LA FIN NE JUSTIFIE PAS LES MOYENS | ||
"Le
temps s’en va, le temps s’en va, madame; non pas le temps, mais nous nous
en allons”... disait Ronsard. Nous nous en allons où? Bien malin
qui saurait le dire. Mais bien moins malin qui s’obstinerait dans ce genre
de questions. D’abord, le questionneur en sera pour ses frais; ensuite,
- et à bien des égards - il vaut mieux laisser tomber. Exercice
préventif auquel nous ferons bien de nous habituer. Tout ce blabla
pour dire que, le champ politique s’étant rétréci
autour de nous comme une peau de chagrin, nous serions, nous autres journalistes,
bien inspirés de nous recycler dans le social. C’est plus utile
et certainement plus sage.
Passons donc au domaine des services, ces services qui sont pour les Libanais une calamité auprès de laquelle les sept fléaux d’Egypte font figure de plaisanteries d’un galopin mal élevé. On ne sait à qui devra revenir le pompon dans la catégorie fléaux, mais à mon humble avis, le téléphone mériterait sinon la coupe du monde, du moins le podium assorti d’une médaille d’or. Pour commencer, l’annuaire - que l’on nous fait payer obligatoirement - ce chef-d’œuvre de précision, d’exactitude et d’efficacité. Et d’abord, à tout seigneur tout honneur, les pages bleues réservées aux officiels. Prenez, par exemple, le parlement. Le numéro indiqué dans l’édition 1999-2000 est 651303, 304, 305, etc... Pianotez-le sur votre appareil et vous captez une voix mélodieuse qui vous susurre: “ - La ligne de votre correspondant est interrompue. Nous regrettons de ne pouvoir donner suite à votre appel”... Moi aussi. Mais est-ce à dire que le président Berri a oublié de régler ses factures? Ailleurs, le discours change et se fait cassant, voire menaçant. Ainsi, au 746779 qui correspond - selon l’annuaire - à la présidence du Conseil, vous obtenez - “Le numéro demandé n’est pas encore en service. Prière de ne pas répéter l’appel”... De quoi se demander qui, du numéro ou de la présidence du Conseil, “n’est pas encore en service”... Pour ce qui est du secteur privé, 8 fois sur 10, il s’agit d’un faux numéro. Si, par hasard, vous tombez sur un mauvais coucheur, vous l’entendrez détailler, à l’autre bout du fil, ce qu’il pense de vous, de votre mère, de votre sœur, sans oublier votre tante paternelle. On me dira que comme ultime recours, nous avons toujours le 120, autrement dit, les renseignements. Si, souffrant d’idiotie congénitale, d’imbécilité héréditaire ou d’arriération mentale atavique, vous composez le 120, il vous sera répondu: “Par suite d’encombrement, votre appel ne peut aboutir. Veuillez rappeler ultérieurement...” Et le ultérieurement se prolonge du matin jusqu’à une heure avancée de la nuit, heure à laquelle vous aurez besoin, soit d’un cardiologue, soit d’une camisole de force, soit des deux à la fois quand vous parvient la facture. J’ai sous les yeux la facture d’un vulgaire numéro électronique: 1.403.159 L.L. dont 201.000 de communications à l’intérieur du réseau ordinaire et 1.202.159 L.L. de connexions sur les réseaux cellulaires. Pourquoi cette énorme disproportion? Parce que, paraît-il, la communication avec un cellulaire, étant un produit de luxe, est multipliée par 9. Noblesse oblige, n’est-ce pas? D’accord. Nous voulons bien payer le double et même le triple pour frayer avec l’élite, mais presque dix fois plus! Quant aux cellulaires, j’ai là en main une facture qui mentionne 33,24$ d’appels, 25$ d’abonnement, 9$ divers. Que pensez-vous que sera le total? Croyez-le ou ne le croyez pas, le total inscrit est de 108,72 dollars. D’où sont venus ces 41 dollars supplémentaires? C’est tout simplement les taxes perçues par l’Etat et la municipalité. Autrement dit, pour 33 dollars de communications, l’infortuné destinataire de cette facture doit payer 65 dollars de plus, soit 200% à partager entre le cartel des cellulaires et le tonneau des Danaïdes du gouvernement. Ce n’est plus de l’arnaque, c’est du hold-up. Oui, je sais, les caisses de l’Etat sont vides. J’en suis hélas! en tant que Libanaise, une des premières victimes. Mais est-ce avec mon misérable électronique et votre cellulaire dont le réseau fiche le camp à la moindre occasion que messieurs Naaman et Corm se proposent d’équilibrer le budget et de rembourser une dette de 20 milliards de dollars?! Et quand les responsables sont acculés à vider les tirelires des jardins d’enfants pour tenter de combler leur déficit, pour quelles raisons, repoussent-ils du pied, en grands seigneurs, deux milliards et demi de dollars? Ou bien comptent-ils, en plus sur la taxe de gardiennage de nuit qu’ils nous font payer rubis sur l’ongle, alors que les gardiens de nuit ont depuis plus d’un quart de siècle rejoint, au musée, le sarcophage d’Ahiram? Quant à la taxe pour la reconstruction, non pas la reconstruction de ce qui a été détruit par vingt ans de guerre, mais celle des quelques maisons lézardées par le séisme de mars 1956, elle devrait en valoir gros, si elle n’avait pas été dilapidée. En effet, depuis 44 ans que nous payons cette taxe, nous aurions pu reconstruire l’ensemble des temples de Baalbeck, l’antique bibliothèque d’Alexandrie, les jardins suspendus de Babylone, Pompéï et Herculanum, des centaines d’Empire State Buildings, plusieurs dizaines de murailles de Chine, sans compter une pyramide ou deux, avec un Sphinx comme bonus. Ridicule? Humour noir? Mauvaise plaisanterie? Peut-être. Mais il s’agit, aussi, d’une réalité “si triste et si profonde que lorsqu’on vient d’en rire on devrait en pleurer” (Alfred de Musset dixit). |