tribune
LA LEÇON DE HAJJ HUSSEIN
C’est un ouvrage monumental et qui n’a pas de précédent dans l’édition libanaise pourtant riche en ouvrages historiques.
“Hussein Aoueini - Un demi-siècle d’histoire du Liban et du Moyen-Orient (1920-1970)”, paru il y a peu aux éditions FMA sous la signature de Roger Gehchan, donne un éclairage abondamment documenté sur une période particulièrement agitée de cette région du monde.
La vie de Hussein Aoueini, qui a été témoin de cette époque et acteur en sa qualité de nationaliste, de député, ministre, chef de gouvernement libanais, illustre parfaitement un moment de l’Histoire, dont les générations actuelles n’ont aucune idée claire. Entre le présent et ce passé, il y a eu rupture; un fossé s’est creusé qu’il est nécessaire de combler par des travaux historiques. Cet ouvrage consacré à Hussein Aoueini est conçu comme un premier jalon. Pour encourager la recherche universitaire dans ce sens, la création d’un “Prix Hussein Aoueini” (doté de 10.000$ au lauréat et 5.000$ à l’université concernée) a été annoncée par Mme Nada Aoueini, la fille de l’homme d’Etat disparu, à l’occasion de la parution de cette biographie en français et en arabe.
Cette œuvre de piété filiale et de fidélité à la mémoire d’un père aimé et admiré, a été réalisée avec un scrupuleux souci d’objectivité sur la base, comme l’écrit Mme Aoueini, dans un “prologue”, de “l’immense corpus constitué par les archives personnelles, documents et pièces diverses disponibles au Liban et à l’étranger, notamment dans les pays qui ont été mêlés plus que d’autres aux événements constitutifs de l’Etat libanais et à l’établissement de la carte politique de la région. C’est, précisément, ce qu’a accompli Roger Gehchan avec patience, minutie, objectivité et esprit professionnel”.

***

Ceux qui ont vécu l’époque considérée dans cet ouvrage, gardent généralement le souvenir de deux événements marquants de l’action personnelle de Hajj Hussein: les élections législatives de 1951 auxquelles il avait présidé et la rencontre Fouad Chéhab-Abdel-Nasser dans une baraque, construite spécialement pour la circonstance, à cheval sur la frontière libano-syrienne. C’était au lendemain de l’insurrection libanaise de 1958 à laquelle étaient mêlés les services syro-égyptiens. Quant au scrutin de 1951, il était censé effacer le souvenir des fameuses élections du “25 mai” (1947) marquées par la fraude et la violence. La nouvelle consultation a été, en effet, la plus régulière de l’histoire de la République libanaise, en attendant celle de 1961.
Dans les deux cas (élections et rapprochement avec Abdel-Nasser), ce fut un succès et c’était grâce à Hussein Aoueini personnellement. Quel était son secret?
Il lui suffisait d’être lui-même, homme de consensus, intègre et impartial; un homme de parole. Dans la préface de l’ouvrage de Gehchan, André Fontaine, ancien directeur du journal “Le Monde”, relève trois facteurs pour expliquer son style politique:
- “Aoueini était un homme très religieux, affirmant lui-même respecter toutes les religions et se méfier des mécréants”.
- “Engagé très tôt dans le combat pour l’indépendance du Liban, cela lui valut la prison et l’exil. Grâce à cet exil, il a connu le monde des affaires et de la banque; patron de nombreuses sociétés, devenu l’intime d’Ibn Saoud, il apprit l’autorité que confère à un homme la réputation de toujours tenir parole”.
- “Arabe et musulman, admirateur de Nasser tout en se méfiant de sa politique, Aoueini était très attaché à maintenir la spécificité du Liban, autrement dit l’union de ses diverses composantes telle que l’avait établie le fameux “Pacte national” de 1943”.
“Ce qui explique, ajoute André Fontaine, qu’on soit souvent allé le chercher pour participer à des gouvernements d’union nationale ou même à les diriger dans les moments où le consensus se trouvait, particulièrement, menacé par les flambées de ce “communautarisme” où il voyait, à juste titre, le pire ennemi de son pays”.

***

C’était un homme discret, détaché de tout, d’une grande bonté de cœur, uniquement attaché à l’intérêt public, étranger aux rodomontades à quoi se réduit souvent la vie politique libanaise. On se souvient de sa façon de se tirer d’affaire quand un journaliste lui posait une question délicate. Il répondait avec le sourire et un geste inimitable des deux mains: “Hayk oua hayk” ou, comme on dit familièrement, “couci-couça”.
Cette façon de répondre demeurée célèbre, avait fini par caractériser tout le style politique de Hajj Hussein, un homme qui avait le sens de la mesure et des nuances. Il savait avec réalisme qu’au Liban on ne doit jamais trancher, brutalement, que toute situation présente à la fois un bon et un mauvais côtés et que la sagesse est dans le juste milieu: “Hayk oua hayk”. Couci-couça.
Il faut remercier Mme Nada Aoueini d’avoir pris l’initiative de l’évocation de la mémoire d’un homme de cette qualité et notre confrère Roger Gehchan d’avoir composé cet ouvrage magistral, dont le produit de la vente est consacré à la Fondation libanaise pour la bibliothèque nationale. 


Home
Home