Editorial



Par MELHEM KARAM 

CAMP DAVID, DE 1978 À 2000

Tout d’abord, peu de paroles mais fermes, sur l’électricité. Il n’est absolument pas permis, pour n’importe quel prétexte, que le Liban vive dans l’obscurité. Ce Liban sortant d’événements internes lui ayant coupé toute chose... même l’air, et libéré de l’arrogance qui se manifestait dans l’espace, lequel était une scène à découvert de ce que nous appelions le “mur du son”.
L’histoire de l’électricité est un scandale. Ainsi dans le langage des optimistes qui veulent que l’Etat soit un Etat, que les institutions soient sous la protection de la loi. Les responsables doivent être sanctionnés, ne serait-ce qu’une fois. Pour qu’il soit dit, par les mêmes optimistes, que la justice a chez nous la force de la répression et du châtiment.

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Plus important que l’électricité, qui reste une question de technicité et d’argent... et, surtout, de moralité, est l’homme pour lequel doivent être assurés l’eau, l’électricité, le téléphone, l’hôpital, le médecin, le médicament, l’instruction, le travail, la magistrature et les garanties de la vieillesse. Ainsi que les autres garanties. Ces paroles n’ont aucun rapport avec la manifestation, qui a fait parade dans la rue, parce que celle-ci n’est qu’une des faces et des farces de ce temps, pas plus.
L’important, c’est l’homme qui fait l’objet, ces temps-ci, de beaucoup de paroles. Les paroles du scrutin et de la libération. Le Libanais sent, quand s’ouvre la question électorale, qu’il est l’un de ses éléments, pas davantage. Il doit être, pour que les élections soient. A l’instar du chef du bureau de vote, de l’état civil, du moukhtar. C’est un élément passif dans le grand jeu, un pendant. Ce sentiment, il le ressent de plus en plus. Comme si le temps, dans ce domaine, descend en pente, aspirant à des jours meilleurs.
Telle est la vérité qui suppose des responsabilités. Sur ceux qui occultent les autres et sur ceux qui se courbent le dos en présence de ces derniers. Le gouvernant est responsable comme l’administré. Et la liberté n’a jamais été une gratification du gouvernant à cet administré. Elle est toujours, le fruit de la lutte de l’administré. Une lutte qui se compte par les jours et les heures, en vue d’arracher la liberté en tant que l’un des droits élémentaires de l’homme.
C’est pourquoi, on parle beaucoup des leaderships et parlons-en avec franchise. Le jour de la libération du Sud, les “collaborateurs” ont eu deux conduites. Des gens se sont livrés et d’autres ont fui en Israël. Car l’Armée du Liban-Sud - telle était son appellation - était formée de chrétiens, de chiites et de druzes. Les druzes se sont livrés par l’intermédiaire de Walid Jomblatt et les chiites par le truchement du “Hezbollah”. Les chrétiens - ils doivent revenir et se livrer - sont partis en Israël. Ceci est une erreur et un péché. Mais cela n’a pas été causé en raison de l’absence des chefs chrétiens. Ceux qui le disent savent qu’ils enserrent les instances dans le moule du confessionnalisme extrémiste. Oui, le confessionnalisme extrémiste qui a détruit la structure et l’entité du pays... et ce depuis l’émirat dans la montagne, après qu’Ibrahim Pacha fut contraint de retourner en Egypte afin de consolider la position de son père face aux Ottomans.
L’histoire n’est pas celle de l’absence de chefs. L’autorité maronite existe et réside à Bkerké. Et nous dirions au “palais présidentiel”, n’était notre foi que le président maronite est, tel est son destin, le père de tous les Libanais. Et le jour où il dévierait de son destin, le pays paierait de sa sécurité le tribut de cette déviation.
Combien j’aurais souhaité pouvoir dire que la logique des choses, la logique de la citoyenneté véritable exige que tous les “collaborateurs” se livrent à l’Etat, sans intermédiaire. A l’Etat, directement, afin que la justice de l’Etat, la justice libre, convaincue de ce qu’elle a devant elle comme papiers et dossiers, dise son mot à leur sujet. Nous serions ainsi tous rassurés que tous les citoyens sont égaux en droit et en obligation devant la loi. C’est une autorité unique que nous avons tous instituée, appelée à se prononcer avec la science et la probité requises.
Que disons-nous? Sommes-nous encore des béatitudes? Nous aspirons à une chose et la réalité, comme si elle se moquait de nous, nous attire vers une autre chose, en contradiction avec ce que nous disons. Pourtant, nous n’avons pas vécu seuls le temps de la misère, de la perplexité et du chaos. Bien des nations ont vécu dans ce climat.
Les nations des révolutions, de la révolution française à la révolution culturelle en Chine. Les fils de ces nations étaient inquiétés, voire ahuris, par ce qui se passait. Bien des innocents ont été les victimes des révolutions; surtout les innocents, parce que, eux, ne bénéficient d’aucun soutien... hormis le soutien de l’Etat de la Loi. Le soutien est tombé par l’effondrement de l’Etat et l’absence de la loi. Beaucoup de gens ont cherché refuge, lors des révolutions, auprès d’endroits leur inspirant confiance et sécurité. Mais dès le retour du calme, ils revenaient à la patrie pour vivre sous sa justice et contribuer à reconstruire ce qui a été démoli.
Cette ambition est-elle une face de la béatitude? Et devons-nous continuer à accepter des leaderships confessionnels qui s’élèveraient à 18, le Liban comptant dix-huit communautés? L’Etat doit être le dernier refuge. Comment? En toute simplicité, nous disons, par sa capacité à propager la confiance parmi les gens et les citoyens. Parmi ceux qui acquittent l’impôt pour avoir une patrie où ils peuvent se réfugier. La simplicité dans les propos laisse insinuer, tout le monde le sait, des efforts et une action de la part du responsable. Un effort basé sur la conviction du responsable que la responsabilité est continuité probe et capable.
Ceci n’a été aucun jour disponible pour le Libanais. L’Etat a toujours été un Etat de gens aux dépens d’autres gens. Comme si l’opposition était interdite. Ou comme si celui qui fait de l’opposition se condamne à être mis au ban de la société et de là, être sujet à la persécution. Est-ce beaucoup cela? Non, nous le savons tous. Nous savons que l’hostilité - combien cet état est difficile - s’instituait toujours entre le Pouvoir et l’opposition. Et en tout temps, l’hostilité se transformait en inimitié. Pourtant, la divergence n’est pas, nécessairement, la dissension. N’est-elle pas l’autre face de la pluralité... la pluralité d’opinion, de la discussion, de l’argument et du mot édificateur?
Cela ne se passe pas que chez nous, naturellement. Ce n’est pas seulement chez nous que l’inimitié donne à parler de la traîtrise et de l’expiation. Il existe, aujourd’hui, en Israël quelque chose de cela plutôt tout cela. Comme si les juifs ne voulaient pas la paix. Ils en parlent et la fuient. Pourtant, la paix, en principe, est devenue un “courant”... une sorte de rouleau-compresseur. Ils ont dit cela le jour où ils ont élu Netanyahu. Et ils l’ont dit le jour où Ehud Barak se targuait de la paix en tant que slogan de sa bataille électorale jusqu’à son engagement à poursuivre l’opération, même s’il ne reste avec lui que le quart des membres de la Knesset et neuf ministres. Les mêmes paroles d’Anouar Sadate le jour où il a été tiraillé entre le durcissement juif représenté par Menahem Begin et le durcissement arabe, représenté par le “front du refus”. Il a dit qu’il allait dans son aventure jusqu’au bout, même si les Etats arabes s’en dissociaient.
Et camp David n’est pas le début du salut. Il n’est pas, nécessairement cela. Camp David 1978... 17/9/78, à travers lequel Jimmy Carter a arraché d’Anouar Sadate et de Menahem Begin, le duo Nobel de la paix, leur signature sur deux accords qualifiés, ce jour-là, d’accords-cadres, l’un étant en rapport avec “le traité de paix entre les deux pays” et, le second, déterminant le cadre de la paix au Proche-Orient.
Des espoirs ont été fondés sur Camp David. Mais les espoirs se sont estompés, se limitant à ce que l’accord de paix individuel a été appliqué avec des difficultés égypto-israéliennes et des déviations israéliennes. Et avec des dénonciations, parce que Menahem Begin venu au pouvoir après vingt-neuf ans de la création de l’Etat d’Israël et l’accaparement du “parti travailliste” du gouvernement, de David Ben Gourion à Golda Meir, était soucieux d’incarner le désir de ses électeurs durs et méfiants. Les initiatives de la colonisation en Cisjordanie se sont enjolivées jusqu’à devenir stratégiques, visant à instituer un organisme central œuvrant en vue de récupérer le “Grand Israël”.
Et Sadate s’est engagé dans la politique des “petits pas” inspirée par Henry Kissinger, après que la conférence de Genève eut échoué au lendemain du 6 novembre 1973. Il y eut, alors, l’accord du “Kilomètre 101” en novembre 73. Et le désengagement autour du canal de Suez en janvier 74; puis, l’accord global égypto-israélien le 1er septembre 1975.
L’autre accord est resté sans application, parce qu’il traitait de la paix au Proche-Orient et a été laissé, depuis lors, à des négociations égypto-jordano-palestino-israéliennes. Il s’agit des négociations d’aujourd’hui, sans la Jordanie, au complexe estival du président américain. Etant entendu que Bill Clinton n’est pas Jimmy Carter; Yasser Arafat n’est pas Anouar Sadate, ni Ehud Barak, Menahem Begin.
Camp David 1978 a libéré Israël et encerclé l’Egypte. Il a libéré Israël de la pression des Arabes sur son Sud, lui laissant la liberté de mouvement sur les fronts nord et est, tout en plaçant l’Egypte dans un isolement arabe ayant duré dix ans. De là, il a retardé la solution et ne l’a pas avancée.
Avec cela et nous écrivons ces lignes avant la clôture du sommet de Camp David, il reste à l’optimisme un petit espace dans tout ce capharnaüm. 
Photo Melhem Karam

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