Bloc - Notes

Par ALINE LAHOUD
NE RIEN FAIRE ET LAISSER BRAIRE
A partir du moment où vous vous apercevez qu’il est mal vu, voire malsain, au Liban de prononcer le nom du Liban, à partir de l’instant où vous entendez, sans en croire vos oreilles, qu’un groupe de députés - coiffés d’un ministre - prétend censurer la Bible, met sur le même pied LE CANTIQUE DES CANTIQUES et LES PROTOCOLES DES SAGES DE SION, réclame que les responsables du Festival de Baalbeck (tous bénévoles) soient déférés devant le tribunal militaire pour atteinte à la sécurité nationale, complicité avec le roi Salomon et intelligence avec l’ennemi, vous réalisez que quelque chose, quelque part a basculé et que les garde-fous auxquels nous nous accrochions toujours - en dépit de vingt ans de guerre - sont devenus aussi inexistants et dérisoires que la défunte Ligne Maginot.
Et à propos d’obscurantisme, laissons-nous plutôt dériver vers l’obscurité, deux méthodes que nos  dirigeants pratiquent avec un égal bonheur. Car il ne s’agit pas ici de rafraîchir la conscience des monothéistes - les “Gens du Livre” - pour leur remettre en mémoire que le Livre en question est, justement, la Bible, mais de rappeler à nos responsables qu’il existe un monstre tentaculaire qui fait de nos vies un cauchemar et a pour nom Electricité du Liban (EDL pour les intimes).
Jadis, à une époque qui semble appartenir à la nuit des temps, Georges Frem, un homme intègre qui connaissait parfaitement ses dossiers, avait tenté, alors qu’il était ministre de tutelle de l’EDL, d’assurer le courant aux usagers, tout en ménageant les deniers de l’Etat, il fut fichu à la porte sans autre forme de procès et remplacé par Elias Hobeika sur lequel, comme par magie, des centaines de millions de dollars se mirent à pleuvoir. Presque un milliard!
Vu l’énormité de la somme, on entreprit de nous raconter que ce milliard allait remettre à neuf un réseau national que les ans et la guerre avaient transformé en charpie et que, le jour de gloire étant arrivé, nous allions avoir l’électricité 24 heures sur 24. Un petit nuage, cependant, sur ce miracle: des factures à donner des nuits blanches même dans le noir. Mais qu’à cela ne tienne! N’allions-nous pas recouvrer la vue après un quart de siècle de cécité, nous pavaner devant nos postes de télévision hurlant à plein régime, tout en nous laissant bercer par le ronronnement rassurant de nos réfrigérateurs?
Où en est cette fable huit ans plus tard, alors que nous jouissons toujours d’un courant rétif, poussif, craintif, chétif, le tout au superlatif? Où en sommes-nous aujourd’hui, sous le règne de la “transparence”, une transparence que nous avons d’ailleurs du mal à discerner, puisqu’elle n’est pas éclairée? Toujours au même point, c’est-à-dire bien avant que le Créateur dise: “Que la Lumière soit”.
On nous explique que la station de Jamhour est aussi capricieuse qu’une diva, que la centrale de Zouk est caractérielle, que les crédits pour l’achat du fuel n’ont pas été débloqués à temps, que la centrale de Jieh est allergique à la chaleur et, surtout, aux appareils d’air conditionné (elle est aussi intolérante au froid et aux radiateurs), que l’aviation vandale israélienne a passé par là et qu’enfin, comme le dit si joliment le ministre Traboulsi: “-Vous croyez qu’une centrale électrique est un phénix pour renaître de ses cendres?”
Non, certainement pas, ni les ministres non plus. Cependant, j’avais lu - il y a de cela à peu près deux ans - qu’en Turquie, où un séisme, d’une magnitude 7 sur l’échelle Richter, avait détruit à 25% les deux villes d’Adana et de Ceyhan, les techniciens avaient réussi à rétablir le courant en quelques heures. Nous n’en demandons pas tant, mais nous nous demandons quel genre de séisme a presque englouti l’EDL avec nos capitaux? Il est vrai que faute d’un tremblement de terre ( il ne nous manquait plus que ça!), nous souffrons d’un tremblement de gouvernement dont la magnitude dépasse de loin les possibilités de l’échelle Richter.
Et si ce n’était que ça. En effet, non contents de nous plonger dans les ténèbres extérieures, les responsables de l’EDL se vengent de leur carence sur les notes d’électricité qui plafonnent actuellement au zénith et ce, sans la moindre justification, passant au fil des ans (depuis 1990) de 50.000 L.L. à 1.500.000 L.L. pour le consommateur moyen. A noter qu’il est une règle de base partout ailleurs dans le monde qu’un tarif est inversement proportionnel à la consommation. Autrement dit, plus on consomme, plus le tarif décroît par unité de consommation. Chez nous, les 500 premiers KW sont multipliés par une moyenne de 70 L.L. et tout ce qui est au-dessus par 200 L.L.
Cela, sans compter les coupures sauvages qui surprennent dans les ascenseurs les cardiaques, les asthmatiques, les claustrophobes, les nerveux qu’un arrêt brutal plonge dans l’hystérie, ou bien ceux qui, pris de terreur, forcent la porte de l’ascenseur et y laissent, au meilleur des cas, un de leurs membres entre deux étages, quand le courant est rétabli sans crier gare.
Que fait le gouvernement pour pallier ce genre de catastrophe? Rien, à part raconter des histoires à dormir debout à la télévision et accuser la presse de le court-circuiter. A moins que ces messieurs pensent que nous n’avons nul besoin de courant, puisque chacun de nos seize ministres est à lui seul une lumière!... 

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