CAMP DAVID II:
JÉRUSALEM, NŒUD GORDIEN
“TOUT ESPOIR N’EST PAS PERDU”, AFFIRME CLINTON

Camp David s’est terminé sur un échec. Le pari du président Bill Clinton de mettre fin par un accord historique à cinquante ans de conflit en huit à neuf jours, était peut-être trop hardi et n’a pu aboutir. Yasser Arafat, chef de l’Autorité palestinienne, accuse le Premier ministre israélien d’avoir sabordé les négociations et vice-versa.
Le principal obstacle sur lequel ont buté les pourparlers est le statut de Jérusalem, les positions des deux parties demeurant jusqu’au bout fermes et, surtout, incompatibles. Barak n’a pas cédé sur l’unité de la Ville Sainte, alors qu’Arafat aurait déclaré: “Le dirigeant arabe qui abandonnerait Jérusalem n’est pas encore né”.
“Mais tout espoir, aussi mince soit-il, n’est pas perdu”, affirme le président Clinton, dans une brève déclaration à la presse, juste avant de s’envoler pour le Japon. De fait, les délégations israélienne et palestinienne ont décidé de rester aux Etats-Unis pour poursuivre les négociations sous la direction de Mme Madeleine Albright, secrétaire d’Etat-US. “Il ne faut pas se faire d’illusions, affirme M. Clinton. Les pourparlers continuent, mais il va falloir déployer beaucoup d’efforts. Ce sont les négociations les plus dures auxquelles j’ai participé. Mais la raison qui fait que nous sommes encore ici, c’est que personne ne veut abandonner. MM. Barak et Arafat ne souhaitent pas, apparemment, rester sur un échec, ni anéantir nos jours de discussions, même si aucun accord, particulièrement sur le statut de Jérusalem, n’a été trouvé”.
 

Les longues veillées du président Clinton
avec Arafat et Barak: rien de concluant.
Les longues veillées du président Clinton
avec Arafat et Barak: rien de concluant.

Les dernières heures du sommet ont été laborieuses. La délégation israélienne avait bouclé ses valises, déterminée à quitter mais avait fini par rester pour une ultime tentative d’entente. La veille, Arafat et sa délégation avaient, aussi, menacé de partir.  Quant au président Bill Clinton, il a retardé de 24 heures son départ pour le Japon, redoublé d’efforts et passé des nuits blanches. Il a essayé, vainement, jusqu’à la dernière minute d’arracher un accord.
Par ailleurs, selon une source officielle israélienne, M. Barak aurait adressé une lettre au président Clinton dans laquelle il fait part “de sa tristesse d’être arrivé à la conclusion que la partie palestinienne ne négocie pas en toute bonne foi et ne veut pas négocier de façon sérieuse et substantielle une paix permanente entre nous”.
Evidemment, les Palestiniens avancent la thèse contraire, disant que le blocage provient du côté israélien.
Le fait est que les dossiers à traiter, notamment celui de Jérusalem, étaient fondamentaux et décisifs pour les deux parties qui, malgré tous les efforts de M. Clinton, n’ont pu céder sur cette question.
Les tractations vont se poursuivre et les journaux israéliens ont publié les propositions de Barak sur Jérusalem: “En échange de l’extension de la souveraineté israélienne sur des colonies juives situées à la périphérie de Jérusalem, en Cisjordanie, Israël accepterait un contrôle palestinien sur des quartiers arabes de la Ville Sainte”, écrit le quotidien “Haaretz”.
Cette proposition, a-t-on appris, aurait été refusée par Arafat qui réclame une souveraineté sur Jérusalem-Est.
Comment trancher ce nœud gordien?

DÉBUT DU SOMMET DANS LA BONNE HUMEUR
Le sommet avait démarré dans un climat de bonne humeur, soutenu par la détermination du président Clinton d’aboutir à un accord historique avant la fin de son mandat. Evidemment, nul n’ignorait la difficulté de la tâche et le chef de la Maison-Blanche avait d’emblée appelé Israéliens et Palestiniens à saisir cette “occasion historique” et à faire preuve d’esprit de compromis “pour parvenir à un accord sur les questions-clés qui les divisent depuis un demi-siècle”.
C’est en cela, d’ailleurs, que résidait toute l’importance de ce sommet et, en même temps, les difficultés auxquelles il allait faire face durant les pourparlers. Car pour la première fois les deux parties, sous l’égide américaine, ont abordé des questions cruciales, tels le statut de Jérusalem et la question des réfugiés. Chacun savait, aussi, “qu’un échec serait lourd de conséquences”.
Très peu d’informations ont filtré de Camp David, entouré d’un black-out quasi-total tel que l’avait souhaité, dès le départ, le président Clinton. Les journalistes ont été tenus à distance, devant se contenter des points de presse fournis par Joe Lockhart, porte-parole de la Maison-Blanche.
Mais au fil des jours, alors que la fumée blanche ne sortait toujours pas, les spéculations s’intensifiaient. Un climat de pessimisme a entouré ces négociations de la dernière chance, tel que l’ont reflété les médias israéliens et palestiniens. Au septième jour des pourparlers, le quotidien israélien “Yédiot Aharonot” titrait: “Echec à Camp David - Barak revient sans accord”.
Les journaux soulignent tous que “la question de Jérusalem constitue le point insoluble à ce stade” et pour le quotidien palestinien “Al-Qods”, “les discussions traversent une vraie crise, les divergences entre les deux parties étant encore très profondes”.
Le président Bill Clinton exprime lui-même la difficulté de ces négociations en s’exclamant devant un journaliste du “New York Daily News”: “Dieu, que c’est dur! C’est la chose la plus dure que j’ai vue”, faisant allusion aux multiples négociations qu’il a déjà parrainées en Irlande, au Vietnam et au Kosovo...
M. Clinton s’est, d’ailleurs, pleinement impliqué dans ce sommet et n’a quitté sa résidence d’été qu’une fois pour quelques heures durant les neuf jours, mettant les bouchées doubles pour tenter d’arracher un accord. Pour cela, il a retardé de 24 heures son voyage au Japon où il doit participer au sommet du G8. Le porte-parole de la Maison-Blanche a exprimé cet état de fait en disant: “Les dossiers figurant sur la table des négociations étaient les plus durs auxquels M. Clinton ait jamais été confronté dans une négociation. Les deux parties savent, clairement, quels sont leurs intérêts et il est très difficile d’éliminer leurs divergences”.
 
La relève assurée par Albright.
La droite israélienne: Non aux concessions.

LES COLONS ET LA DROITE CONTRE UN ACCORD
Alors que les Etats-Unis tentaient d’arracher un accord aux Israéliens et Palestiniens à Camp David, des dizaines de milliers de colons et de sympathisants de la droite israélienne manifestaient à Tel-Aviv, dénonçant d’éventuelles concessions que pourrait faire Ehud Barak à ce sommet.
L’immense place portant le nom de l’ancien Premier ministre, Yitzhak Rabin où celui-ci a été assassiné en 1995, était envahie par une foule de plus de 100.000 personnes hostiles à d’éventuels accords à Camp David qui porteraient atteinte à Eretz Israël, accusant Barak “de conduire le pays à sa perte”. Sur les banderoles et calicots, on pouvait lire: “Démanteler des implantations, c’est déchirer le peuple”, ou bien: “Nous voulons une autre paix” - “Il faut changer le Premier ministre”.
Parmi les orateurs qui ont pris la parole sur une estrade décorée aux couleurs bleu et blanc du drapeau israélien, avaient pris place: le chef du Likoud, Ariel Sharon et les leaders de deux des trois partis qui ont quitté la coalition avant le sommet: Yitzhak Lévy (parti national religieux) et Nathan Tcharansky (Israël Be’Alya).

UN SOMMET INUTILE
Le “Hamas”, principal groupe d’opposition, a dénoncé plusieurs fois le sommet de Camp David, qu’il a qualifié “d’inutile”. Le guide spirituel de ce mouvement de résistance islamique, cheikh Ahmed Yassine, a appelé la délégation palestinienne à quitter le sommet, pour rejoindre les rangs de la “résistance” à Israël et du “Jihad” (guerre sainte).
Le FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine) de Nayef Hawatmeh a, lui aussi, demandé à Arafat de quitter Camp David  “parce que le sommet se déroule sous la pression américaine”, affirme le porte-parole du parti avant d’ajouter: “Les Américains veulent amener les Palestiniens à faire davantage de concessions à Israël sur Jérusalem et la question des réfugiés”.
En tout cas, MM. Arafat et Barak seront sans aucun doute confrontés à leur retour, à une opposition interne farouche. En effet, aussi bien la droite israélienne que les islamistes palestiniens, tenteront par tous les moyens de saper toute démarche sérieuse, visant à instaurer un accord définitif, quitte à provoquer de nouveaux troubles dans les territoires autonomes et en Israël.
Une nouvelle “Intifada” n’est pas donc à écarter, d’autant que la date de la proclamation de l’Etat palestinien indépendant approche, ce qui risque même de remettre en question les accords d’Oslo de 1993.
 
LES POINTS LITIGIEUX
  •  L’entité palestinienne: Israël a, implicitement, accepté la création d’un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie, mais réclame sa “démilitarisation”, un contrôle de son espace aérien et de la Vallée du Jourdain. Les Palestiniens veulent créer un véritable Etat palestinien souverain, sans aucune restriction.
  • Les frontières: Israël exclut un retour aux frontières de juin 1967 qu’exigent les Palestiniens et veut annexer les zones de Cisjordanie où ont été construites les principales colonies juives de peuplement.
  •  Le sort des colonies juives: Les Palestiniens exigent que les colonies, au nombre d’environ 150, soient démantelées ou placées sous la souveraineté du futur Etat palestinien. Israël, pour sa part, veut annexer les grands blocs de colonies où vivent près de 80% des quelque 200.000 colons implantés en Cisjordanie. Les colonies isolées seraient évacuées.
  •  Le sort des réfugiés de 1948: Les Palestiniens veulent que l’Etat hébreu admette la responsabilité de ce problème et reconnaisse le droit de retour aux 3 millions et demi de réfugiés établis dans les territoires occupés, en Jordanie, en Syrie et un demi million au Liban.Israël est opposé à un retour en masse des réfugiés “qui transformerait l’Etat juif en Etat binational”. Il propose leur indemnisation par la communauté internationale et admet le retour en Israël de quelques milliers dans le cadre du “regroupement des familles”. 
  • Reste le nœud gordien de ces négociations: le statut de Jérusalem. Israël qui a annexé la partie orientale de la ville en 1967 et y a installé plus de 180.000 de ses ressortissants, refuse de façon catégorique que la Ville Sainte soit coupée à nouveau en deux et clame haut et fort que “Jérusalem restera à jamais unifiée sous sa souveraineté et capitale éternelle de l’Etat hébreu”.Les Palestiniens exigent, en revanche, que Jérusalem-Est devienne la capitale de leur futur Etat.

NELLY HELOU

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