette incroyable proximité peut faire craindre des débordements; d’où la nécessité de prendre des mesures sécuritaires. Il suffit d’enjamber les barbelés pour se retrouver en territoire israélien. Les kibboutz de Shlomi, Hanita, Zareth, avec leurs maisons aux toits en tuile rouge, lotis au milieu de la verdure, sont tout proches à quelques mètres. Et on passe à côté des “portes de passage” de ce qui fut “la bonne frontière”.
On arrive à Aïta Chaab à l’heure où les élèves rentrent de l’école. Sans les calicots, les portraits et les fanions du “Hezbollah” et de “Amal” on pourrait croire que la vie y a toujours été normale.
 

Le Hezbollah a placé son emblème 
sur ce char abandonné par l’ALS.

L’église imposante de Aïn-Ebel.
La localité sudiste est presque vide, 
tout comme Rmeiche et Kléia.

RMEICHE: UN INCIDENT CIRCONSCRIT
A l’entrée de Rmeiche, les F.S.I. montent la garde. Dimanche un incident fâcheux, mais à caractère individuel vite circonscrit, a eu lieu, provoquant la mort d’un des fils de la localité. Les esprits ne se sont pas échauffés, heureusement, mais la crainte persiste dans ce gros bourg chrétien dont le tiers de la population de 5000 habitants a quitté vers Israël avec les miliciens. “Les gens sont partis, par peur, en voyant affluer les éléments armés”, affirme un habitant. “Les déclarations faites par le leader du “Hezbollah”, cheikh Hassan Nasrallah, peu de jours avant le retrait israélien, ont contribué à créer un vif sentiment de crainte. Il y a eu de même beaucoup de désinformation.
Evidemment, la visite à Rmeiche du chef de l’Etat, le jour même où le dernier soldat israélien quittait le territoire libanais, a largement contribué à apaiser les esprits. Mais ses fils affirment qu’ils ne se sentiront en securité que le jour où l’armée libanaise se déploiera au Sud”.
Aïn Ebel, autre village chrétien fort pittoresque avec des maisons en pierre et une belle église imposante. En y arrivant, on éprouve la même sensation de vide qu’à Rmeiche.
“La moitié des habitants sont partis en Israël”, affirment les personnes interrogées. On vit dans l’incertitude du lendemain. Que peuvent faire les effectifs limités des F.S.I. pour protéger le village? Oseraient-ils faire face aux éléments armés qui circulent à leur guise? Nous sommes laissés à nous-mêmes”.
Aïn Ebel ne compte que 1000 à 1500 habitants, beaucoup de ses fils ayant émigré au Canada, en Australie ou en Afrique...
 

Dans ce mirador israélien face à la 
“porte de Fatima”, une sentinelle 
observe derrière la fenêtre, cachée 
par les rideaux.

Un autre emblème du Hezbollah 
“décore” une pièce d’artillerie de l’ALS.
Ce “check-point” tenu par les F.S.I., 
indique la fin du trajet, côté libanais.

SÉANCE PARLEMENTAIRE HISTORIQUE
Bint-Jbeil est animée. La ville pavoise aux couleurs du “Hezbollah” et de “Amal” qui semblent faire bon ménage en prévision des législatives. En ce chef-lieu du caza de même nom, cheikh Hassan Nasrallah a tenu un meeting monstre affirmant que “la sécurité au Sud doit passer aux mains de la Légalité”. C’est à Bint-Jbeil, aussi, que la Chambre des députés, à l’initiative de son président Nabih Berri a tenu, le mercredi 31 mai une séance historique, pour se pencher sur les problèmes économiques et sociaux qui se posent au Sud après la libération et examiner le plan gouvernemental de développement.
On s’arrête pour prendre des photos d’un des célèbres Q.G. israéliens le “poste 17” et d’un char de “Tsahal” abandonné sur place.
Meiss el-Jabal et Houla, Adaïssé, des noms comme tant d’autres qu’une bonne majorité de Libanais ne connaissent que par les médias. On longe à nouveau les barbelés qui nous séparent d’Israël et on voit les Kibboutz, tout proches, mais qui semblent vides, sans âmes. Les habitants les auraient-ils désertés par peur?
 

Un Kibboutz israélien vu de la 
“porte de Fatima”.

“Merci au Hezbollah”... Une pancarte 
sur la route vers Naqoura.

LA “PORTE DE FATIMA”
Nous voilà à Kfarkila, devant la “porte de Fatima”, désormais, célèbre. L’afflux des visiteurs se poursuit, mais à un rythme beaucoup plus lent. Quelques jeunes surexcités croient de leur devoir de lancer des pierres sur le mirador israélien d’en face où les soldats ont pris soin de rester à l’intérieur et d’observer ce qui se passe. La provocation est infantile et risque de coûter cher au Liban. Les F.S.I feraient bien de fermer ce passage aux visiteurs. Tout dérapage est dangereux. Puis, que vient faire le drapeau palestinien au haut d’un blockhaus? Seuls le drapeau libanais et les fanions des partis locaux devraient être admis. Les Palestiniens ont intérêt à comprendre que le Liban a déjà payé trop cher pour défendre leur cause.
 

Du côté israélien de la frontière,
les drapeaux ennemis voisinent.

Nos correspondantes, Nelly Hélou 
et Rania el-Hachem devant la 
“porte de Fatima”.

AFFLUENCE À KHYAM
La prison de Khyam est, désormais, un haut lieu de pèlerinage. Les visiteurs y affluent toujours, mais à un rythme faible, comparé avec l’affluence indescriptible et la frénésie des premiers jours ayant suivi la libération.
Le jeudi 25 mai, nous avions mis plus de quatre heures de temps pour franchir la distance de Nabatiyeh à Khyam, alors qu’en temps normal, cela prend une heure au maximum.
En visitant les cellules de la prison, les chambres d’interrogatoire et de torture, on a la nausée, certains prisonniers y ayant vécu durant quinze ans dans des conditions inhumaines. Les visiteurs expriment leur révolte et réclament le châtiment le plus sévère aux “collabos”.
De l’esplanade de cette prison, autrefois un caravansérail, sous le mandat français, on a une vue panoramique sur le mont Hermon (Jabal el-Cheikh), le Golan, la plaine de Houla, les fermes de Chébaa, les Kibboutz... Cette région connaîtra-t-elle la paix?
Si Khyam est animé, Kléia est en grande partie vide et offre un visage triste en l’absence de ses habitants. Dans cette localité chrétienne, le commandant Saad Haddad avait fondé en 1975-76 l’armée du Liban-Libre, devenue l’ALS par la suite, pour faire face aux attaques des Palestiniens.
“Avec le retrait de “Tsahal” et la désintégration de l’ALS, plus de 70% des habitants de Kléia, pris de panique ont quitté en moins de quatre heures de temps vers Israël, me confie-t-on sur place. Nous espérons qu’avec le déploiement de l’armée, ils reviendront”.

UNE MULTITUDE D’IMAGES ET DE RÉFLEXIONS
Marjeyoun qui abritait le quartier général du général Antoine Lahd, commandant de l’ALS, sera la dernière étape de ce périple sudiste. Une belle ville avec des rues pavées et des maisons en pierre qui méritent d’être restaurées. Le parti populaire syrien et le mouvement “Amal” en partagent le contrôle, en présence d’une vingtaine d’éléments des F.S.I. Les “amalistes” montent la garde devant la maison de Lahd. Aux premières heures de la libération, il y a eu de la casse et la propriétaire qui est de Marjeyoun de la famille Bayout, a contacté en personne M. Nabih Berri pour épargner sa maison. “Certains voulaient la brûler”, nous confie un milicien. Le jardin fleuri est donc toujours bien entretenu et, à l’intérieur, tout est resté en place: les meubles du salon, les peintures, la salle à manger, le bar, avec dessus un fond de bouteille de whisky Chivas Regal. La bibliothèque recèle une collection de documents diplomatiques et consulaires de Adel Ismaïl, des cassettes dont de la musique du Moyen Age, Zorba, Sabah Fakhri.
Sur le chemin de retour, via Nabatiyeh, on passe aux pieds du Beaufort qui se dresse imposant au haut d’une falaise, dominant le secteur. Les images de cette longue journée passée au Sud se superposent. La région est belle avec ses collines arrondies, ses plaines vertes et de vastes espaces non encore envahis par le béton. La zone possède un riche potentiel économique et touristique qui mérite d’être pris en charge, par l’Etat et le secteur privé. Le Sud n’offre pas, en fait, l’image d’une zone sinistrée. On révèle la présence de nouvelles constructions, de belles villas et les routes ne sont pas en très mauvais état. Le Sudiste qui s’est adapté, tant bien que mal, à vingt-deux années d’occupation, a besoin, aujourd’hui, d’être pris en charge à part entière par l’Etat libanais, de voir son infrastructure vitale (eau, électricité, moyens de communications), réhabilitée; d’avoir de bonnes institutions scolaires et d’hospitalisation. Mais la sécurité prime tout. Tout au long de la journée, nous avons croisé les jeeps de la FINUL qui sillonnaient la région pour établir un rapport concernant l’application de la 425. Une nouvelle mission les attend. Ceci facilitera le déploiement de l’armée libanaise que les Sudistes réclament d’une même voix. Les Libanais qui ont trouvé refuge en Israël, pourront, alors, réintégrer leurs pénates en toute sécurité.
 
LA PRESSE AU LIBAN-SUD
Une délégation de journalistes s’est rendue au Liban-Sud le lendemain du retrait israélien, ayant à sa tête MM. Mohamed Baalbaki et Melhem Karam, présidents des Ordres de la Presse et des journalistes.


MM. Baalbaki et Karam effectuant 
la tournée des localités libérées.

Ceux-ci ont engagé leurs confrères à suivre l’échéance nationale sous l’angle de l’exploit qui s’est réalisé sur le terrain et non sous l’angle de certains incidents individuels ou de la propagation d’un certain climat confessionnel allant à l’encontre de la nature du grand événement ayant provoqué une grande explosion de joie. MM. Baalbaki et Karam ont visité les localités libérées où ils ont pris l’engagement de soutenir les habitants sudistes et leurs revendications destinées à leur assurer de meilleures conditions de vie, au terme de vingt-deux années d’occupation. Ils ont fleuri la tombe de Bilal Fahs, premier martyr ayant opéré un attentat-suicide, en 1983, contre une unité israélienne, ouvrant ainsi la voie à une lutte acharnée contre l’occupant. 


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