Du palais Chéhab, on a une très belle vue
sur Hasbaya.
En arrivant à Hasbaya, on est immédiatement frappé
par la beauté de cette citadelle et on ne peut s’empêcher
d’émettre cette réflexion: Est-il possible que l’Etat ait
pu négliger à ce point un tel monument et que les Libanais
ignorent son existence?
Carla Chéhab, descendante de la lignée des émirs,
a décidé de réagir et mène une campagne tout
azimut braquant les feux de la rampe sur ce sérail des Chéhab,
afin d’amener les responsables à engager au plus vite sa restauration
et de faire connaître aux nouvelles générations l’une
de nos valeurs architecturales et historiques.
Dans les années soixante-dix, grâce aux efforts de feu
l’émir Maurice Chéhab, alors directeur des Antiquités,
un projet de restauration avait été entamé. La guerre
qui a miné le pays depuis 1975, a tout bloqué. Le sérail
offre, aujourd’hui, un aspect d’abandon et de désolation. Pourtant,
telle que le dit Carla Chéhab, “son histoire est liée étroitement
à celle de Wadi At-Taym qui a joué un rôle important
dans la vie du Liban moderne”.
LA CITADELLE CONSTRUITE SUR DES VESTIGES ROMAINS
Les premiers aménagements fortifiés remontent au XIIème
siècle et seraient l’œuvre des Croisés qui ont édifié,
sur des vestiges romains, cette citadelle de Hasbaya, sur le modèle
de leurs différentes constructions. On peut y voir les meurtrières,
les puits profonds, les oubliettes, les murs à l’épaisseur
impressionnante autant que les portes. Selon les historiens, cette forteresse
dépendait, au plan administratif, de la baronnie de Saïda et,
au plan militaire, du célèbre château de Beaufort.
Mais les Croisés n’auront pas la chance de rester longtemps à
Hasbaya, l’arrivée des Bani Chéhab dans la région
ayant renversé les données. Issue de la grande tribu des
Koreiches du Hidjaz, la tribu des Chéhab fera partie de l’armée
islamique qui, sous les ordres du calife Omar, s’était emparée
de Damas en 633. Elle s’installa dans le Hauran et s’y trouvait encore
en 1170, 71 ans environ après la fondation du royaume de Jérusalem,
à l’époque où les Ayoubites, à leur tête
Salaheddine (Saladin), allaient disputer au sultan d’Alep l’hégémonie
sur la Syrie. Voulant rester neutre dans ce conflit, la tribu des Chéhab
qui comptait à l’époque 15.000 hommes, décide de quitter
le Hauran et se dirige vers le Liban pour dresser ses tentes dans la riche
vallée connue sous le nom de Wadi At-Taym, zone qui était
depuis 56 ans déjà aux mains des Francs.
De violentes batailles célèbres s’en suivirent entre
les Bani Chéhab, et les Francs établis à Hasbaya et
secourus par la garnison du château de Beaufort. La ville tomba aux
mains de Chéhab et sa citadelle connue le même sort en 1173.
Les neuf cents Croisés qui en composaient la garnison, furent assassinés,
selon les chroniqueurs et leurs têtes envoyées à Damas
au sultan Noureddine. Telle fut l’origine de l’établissement des
Chéhab dans Wadi At-Taym. Quelques siècles plus tard, ils
devaient gouverner le Liban pendant près de 150 ans.
des émirs Chéhab à Hasbaya. |
Très belle cour du troisième étage construite avec des pierres |
UN SÉRAIL DANS LE PLUS PUR STYLE CHÉHABISTE
De forteresse croisée, la citadelle de Hasbaya devint, au fil
des siècles, un sérail imposant construit dans le pur style
des palais chéhabistes. On y retrouve, notamment, au niveau du troisième
étage (les deux premiers étant l’œuvre des Francs), les voûtes,
les arcades, de vastes salons ornés et décorés de
marbre, des mosaïques, des fontaines au milieu des diwans et des inscriptions
coraniques ou autres. Le diwan de l’émir Saadeddine Chéhab
est particulièrement frappant avec sa fontaine au jet d’eau, en
marbre, ses voûtes et arcades finement décorées s’ouvrant
sur un balcon de 1,5 mètre de large et 10 mètres de long,
fait en bois massif. Sur le parterre en marbre, on relève une croix
gammée indiquant l’origine romaine de la citadelle avant de devenir
croisée; puis, chéhabiste. Certaines pierres qui ont servi
à la construction du troisième étage, sont sculptées
et on y voit la fleur de lis, symbole des rois de France.
La cour intérieure a une longueur de 50 mètres et une
largeur de 20 mètres. Autrefois, à la belle époque
du pouvoir des Chéhab, de nombreuses manifestations culturelles
et sociales s’y déroulaient.
Vue de l’extérieur, la citadelle a une structure rectangulaire
comparable aux forteresses de la Renaissance italienne. Sa masse est imposante
avec des murs s’élevant jusqu’à 16 mètres et un pourtour
de 220 mètres. Des quatre tours de l’époque des Croisés,
il n’en subsiste qu’une, celle du Sud-Ouest, d’où on a une vue panoramique
sur Hasbaya et sa région.
A l’entrée du sérail, un immense portail porte le blason
des Chéhab. Quant à la porte en bois qui commande une deuxième
entrée, elle est réellement impressionnante avec ses quatre
mètres de large et trois de haut; c’est une œuvre architecturale
rare.
La grande place extérieure ou Midane servait, autrefois, à
de nombreuses compétitions sportives et jeux équestres.
Splendide porte d’entrée d’origine |
On retrouve l’influence Mamelouk et ottomane dans cette salle |
SA RESTAURATION, UN IMPÉRATIF
Le sérail de Hasbaya recèle à l’intérieur
de ses murs une tranche importante de la vie du Liban moderne. Avec les
Maan, les Chéhab et leurs alliés ont placé les fondements
de l’Etat libanais. Les princes Chéhab ont gouverné le pays
durant près de 150 ans de 1697, après la mort d’Ahmed Maan
jusqu’au milieu du XIXème siècle. D’où l’importance
historique de Wadi At-Taym, de Hasbaya et de sa citadelle qui furent la
principale résidence des Chéhab.
Aujourd’hui, les actes de propriété du sérail
sont entre les mains d’une cinquantaine d’émirs Chéhab, descendants
de la branche de Hasbaya demeurée sunnite. D’autres Chéhab
s’étaient convertis au christianisme et sont devenus maronites depuis
l’émir Bachir II le Grand. L’harmonie a toujours régné
et continue de l’être jusqu’à l’heure, entre les différentes
branches qui forment, après tout, une même famille. Il en
était de même autrefois entre les différents groupes
communautaires du pays où la féodalité et le rang
social jouaient un rôle prioritaire. Les conflits confessionnels
sont plutôt l’apanage du Liban contemporain.
Au sérail de Hasbaya, parmi tous ceux qui ont des titres de
propriété, un seul y réside en permanence avec sa
famille: l’émir Moufid Chéhab. Il a le grand mérite
d’avoir préservé ce monument historique tout au long des
années de guerre qui ont miné le pays depuis 1975. Il s’est
opposé avec beaucoup de tact et de savoir-faire aux différents
groupes armés qui se sont déployés dans la région
et voulaient utiliser le sérail comme bastion militaire. Il a mis
de côté chaque pierre qui s’écroulait du fait des événements
ou des intempéries, en prévision d’une restauration selon
les normes archéologiques adéquates. Aujourd’hui, il accueille
les visiteurs avec une grande hospitalité digne d’un émir.
Maintenant que le Sud et la Békaa-ouest ont été
libérés, il est grand temps que l’Etat se préoccupe
de la citadelle de Hasbaya et entame au plus vite sa restauration. D’autant
plus que l‘érosion du temps peut lui être fatale. L’hiver,
l’eau envahit les étages inférieurs, augmentant chaque année
les destructions, les plantes ayant poussé dans les coins abandonnés
au risque d’ébranler jusqu’aux fondations.
Remaniée pendant près de huit siècles, au gré
des modes, la citadelle de Hasbaya a besoin d’une étude architecturale
et archéologique approfondie et les responsables du Service des
Antiquités devraient, dès à présent, entamer
les procédures nécessaires pour sa restauration. Nul n’a
le droit d’abandonner un monument d’une telle valeur historique et archéologique.