CAMP DAVID II:
UN COMPROMIS HISTORIQUE... EN UNE SEMAINE

"Passez! “non, passez vous-même!” Le Premier ministre israélien Ehud Barak et le chef de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat s’invitant pour entrer à la salle de conférence, telle est la première image que nous renvoie Camp David. Le coup d’envoi de ce sommet dit de “la dernière chance” s’est ouvert dans un climat de détente, quoique les dossiers à traiter soient épineux et nécessitent de nombreux  compromis si les deux parties sont réellement décidées à parvenir à un accord. Les délégations israélienne et palestinienne ont jusqu’à mardi 18 pour régler un lourd contentieux de plus d’un demi-siècle. Cinq problèmes litigieux essentiels considérés comme autant de “lignes rouges” par les deux protagonistes devront être réglés: la nature du futur Etat palestinien, la délimitation des frontières, le sort des colons établis en Cisjordanie, celui des 3 millions et demi de réfugiés et le statut de Jérusalem. Ce dernier point constitue le nœud gordien des négociations et certains évoquent la possibilité de renvoyer le règlement de cette question à une date ultérieure, si l’on veut aboutir à un résultat à l’issue de ce sommet de huit jours. Camp David s’est ouvert le mardi 11 juillet et le président Bill Clinton a reçu, tout d’abord séparément, MM. Barak et Arafat les exhortant à rechercher “un compromis” pour parvenir à un accord sur les questions-clés qui divisent Israéliens et Palestiniens depuis un demi-siècle”. Faisant preuve toujours d’un même optimisme, le chef de la Maison-Blanche ajoute: “Les deux dirigeants ressentent le poids de l’Histoire et reconnaissent qu’il s’agit d’une occasion unique à saisir.” Cet optimisme n’est pas forcément partagé et Mme Hanane Achraoui, membre du Conseil législatif palestinien, affirme: “Nous ne nous attendons pas à une percée-miracle ou à des résultats soudains. Le fossé est encore extrêmement important et il faudra plus que huit jours de discussions, plus qu’un sommet, pour trouver des espaces de consensus et de convergence”. Côté israélien, David Lévy, ministre des A.E., qui n’a pas voulu accompagner Barak à Washington, estime qu’il est “très difficile de parvenir à un accord et qu’il faut déployer beaucoup d’efforts pour créer une atmosphère favorable à leur aboutissement”. Ce scepticisme n’est pas partagé par Yossi Beilin, ministre israélien de la Justice et l’un des artisans des accords d’Oslo: “La situation est telle, observe-t-il, qu’il est pratiquement impossible de ne pas aboutir à un accord”. Ce sommet historique apportera-t-il une réponse positive à tant de points épineux? Les jours à venir le diront.
 
Manifestation d’Israéliens à Camp 
David en faveur de la paix.

Les jours qui ont précédé le sommet, furent chargés de tension pour le Premier ministre israélien. De fait, Ehud Barak a été lâché par le “Shass”, puissant parti ultraorthodoxe qui a 17 députés et 4 ministres; puis, par deux autres partis de droite: le russophone “Israël Be’ Aliya” qui a 4 députés et un ministre et le parti national religieux (PNR), porte-parole des colons qui a 5 députés et un ministre. La coalition gouvernementale passait, dès lors, de 68 à 42 députés et le Cabinet était réduit de six ministres.
Barak a dû franchir un second écueil encore plus dangereux: une motion de censure déposée par les partis de droite, visant à faire tomber le gouvernement pour empêcher le Premier ministre de se rendre à Washington et “de conclure des accords qui seraient dangereux pour Israël et risquent de diviser le pays”, disent ses détracteurs.
Mais la motion de censure n’a pas obtenu la majorité des deux-tiers requise et Barak a été sauvé, de justesse. A la tribune de la Knesset, il a affirmé: “Je ne vais pas seul à Washington. A mes côtés seront les deux millions de personnes qui m’ont désigné à la tête de ce pays, le peuple élargi d’Israël, les citoyens qui veulent la paix et donner une chance au changement, à l’espoir, à un Israël moderne construit sur la sécurité”.
Dans une intervention télévisée, il avait tenu face à la nation ce même langage, se sachant appuyé par 52% des Israéliens, selon les derniers sondages. Et à la foule, venue l’encourager au moment du départ, il a promis “de défendre les intérêts de l’Etat hébreu”.
Cette assurance dont il fait preuve, est liée au fait que, depuis 1996, le Premier ministre est élu au suffrage universel direct, ce qui laisse au vainqueur du scrutin, les coudées franches en l’affranchissant de la pression des petits partis. Les observateurs politiques disent, aussi, que Barak est toujours “chef de commando” dans l’âme et c’est sans consulter la Knesset qu’il avait ordonné à son armée de quitter le Liban en mai dernier.

UNE OPTION: ALLER DE L’AVANT
Le chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat a, lui aussi, une marge de manœuvre limitée. S’il n’a pas de souci à se faire du côté de sa majorité parlementaire il doit, par contre, tenir compte de la pression de sa base qui accepte de moins en moins de concessions. En date du 3 juillet, le Conseil central de l’OLP a pris l’engagement de proclamer le 13 septembre, un Etat palestinien avec ou sans l’accord d’Israël et, depuis quelques temps, on assiste à un net durcissement du discours politique. Le mouvement intégriste “Hamas” se montre intransigeant, demandant à Arafat de se retirer des négociations et prône la lutte armée.
Chef d’orchestre de ce sommet de huit jours qui s’est ouvert mardi 11 juillet à Camp David, le président Clinton se dit, pour sa part, confiant et optimiste dans les chances de succès de ces assises. “Barak et Arafat, dit-il, ont tous deux la vision, l’intelligence, la capacité et je crois les tripes pour faire ce qu’il faut afin de parvenir à un accord”.
Dans une autre déclaration, il dresse l’état des lieux disant: “Ils ont franchi le point de non-retour et n’ont plus qu’une seule option: aller de l’avant. Les deux parties doivent résoudre leur problème pour offrir la paix à leurs enfants. Cela demandera de la patience, de la créativité et du courage”.
Clinton qui achève son mandat en novembre, est déterminé à aboutir à un accord avant son départ de la Maison-Blanche. Il a mobilisé tous ses adjoints, notamment l’infatigable secrétaire d’Etat Madeleine Albright.
 
Les Palestiniens de Gaza proclament 
leur appui à Abou Ammar.

RÔLE DU RAÏS
Dans le cadre des préparatifs de ce sommet, l’Egypte a montré, une fois de plus, qu’elle avait un rôle majeur à jouer dans le cadre du processus de paix. Avant de se rendre à Washington, Arafat tout comme Barak, ont rendu visite au président Hosni Moubarak au Caire. Le Premier ministre israélien a affirmé au président égyptien sa volonté d’aboutir à un accord avec les Palestiniens. “Je ferais tout mon possible pour y parvenir”, aurait-il dit, selon les déclarations de M. Oussama el-Baz, conseiller politique du président égyptien. Interrogé sur le rôle de l’Egypte face aux deux parties, El-Baz assure: “Nous essayons d’aider les parties sans imposer notre point de vue, n’étant pas négociateurs. A ces derniers de présenter des idées”.
La France est appelée à jouer un rôle dans cette phase délicate et décisive des négociations, d’autant plus que depuis le premier juillet elle préside, pour six mois, l’UE. Arafat, puis, Barak ont eu des entretiens, il y a peu de temps avec le président Chirac à Paris. Barak a de même rencontré à Londres le Premier ministre Tony Blair.

COMMENT DÉPASSER LES “LIGNES ROUGES”?
Camp David ne sera pas un sommet facile et les deux parties devront faire preuve de “courage et de créativité” pour aboutir à un accord, tel que l’a dit Bill Clinton. Ils sont appelés à s’accorder des concessions et des compromis difficiles, étant donné le fossé qui sépare toujours Israéliens et Palestiniens.
En se rendant à Camp David, les deux parties campaient encore sur des positions diamétralement opposées concernant cinq points épineux qualifiés de “lignes rouges”:
1 - L’entité palestinienne: Israël a, implicitement, accepté la création d’un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie, mais réclame sa “démilitarisation”, un contrôle de son espace aérien et de la Vallée du Jourdain. Les Palestiniens veulent créer un véritable Etat palestinien souverain, sans aucune restriction.
2 - Les frontières: Israël exclut un retour aux frontières de juin 1967 qu’exigent les Palestiniens et veut annexer les zones de Cisjordanie où ont été construites les principales colonies juives de peuplement.
3 - Le sort des colonies juives: Les Palestiniens exigent que les colonies, au nombre d’environ 150, soient démantelées ou placées sous la souveraineté du futur Etat palestinien. Israël, pour sa part, veut annexer les grands blocs de colonies où vivent près de 80% des quelque 200.000 colons implantés en Cisjordanie. Les colonies isolées seraient évacuées.
4 - Le sort des réfugiés de 1948: Les Palestiniens veulent que l’Etat hébreu admette la responsabilité de ce problème et reconnaisse le droit de retour aux 3 millions et demi de réfugiés établis dans les territoires occupés, en Jordanie, en Syrie et un demi million au Liban.
Israël est opposé à un retour en masse des réfugiés “qui transformerait l’Etat juif en Etat binational”. Il propose leur indemnisation par la communauté internationale et admet le retour en Israël de quelques milliers dans le cadre du “regroupement des familles”.
5 - Reste le nœud gordien de ces négociations: le statut de Jérusalem. Israël qui a annexé la partie orientale de la ville en 1967 et y a installé plus de 180.000 de ses ressortissants, refuse de façon catégorique que la Ville Sainte soit coupée à nouveau en deux et clame haut et fort que “Jérusalem restera à jamais unifiée sous sa souveraineté et capitale éternelle de l’Etat hébreu”.
Les Palestiniens exigent, en revanche, que Jérusalem-Est devienne la capitale de leur futur Etat.
Il est fort probable que cette question ne soit pas tranchée à Camp David pour être renvoyée à une date ultérieure.
Car, tel que le souhaite le parrain américain, le sommet de Camp David ne peut pas et ne doit pas échouer.
 
Camp David, ce lieu chargé d’histoire, exercera-t-il une influence positive sur ce sommet dit de la “dernière chance”?
En réunissant Ehud Barak et Yasser Arafat en cette résidence secondaire officielle d’été des présidents américains depuis 1942, le président Bill Clinton a voulu, sans doute, recréer le climat chaleureux ayant permis la signature du premier accord de paix entre Arabes et Israéliens, il y a 21 ans.
En septembre 1978, un sommet tripartite de onze jours avait réuni à Camp David les présidents américain Jimmy Carter; égyptien, Anouar el-Sadate et le Premier ministre israélien, Menahem Begin. Ce sommet avait débouché, six mois plus tard, sur un traité de paix.
Vaste propriété s’étendant sur près de 50 hectares de forêts dans le Maryland, Camp David est à une demi-heure d’hélicoptère de la Maison-Blanche. Elle abrite une vingtaine de châlets rustiques et le cadre dégage “une atmosphère à la fois d’isolement, d’intimité et favorise l’apaisement des tensions”, disait Jimmy Carter. C’est ce que recherche M. Clinton pour l’actuel sommet. Même les journalistes seront tenus à l’écart à quelques kilomètres des lieux. 

NELLY HELOU

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