NIKI LAUDA
UN HOMME QUI NE CONNAÎT PAS LE MOT IMPOSSIBLE"
“J’AI TOUJOURS SUIVI AVEC GRAND INTÉRÊT L’ART D’ADAPTATION
DES LIBANAIS DANS LES SITUATIONS LES PLUS CRITIQUES”
Du cockpit de la Formule 1 au cockpit de sa propre compagnie aérienne. Miraculé, il relève les défis par une discipline de fer. En jeans, avec sa fameuse casquette rouge sur la tête, Niki Lauda reçoit son interlocuteur. De son bureau simple et fonctionnel, situé en face de l’aéroport de Vienne, on peut observer les départs et les arrivées de la flotte qui porte son nom: la Lauda Air. Son rêve de piloter et de monter sa propre compagnie est devenu réalité depuis une quinzaine d’années. Le parc de la Lauda Air, avec des appareils de 4, 6 ans d’âge en moyenne, est des plus modernes en Europe. C'est l’un des signes de cette réussite éclatante malgré les coups durs du destin et de la concurrence.

“Je suis fort en tout ce qui me plaît et pour moi, il n’y a rien de plus beau que piloter un avion”, dit-il sans ambages et ses yeux de petit garçon brillent. Pourtant, ce grand garçon de 51 ans n’est pas un rêveur. Précis et excellent stratège, il planifie tout avec un sang-froid qui fait trembler les bureaucrates et les syndicalistes. Grâce à son don naturel pour l’analyse, l’ancien écolier raté sait disséquer les contextes les plus complexes - défaire un moteur ou calculer les coûts compétitifs. “Le talent c’est savoir expliquer un problème sans trop de phrases”, dit Niki Lauda. Il fait preuve de ce talent dans notre entretien pour “La Revue du Liban”. Le technicien qu’il est ne se perd pas dans les belles paroles. Niki Lauda appelle un chat un chat. C’est un homme pressé. Sportif ou entrepreneur, Lauda est un professionnel qui ne cadre pas avec le caractère baroque de beaucoup de ses compatriotes. Un Niki n’a pas besoin d’antichambre ni de tapis rouge ni de titres de “docteur” ou de “président” si prisés par la haute société autrichienne. Son prénom, Niki, lui suffit. Sa renommée internationale est bien établie depuis 25 ans. De l’Autriche jusqu’en Australie, on sait de qui on parle. Des générations d’Autrichiens ont vu leur compatriote, jeune pilote de F1, triompher à côté d’Enzo Ferrari et ressusciter d’une Ferrari en flammes. Des millions de spectateurs et de supporters éblouis ont suivi, avec délire, sa course pour gagner le Grand Prix après l’accident fatal de 1976. Après de multiples obstacles, Lauda fasciné par l’aviation a pu monter sa propre compagnie.
 
Niki, entouré par les hôtesses de la Lauda Air.
Il parle comme il conduit... à 280 km/h!

On sait peu de choses sur les différents combats que Niki Lauda a dû mener sur plusieurs fronts. La presse de boulevard, de Hambourg à Milan, en a fait ses gros titres, souvent sans le moindre respect. Le comble du mauvais goût revient à un quotidien allemand avec le titre “Capitaine Mort”, faisant suite à l’écrasement d’un avion de sa compagnie en 1991. Mais Niki, dont le physique ne révèle pas tout de suite la force d’esprit et la haute condition de supporter la pression, s’est opposé à tous les petits esprits de la méchanceté. L’air sportif, il a une sorte de charisme qui découle de son franc-parler pointu et intelligent. Ce n’est pas un homme qui se fait piéger. Il peut compter sur un cercle d’amis toujours à ses côtés. Parmi ces fidèles se trouve, en premier lieu, son ex-femme Marlène et la mère de ses deux garçons Lukas (21) et Mathias (19). D’origine austro-espagnole, Marlène vit entre Barcelone et Ibiza. Elle assistait rarement aux courses délirantes d’Adélaïde ou de Monza… Mais elle était toujours à côté de Niki dans les moments difficiles. Elle était là sans rien reprocher, sans piquer de crise, mais respectueuse de la liberté que les deux époux réclamaient tout au long de leur mariage. Le divorce n’a pas changé cet état d’esprit. Niki est fier de sa famille. Marlène maîtrise l’art de la discrétion. “Pour moi, Marlène est toujours la femme de ma vie,” affirme Niki Lauda. Niki constate des faits, il n’invente rien. Ainsi est son caractère. Concernant l’avenir professionnel de ses fils, dit le papa Lauda: “Certainement, j’ai mes idées, mais j’ai aussi vu, que cela ne marche pas comme on l’imagine naïvement”. Pourtant, il a réussi à les intéresser aux motos. En ce qui concerne le goût pour les voitures, le père diffère de ses fils, qui adorent le “pick-up”… pour transporter les motos. L’actuel Niki, le chef d’entreprise, se démarque des PDG des grandes compagnies aériennes par sa simplicité et son esprit vif qui semble tout capter en très peu de temps. Doué? Sans doute. N’ayant jamais pu avoir son baccalauréat, il s’est pourvu d’un faux diplôme. Jeune mécanicien, il s’est fait virer à plusieurs reprises des ateliers.
 
L’ex-champion de F1 en compagnie 
de Hannes Rausch, ami et “creative 
director” de la Lauda Air

Avant tout, Lauda est un “self-made man”. Son grand-père, Nikolaus von Lauda, était l’un des grands industriels de l’Autriche et Niki aurait pu mener la dolce vita s’il avait accepté les contraintes de la famille. Mais Niki Lauda ne se sentait pas à l’aise dans ce milieu de la haute bourgeoisie. Lorsque son grand-père lui coupa ses crédits auprès de la banque, il quitta la famille. Quand la conversation aborde le sujet de son grand-père, il change de ton. “Il était dur, parfois ses opinions proclamées et ses actes ne correspondaient pas”, se souvient le petit fils Niki qui, en fait, s’appelle Andreas Nikolaus, comme son grand-père. Comme son nom de famille était très connu à l’époque, il l’utilisa pour faire des emprunts par-ci, par-là. Cela lui a permis de s’acheter,
chaque année, une voiture et de participer aux courses. La première, en 1968, fut une Cooper S; puis une F Vee; ensuite une F3 et la dernière une March F2 en 1971. Malheureusement pour lui, ses résultats ne furent pas à la hauteur. Criblé de dettes, Lauda ne savait plus comment s’en sortir. Ce fut seulement en mai 1973 qu’il a pu résoudre ses problèmes financiers. En effet, ayant arraché la troisième place sur sa BRM à Monaco, l’écurie BRM l’engagea comme pilote. Dorénavant, il peut payer ses dettes grâce à son salaire. Il quittera cette écurie pour Ferrari en 1974 où il fera un parcours extraordinaire: il est 4ème au championnat du monde en 1974, champion du monde en 1975 et en 1977 et 2ème en 1976. Après que la Scuderia eut l’intention de le remplacer par Reutemann, à cause de son accident, Lauda rompit avec Ferrari en 1977. Il alla joindre l’écurie Braham où il ne resta que deux ans; ensuite, il  passa chez McLaren en 1982 pour remporter, encore une fois, le titre de champion du monde en 1984. Une année après, il renonce aux courses automobiles pour pouvoir, enfin, se consacrer à sa compagnie aérienne qu’il venait de fonder. Depuis toujours, il a été si attiré par les avions qu’il a pu transformer cette passion en une profession. Il l’a fait malgré les contrariétés en tout genre. C’est un homme marqué par les traces des  coups du destin, mais qui n’a jamais rendu ses armes. Rivalité, intrigues, accidents ou maladie, Lauda assume le défi et continue. “J’ai appris à repérer les faits, à examiner les défauts, mécaniques ou humains; puis, d’y mettre de l’ordre”, explique-t-il sa façon de gérer les situations difficiles. Lorsqu’on lui demande quelle était l’expérience la plus dure de sa vie, on s’attend à une réponse portant sur son accident. Mais non, c’est le désastre de l’écrasement de sa Boeing 767 “Mozart” en mai 1991, 16 minutes après son décollage de Bangkok, avec 223 morts. Lorsqu’il fait repasser les images et revit ces moments de désespoir, il devient un autre Niki. Car ayant toujours eu une confiance absolue dans la technique, il s’est retrouvé dans une profonde “crise de foi” par rapport à la technologie moderne. On touche vite aux “facts and figures”. La notion du temps est toute particulière chez Niki. A grande vitesse, il explique, il résume et évalue. La plume de la journaliste traverse des pages et des pages pour fixer les mots qu’il proclame avec la clarté sonore d’un moteur à douze cylindres. Niki n’est pas un mondain, même si on a souvent l’impression de le voir partout: aux fêtes de la belle société viennoise, dans les talk-shows ou ailleurs. Qu’il parle de l’aviation et des contraintes d’un marché de plus en plus concurrentiel, de sa vie ou de ses avis sur le monde de la F1 qu’il suit toujours avec attention, on aime bien l’écouter. Les journalistes sportifs écoutent volontiers l’expert Lauda lorsqu’il se prononce sur le pilote allemand Michael Schumacher qu’il apprécie. Niki reste fidèle à ses premières amours: voiture, aviation…
Comme expert de la survie, avez-vous jamais visité le Liban?
“Non, malheureusement, je n’ai pas encore eu l’occasion, dit l’Autrichien, mais j’ai toujours suivi avec grand intérêt l’art d’adaptation des Libanais dans les situations les plus critiques”. Beyrouth, avec son aéroport international, évoque nécessairement des associations pour le pilote Lauda. Mais c’est Austrian Airlines (AUA) qui dessert la ligne Vienne-Beyrouth. Après quelques années de coopération avec la Lufthansa, la Lauda Air et l’AUA se retrouvent maintenant au sein de la “Star Alliance”. On se partage les Lignes; Lauda Air fait, entre autres, les longues distances vers l’Asie et les Caraïbes, AUA dessert son domaine principal: les destinations en Europe de l’Est et l’Asie Centrale. Ayant commencé avec deux appareils Fokker au début des années 80, Lauda a pénétré, avec prudence économique et audace commerciale, le marché du charter pour conquérir finalement les clients aisés des compagnies de ligne. Rapidement, la Lauda Air s’est faite la réputation d’une compagnie avec une cuisine raffinée. “Service de Business Class pour tous”, se souvient Niki de l’un des premiers slogans. Ainsi, Attila Dougudan, millionnaire et propriétaire de la chaîne Do&Co, de mère autrichienne et de père turc, est devenu son compagnon. A 28 ans, Dougudan, un apprenti de la notion “d’hospitalité” et passionné de la bonne cuisine, a pris en charge le catering de la Lauda Air. “Comme au début, quand il arrivait avec son party service à l’aéroport, Dougudan vérifie toujours la qualité des plats en personne”, souligne Lauda. Entre-temps, Niki et Attila sont devenus de grands amis. Ils ont les pieds sur terre, mais ne manquent jamais d’imagination pour développer de nouvelles idées. La dernière étant “Lauda’s Flying Wonder World” qui consiste en un système interactif avec vidéo et téléphone à chaque siège. Ainsi, le passager en traversant l’Atlantique, peut faire, par exemple, une commande de fleurs à délivrer. Conscient de l’importance de la notion du “best service”, Lauda pose un haut standard.
“Je sais que l’on me reproche souvent que je suis radin,” dit-il. Mais sa relation avec l’argent n’est que le résultat d’une longue série d’expériences personnelles. Quelqu’un qui va jusqu’aux limites de ses propres forces, naturellement il est exigeant. C’est pourquoi, le personnel sur ses avions ne doit pas s’étonner en découvrant une clause du contrat qui touche au nettoyage de la cabine. Le chef lui-même, un fanatique de la propreté, ne fait pas toujours confiance aux brigades de nettoyage des aéroports. “Et s’il le faut, je prends moi-même la brosse de toilettes, car pendant un vol de dix heures, il faut garder les toilettes en bon état”. C’est un autre visage de Lauda.  Souvent, on retrouve Lauda au cockpit. Un phénomène unique! Dans quelle autre compagnie aérienne, le chef est pilote, technicien, agent de nettoyage, plus expert financier? Et, parfois, il conduit même le shuttle pour l’équipe!
En plus, il adore le volant du bus.  Mais il le fait en douceur. Il n’a que 51 ans et il a déjà vécu au moins trois vies. On dit que les chats ont sept vies. On voit bien que ce magicien de la survie est en compétition effrénée avec les chats.
 
COURTE BIOGRAPHIE
Date de naissance: 22 février 1949. 
Pays: Autriche. 
Père de deux garçons Lukas, 21 ans et Mathias, 19 ans. 
Divorcé de Marlène Knaus. 
Champion du monde: 1975 -1977 - 1984. 
Début en F1: 1971 en Autriche. 
Nombre de victoires: 25. 
Nombre de points marqués: 420.5 pts.

DE NOTRE CORRESPONDANTE À VIENNE,
KARIN KNEISSL

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