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"La Revue du Liban” a retrouvé Dib Anastase, qui fut le “gouverneur militaire” de la zone-Est durant plusieurs années de la guerre libanaise. Cet homme qui faisait le beau temps et la pluie, a disparu après les douloureux événements. “La Revue du Liban” l’a découvert et a pu recueillir ses déclarations qui ne manquent pas d’intérêt. Il avait occupé maints postes au conseil de guerre Kataëb, le dernier ayant été celui de chef de la police de ce parti. Son nom a terrorisé bien des gens. Mais aujourd’hui, il n’est plus le même: souffrant d’une maladie qui lui a fait perdre du poids au point d’être méconnaissable, il avoue avoir la conscience tranquille, sa présence à la tête de la police lui ayant permis d’assurer la sécurité dans la “zone-Est”. Dib Anastase fonde de grands espoirs sur le régime du président Lahoud, étant assuré qu’il mènera le pays à bon port, l’Armée que le chef de l’Etat a formée étant le rempart protégeant la patrie et les citoyens contre toutes les adversités. |
Comment et quand les “Forces libanaises” ont-elles été
fondées?
Au cours des événements, le parti Kataëb a jugé
nécessaire de séparer l’action politique de l’action militaire,
à un moment où le besoin se faisait sentir d’unifier le fusil
chrétien.
On sait que bien des organismes paramilitaires avaient été
constitués, dont le SKS, la police et d’autres encore. En quoi consistait
le rôle de la police dont vous assumiez le commandement?
La police avait des missions militaires et civiles à la fois,
alors que le SKS s’acquittait d’une mission militaire et de combat; il
exécutait les ordres du conseil de guerre Kataëb, ainsi que
des quatre sections qui en dépendaient.
Les F.L. avaient-elles un rôle au sein du Front libanais et
exécutaient-elles ses directives?
Le Front libanais était une formation politique représentative
des Kataëb, du Parti national libéral et de personnalités
chrétiennes ayant quelque rapport d’ordre politique ou militaire
avec la guerre libanaise. Le commandement des F.L. en faisait partie et
le conseil de guerre Kataëb se conformait aux consignes du “Front”.
Cheikh Bachir Gemayel et les autres membres du commandement appliquaient
les décisions et les ordres du F.L.
L’ambition de cheikh Bachir s’est-elle limitée à l’unification
du fusil chrétien ou bien agissait-il à l’effet de devenir
l’unique interlocuteur dans la “zone-Est”?
L’opération a pris pour cible les “Noumours” du PNL et s’est
étendue aux différentes sections de ce parti. A ma connaissance,
cheikh Bachir voulait unifier les rangs chrétiens sans plus. Par
la suite, toutes les organisations paramilitaires se sont regroupées
au sein du conseil de guerre.
Où s’arrêtait l’ambition de cheikh Bachir?
Il voulait modifier la mentalité, le mode de vie de la société
libanaise et rendre l’affiliation des citoyens exclusivement nationale.
A son avis, chaque Libanais devait obtenir ses droits et obtenir justice,
sans avoir besoin d’un intermédiaire ou de pot-de-vin.
Comment présentez-vous cheikh Pierre Gemayel?
C’était un homme de décision et de commandement de premier
rang, courageux, le père d’une petite famille composée de
sa femme et de ses enfants et d’une grande famille, les membres des Kataëb.
Etes-vous influencé par ses enseignements?
Certainement et je continue à m’en inspirer et à les
appliquer.
Vous aviez demandé à un moment donné au président
Melhem Karam de quitter la zone-Est. D’aucuns révèlent que
cheikh Bachir l’a menacé et cheikh Pierre l’a sauvé. Quels
sont vos renseignements à ce sujet?
Je me souviens que cheikh Pierre m’avait contacté un jour pour
me demander de protéger ce grand journaliste et de ne pas l’indisposer,
tout en le mettant dans le climat de cheikh Bachir.
J’ai rendu visite à Melhem Karam pour lui recommander de s’éloigner
pour un certain temps de la zone-Est, en attendant que l’affaire soit réglée
avec cheikh Bachir. Je lui ai conseillé, ce jour-là, de s’installer
à l’hôtel “Comfort” à Hazmié, mais il a rejeté
ma proposition, partant du fait qu’il n’avait rien à se reprocher
puisqu’il n’avait fait qu’accomplir une action journalistique ne nécessitant
pas une telle réaction de la part de cheikh Bachir.
Melhem Karam m’a impressionné par son courage et sa détermination
à faire face à la vérité par le droit. Le fait
pour lui d’avoir enregistré une interview avec Yasser Arafat et
reproduit le portrait du chef de l’OLP sur la couverture de son journal
avait été à l’origine de la colère du chef
des F.L.
ASSASSINAT DE HAWI ET LIBÉRATION DE
TAL-ZAATAR
Qui a assassiné William Hawi, chef de l’organisme militaire
Kataëb? Le parti a-t-il pu identifier les coupables et quels en ont
été les instigateurs?
William Hawi a été tué par une balle partie du
camp de Tal-Zaatar, au cours d’une opération qui s’était
déroulée dans le secteur de Jisr el-Bacha. Il s’y était
rendu pour inspecter sa fabrique de verre et de miroir, tout en étant
assuré que sa vie n’était pas en danger.
Je peux assurer que personne n’a été autant affecté
par la mort de Hawi que cheikh Bachir qui était, alors, chef adjoint
des Forces libanaises.
Comment le camp de Tal-Zaatar a-t-il été libéré?
Le plan de sa libération avait été élaboré
par le martyr William Hawi et adopté par cheikh Bachir. Ceux qui
avaient entamé le combat sous la supervision du président
Camille Chamoun, c’est-à-dire le parti national libéral,
n’ont pu le mener à son terme. Aussi, les Kataëb ont-ils poursuivi
l’opération après la bataille de Chekka et suite à
la débâcle des Palestiniens par cinq mille combattants ayant
à leur tête cheikh Amine Gemayel.
D’où les Kataëb recevaient-ils les armes?
Des marchands de canons, une partie des armes étant fournie
par les Palestiniens eux-mêmes qui les vendaient au prix fort.
ISRAËL ME CONSIDÉRAIT COMME UN
ENNEMI
Etes-vous allé en Israël et y avez-vous subi quelqu’entraînement?
Je ne m’y suis jamais rendu et tout le monde connaissait mon hostilité
aux Israéliens.
Y aurait-il eu des opérations combinées entre les Kataëb
et les Israéliens?
Aucune opération de cette nature n’a eu lieu et les Israéliens
disaient aux membres de la police Kataëb: Votre chef, l’homme aux
grosses moustaches, est notre premier ennemi, car il refuse de coopérer
avec nous. J’étais contre les Israéliens et contre toute
coopération avec eux, parce que je les connaissais parfaitement.
Au cours de l’invasion israélienne de 1982, la police Kataëb
n’a-t-elle pas coopéré avec “Tsahal”?
Nous refusions, par principe, une telle coopération.
Cheikh Bachir se montrait-il rebelle aux ordres de cheikh Pierre
et quel était votre rôle entre les deux hommes?
Les ordres de cheikh Pierre étaient respectés de tout
le monde, car le leader des Kataëb jouissait d’une personnalité
qui excluait toute rébellion ou velléité d’insubordination.
DIVERGENCES TACTIQUES ENTRE AMINE ET BACHIR
Les divergences entre Amine et Bachir Gemayel ne se sont-elles pas
répercutées, négativement, sur le parti Kataëb?
Il ne s’agissait pas, en fait, de divergences d’ordre stratégique.
Je ne nie pas que des différends d’ordre tactique les opposaient
parfois, chacun ayant son rôle au sein du parti et sur le terrain.
On savait de cheikh Bachir qu’il se distinguait par une vision sûre
et tout ce qu’il avait prédit s’était réalisé,
y compris son accession à la présidence de la République.
Où est donc l’erreur?
Dieu seul est infaillible. Cheikh Bachir s’est soucié d’éviter
les erreurs et on ne lui en connaît aucune au plan national. Je ne
nie pas que certaines actions ont été accomplies d’une manière
malencontreuse et il ne les avait pas planifiées.
Vous dites que les ordres de cheikh Pierre étaient unanimement
respectés. Avait-il permis le drame du “samedi noir” et en avait-il
eu connaissance à l’avance?
Ni cheikh Pierre, ni cheikh Amine n’étaient ici quand le “samedi
noir” s’est produit. Ils étaient revenus de Syrie le jour suivant
et si cheikh Pierre était à Beyrouth, ce drame n’aurait pas
eu lieu.
On dit que la rencontre à Naharia entre cheikh Bachir et Menahem
Begin, chef du gouvernement israélien, avait été houleuse
et provoqué de profondes divergences entre les deux hommes, ce qui
aurait entraîné l’assassinat du président élu
quelques jours plus tard. Quels sont vos renseignements à ce sujet?
Je n’étais pas présent ce jour-là, mais ce qui
m’en a été dit corrobore ce que vous mentionnez dans votre
question. Cheikh Bachir a refusé de donner des assurances ou des
engagements à Begin à qui il aurait tenu ce langage: Je suis,
à présent, président de la République de tout
le Liban et le gouvernement qui sera formé après mon investiture,
négociera avec vous. Je ne peux rien vous promettre, car je ne veux
pas rompre avec mon environnement arabe ou avoir des relations d’hostilité
avec les partenaires du Liban au sein de la Ligue arabe, alors qu’Israël
veut se rapprocher d’eux et normaliser ses relations avec ses voisins.
C’est ce qui m’a été rapporté.
BACHIR A VOULU SE RAPPROCHER DE DAMAS APRÈS
SON ÉLECTION
Après son élection en tant que président de la
République, cheikh Bachir avait changé et voulait se rapprocher
de la Syrie. Des intermédiaires s’employaient à préparer
sa visite à Damas qui y était favorable. Malheureusement,
il a été assassiné avant son entrée en fonctions.
Israël était-il au courant de son changement d’attitude
et aurait-il planifié son assassinat?
Les ennemis de cheikh Bachir étaient nombreux, mais je ne peux
rien certifier à propos de l’attentat dont il a été
victime. De toute façon, la partie qui l’a tué, a attenté
à la patrie tout entière et à sa vision des choses.
Je n’accuse, ni innocente personne.
Avez-vous soumis Habib Chartouni, meurtrier présumé
de cheikh Bachir, à un interrogatoire et avez-vous participé
à l’enquête sur cette affaire?
Je ne m’en suis pas occupé, car elle avait été
prise en charge par le service de sécurité des Forces libanaises,
plus exactement l’actuel député Elie Hobeika.
Qui avait chargé Hobeika, à l’époque, de signer,
en tant que chef des F.L. l’accord tripartite à Damas, avec Walid
Joumblatt et Nabih Berri?
Les options de Hobeika et son opinion personnelle.
Au temps où vous étiez à la tête de la
police Kataëb, avez-vous engagé des pourparlers ou signé
quelqu’accord avec des parties adverses, tant libanaises que non-libanaises?
J’étais membre de l’organisme de coordination constitué
par le conseil de guerre. J’ai effectué maints contacts et pris
part à des réunions avec les Palestiniens, les Syriens et
les représentants des différents partis libanais.
Qui, d’après vous, a planifié et exécuté
les massacres de Sabra et Chatila?
Israël les a planifiés et Saad Haddad les a exécutés,
ses hommes ayant revêtu la tenue des agents de la police Kataëb.
Quand nous avons appris la nouvelle, nous avons mis en garde contre les
usurpateurs qui se faisaient passer pour des représentants des Kataëb.
LES PALESTINIENS ONT TUÉ MAYA GEMAYEL
Comment parveniez-vous à découvrir les complots ourdis
contre vous et les opérations militaires avant leur déclenchement?
La police Kataëb était extrêmement vigilante et nous
avons mis en échec maints complots. Nous avons découvert,
une fois, une tentative d’assassinat de cheikhs Pierre et Amine qui se
trouvaient en dehors du pays. D’après le plan établi, ils
devaient être assassinés dès leur retour au Liban par
des Palestiniens portant l’uniforme des agents des FSI.
Qui a tué Maya Bachir Gemayel?
Des Palestiniens.
Habib Chartouni était-il capable de perpétrer seul,
l’attentat à l’explosif ayant causé la mort de cheikh Bachir
et de plusieurs de ses compagnons?
Cheikh Bachir a été victime de sa négligence et
du peu de cas qu’il faisait des menaces de mort qui lui étaient
adressées. Nous ne cessions de lui recommander la vigilance et de
ne pas trop s’exposer, surtout après son élection à
la présidence.
Avant l’attentat, nous avons voulu inspecter l’étage de l’édifice
se trouvant au-dessus de la salle où cheikh Bachir devait rencontrer
des membres du parti. Le chef de la section locale s’y est opposé,
arguant que cela relevait de son service de sécurité. La
mort de cheikh Bachir a été une catastrophe pour le Liban,
pour les idées et les principes en faveur desquels il militait.
En votre qualité de chef de la police Kataëb, exécutiez-vous
les ordres de cheikh Pierre ou de cheikh Bachir?
Nous exécutions tous les ordres de cheikh Pierre, Bachir, moi-même
et les autres. Ces ordres étaient appliqués à la lettre
sans aucune opposition, car il était le chef supérieur du
parti.
DE MON TEMPS, LA SÉCURITÉ ÉTAIT
MEILLEURE QU’EN SUISSE
Comment pouvez-vous qualifier l’état de la sécurité
au temps où vous étiez à la tête de la police
Kataëb?
La sécurité était parfaite, de l’aveu de tout
le monde et de la Presse internationale. En tout cas, ma conscience est
tranquille, car je me suis maintenu au-dessus des considérations
d’ordre personnel, en bannissant la politique des deux poids et deux mesures.
Selon des rapports qui nous parvenaient de l’étranger, la sécurité
dans la zone-Est était meilleure qu’en Suisse.
Pourquoi êtes-vous resté à la Maison centrale
non loin des lignes de démarcation, en dépit du danger qui
pesait sur vous?
Nous avons décidé d’y rester, par principe, car notre
éloignement aurait entraîné l’exode des habitants de
tout le secteur. Tel était le point de vue de cheikh Pierre.
Auriez-vous réprimé des opérations de contrebande
et le trafic de produits prohibés sévissait-il à l’époque?
Naturellement. Nous avons réprimé bien des opérations
et ce fait a été mentionné par les médias étrangers.
Quel était le rôle d’Etienne Sacre (Abou Arz) à
vos côtés?
Il formait une petite unité de combat.
Qui étaient vos principaux collaborateurs en tant que chef
de la police?
Tous les gradés du commandement de la police et qui ont assumé
la responsabilité avec moi.
Avez-vous essayé d’établir des contacts avec les Syriens?
Ma mission était limitée au problème de la sécurité
locale et, au plan des relations humaines, je coordonnais mon action avec
tous les milieux.
Auriez-vous des indications au sujet de l’assassinat de certains
responsables, hommes politiques et penseurs libanais, tels Rachid Karamé,
le président René Mouawad, le mufti Khaled, Maarouf Saad,
Nazem Kadri et d’autres?
Maarouf Saad a été assassiné au début des
douloureux événements; puis, la série noire a suivi.
Des renseignements à propos de ces crimes me parvenaient de la part
d’une personnalité étrangère et j’en informais cheikh
Pierre.
Ceux qui entouraient la famille Gemayel étaient-ils bons ou
mauvais, à votre avis?
Dans toutes les sociétés, il existe des Judas.
Comment jugez-vous le retour de cheikh Amine Gemayel de son exil
et quelle est la nature de vos relations avec lui?
Elles sont bonnes. Je lui souhaite la bienvenue et vois dans son retour
le début d’éclaircies, dans l’espoir que tous ceux qui sont
exilés de la patrie puissent y revenir.
Une dernière question: que voudriez-vous dire, en toute liberté
dans la situation actuelle?
Moi, qui ai porté le Liban dans mon cœur, je me trouve dans
une situation difficile, incapable de me procurer le médicament.
Cependant, je proclame que mon loyalisme ne peut être que pour le
Liban, l’Armée libanaise héroïque et le général
Emile Lahoud, artisan de l’Etat de la loi et des institutions qui a refusé
de sacrifier le moindre pouce du territoire national. Grâce à
son courage et à sa sagesse, nous avons récupéré
le Sud et la Békaa-ouest, Israël s’étant retiré
au-delà de nos frontières.