Editorial



Par MELHEM KARAM 

LE DROIT D’AUJOURD’HUI SUR DEMAIN EST DE LE RENDRE MEILLEUR

Quand lors de leur dernière rencontre à Genève - rencontre à propos de laquelle on a tenu des propos optimistes avant de se tenir; puis, des propos réalistes - le président Bill Clinton a dit au président Assad: “Ehud Barak fait face à des crises intérieures”, il attendait l’évolution de la situation interne israélienne.
Aujourd’hui, cette attente n’est pas une prophétie, ni même une prévision. C’est une manière de voir à travers la situation présente. Il y a à cela plus d’une raison; la première est que le parti travailliste israélien n’a jamais été aussi faible qu’il l’est aujourd’hui; même le jour de la “négligence” dans la guerre du 6 octobre 1973. La guerre du “Kipour”, celle où a été surprise l’armée qui excellait dans la guerre-éclair, la guerre des six jours, le 5 juin 1967. Comme si elle transposait la stratégie des généraux “Roon” et “Molteke” dans leur guerre-éclair contre la France en 1870, dans la bataille de Sedan où Napoléon III a capitulé à la tête de cent mille hommes.
La guerre-éclair est une industrie prussienne. Bismark s’y est préparé après avoir remporté sa bataille contre l’Autriche dans une tentative de sa part d’unifier par le sang, l’entité allemande... Depuis la “négligence”, le parti travailliste a subi un revers. Il était naturel pour le Likoud de lui succéder sous le leadership de Menahem Begin, sur base de l’équation suivante: celui qui remporte la guerre, signe le pacte de la paix. En revanche, celui qui perd la guerre, se tient perplexe sur l’arène de la paix ou sur la scène politique. Depuis lors, le parti travailliste se rapetisse. Jusqu’à ce que Yitzhak Rabin put remonter la pente, l’extrémisme l’ayant fait tomber sur une scène présentée, alors, comme celle de la paix. Shimon Pérès est un autre problème; c’est l’éternel perdant. Même après Charm el-Cheikh, le monde vote pour lui et l’électeur contre; et nul ne sait qui l’emportera contre lui, si sa candidature est présentée par le parti travailliste et Barak lui-même pour la présidence de l’Etat. C’est pourquoi, Benjamin Netanyahu a réussi par le vote “juif”; puis, a été exclu par le vote censé être israélien et proche-oriental, tout en évoluant sur la voie de la paix.
Ce vote a fait accéder Ehud Barak au Pouvoir en tant que successeur de Yitzhak Rabin dans la manière de penser et les aspirations, après avoir été la “pousse” de Rabin au sein de l’armée s’adonnant à la politique. La vérité était différente. Une année après le pouvoir de Barak, les gouvernants se sont éloignés de lui: une fois, au nom du fanatisme religieux; une autre fois, au nom du fanatisme pour la laïcité et, une troisième fois, au nom du fanatisme pour la terre, la colonisation et la capitale éternelle. A cause de cela, il est devenu faible et son successeur est recherché à travers des élections anticipées.
Ces élections anticipées étaient envisagées en vue d’élire Shimon Pérès; ce fut Netanyahu qui l’a emporté. Ces mêmes élections anticipées en France envisageaient l’avènement d’une majorité de droite aux côtés du président Jacques Chirac. La gauche est venue en force, ramenant le jeu de la “cohabitation” au pouvoir en France, en forçant la droite à réciter l’acte de contrition, pour n’avoir pu atteindre son objectif. Cette situation israélo-juive, quel est son impact sur le processus de paix? Le vote juif ramènera-t-il ceux qui ne veulent pas une paix autre que la “paix juivo-israélienne”, la paix des gens de la Bible visant Eretz Israël... la terre d’Israël?
Il est vrai que la paix a démarré avec une force difficile à freiner. Mais son processus pourrait s’arrêter et trébucher, à cause des guerres... comme ce fut le cas de la “guerre de cent ans” entre la France et l’Angleterre aux XIVème et XVème siècles. Elle pourrait, aussi, être heurtée par les échéances locales, régionales et internationales, tels le changement de régimes dans les régimes totalitaires ou les élections dans les démocraties. L’histoire de Netanyahu, l’histoire de l’éléphant qui se meut dans une exposition de porcelaine, pareille à l’histoire d’Augusto Pinochet qui avait écarté Allende et est exclu par ceux qui aspirent à instaurer un pouvoir socialiste bien moindre d’envergure que celui d’Allende.
Le système change et, avec lui, la manière de penser. Pourtant, le pouvoir civilisé ne doit pas changer dans l’essence, ni dans la pratique. Le pouvoir civilisé est censé être épris d’analyse et de dialogue quitte à ce que les gens en soient l’interlocuteur.
Il en est ainsi au Liban. L’Etat doit dialoguer avec les gens. N’est-il pas permis au Libanais d’aspirer au mieux-être? Est-il exagéré pour le Libanais d’aspirer à se convaincre, à échanger les propos sérieux avec l’Autorité et le Pouvoir?
La situation n’est pas ainsi... Tant chez nous que chez les autres. Margaret Thatcher ne croyait pas quitter, un jour, le 10 Downing Street. Le jour où elle a dû partir, elle a fait appel à John Major, parce qu’elle y a vu sa continuité... Comme si un homme a pu jamais continuer un autre. Le successeur ne peut pas être pareil à son prédécesseur. Un gouvernant succède à un autre de la même ligne et du même parti... et la gestion diffère, comme la vision et, souvent la logique de la décision. Chirac n’est pas De Gaulle, comme Pompidou ne l’était pas non plus. Ni, naturellement, Valéry Giscard d’Estaing.
Les gens de la décision en Turquie ne sont pas Kamal Ataturk, même s’ils se disent des partisans d’Ataturk. Et Laurent Fabius n’est pas Jean Jaurès. Même s’il a dit, le jour de son retour au pouvoir dans le Cabinet Lionel Jospin, qu’il allait à l’idéal tout en comprenant le réel; donc il est jauressien.
Il est demandé du Dr Bachar Assad d’inverser cette vérité, car Bachar Assad n’a pris la succession que pour dénoncer et parachever. Il dénonce les négativismes, comme dans le rapport du “Baas” au congrès du parti et parachève avec les positivismes. Le changement d’en haut, n’en est pas un. Ni chez nous, ni chez les autres. Et l’épuration qui fut une réforme administrative, pour devenir politique, est restée des paroles qu’échangent les tribuns du “changement” verbal. Ce n’est, donc, ni une réforme administrative, ni politique. Il s’agit d’arrangements et de prises de position édictés par la politique. Car pour être véritable, la réforme doit viser à remplacer les corrompus par les bons éléments. Du temps du président Charles Debbas, le premier à avoir entrepris un mouvement réformateur dans la République en 1932, cela ne s’est pas produit, en dépit de toutes les tentatives, parce que la corruption est forte. Elle est soutenue par la politique, la communauté, la famille et le régionalisme. Par le fait même qu’il poursuit un corrompu, le gouvernant crée des partisans aux corrompus. Ces paroles sont-elles dites en vue de susciter le désespoir? Non, naturellement. Ce sont des paroles de la défaite, en marchant sur le chemin menant à la victoire. Avec beaucoup de fatigue, d’efforts, suivis d’échecs dont il est difficile de se relever. Mais n’est-ce pas l’histoire de pactiser avec l’espoir?
Nous nous trouvons face à une équation: la paix n’est pas l’histoire de demain et, partant, le changement ne l’est pas aussi. Elle est ainsi, à cause des chocs qu’elle reçoit. Les chocs sont un aiguillon et les déceptions un soulèvement. N’est-ce pas ce que disait Yasser Arafat quand il a été déçu à Stockholm après l’avoir été à Oslo?
Ah!, a-t-il dit, si nous avions une résistance à l’instar de celle que les Libanais ont au Liban-Sud. Ah! si nous avions une résistance dans les territoires occupés. L’Intifada (le soulèvement) est fille des territoires occupés portant, aujourd’hui, le nom de “terres de l’Autorité autonome” dans son aspiration à un Etat, petit, petit, l’Etat de Palestine. L’Intifada est fille des territoires occupés... et Yasser Arafat ne l’a pas épargné. Puis, n’est-ce pas lui qui a dit, à propos de la Résistance du Sud libanais: Ce n’est pas lui (le soulèvement) qui a libéré la terre, mais une décision prise par Ehud Barak!
Nous ne devons pas désespérer, le désespoir étant l’une des deux forces et l’autre la mort. Non, c’est plutôt la vie qui n’a rien d’égale. La vie ne vaut rien; mais rien ne vaut la vie, comme l’a écrit Paul Valéry dans une lettre à Albert Thibaudet.
Nous sommes avec la vie... en vue du changement, en optant pour la vue globale qui entoure le Liban et l’Orient. De l’Océan au Golfe... Et du Moyen-Orient. Comme du monde engagé dans la mondialisation tout en l’appréhendant. Peut-être réaliserons-nous une réforme, une réforme de la politique au Liban... Une réforme de paix au Moyen-Orient. Et une réforme de mondialisation dans le monde apeuré. Ainsi, et avec tout cela, nous pourrions, surtout en humanisant la mondialisation, restituer à l’homme certaine confiance en lui-même. Il pourrait, alors, prononcer le “non” rationnel... et le “oui” convaincu, non imposé et consentant; le “oui” ayant foi en ce que le droit d’aujourd’hui sur demain est de le rendre meilleur. 

Photo Melhem Karam

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